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AMOUR TROUBADOUR EN CHANTANT
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  • Quête de connaissances oubliées avec un esprit troubadour. Partage de contes poétiques et de poèmes-chants d'amour, illustrés de photos de nature, pour célébrer l'Amour, la vie et les troubadours.
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3 mars 2013

CHRISMES ET COSMOGRAMMES

Chapitre IV du Roman du Graal dévoilé

Les monogrammes de la Sainte Famille

Après le départ de Clarance, je quittai l'église et rejoignis Abdul au relais des Questeurs. Il était en compagnie d'un conteur local, un grand costaud moustachu et jovial, Florian.

Ils m'accueillirent simplement et continuèrent leur conversation. Florian participait à un spectacle concernant le chevalier au cygne, Lohengrin, fils de Parzifal et il souhaitait mettre en valeur les racines archaïques du personnage, le cygne étant l'animal symbolisant l'hiver et le Nord entre autres. Abdul lui dit que le nom même du chevalier - dérivé des vieux noms du gui-loranthus et du soleil-grannos - le désignait comme une figure archaïque d'un rituel du solstice d'hiver. Par ailleurs le gui était une figuration de l'Irminsul, pilier ou arbre du monde nordique. Puis il se tourna vers moi et me demanda où j'en étais, je lui répondis simplement que j'avais ouvert la porte du Chemin de croix. Florian regarda Abdul qui se contenta de hocher la tête comme pour le rassurer sur ma démarche. Florian dit:

- C'est la grande Porte, mais la porte ouverte sur les courants d'air.

Et il se mit à rire. Je me contentai de lui sourire, je ne comprenais pas ce qui était drôle. Abdul resta sérieux et dit:

- C'est sûr, il vaut mieux passer par la porte étroite.

Florian ouvrit grands les yeux et demanda:

- On y va?

Abdul remit ses lunettes, alla chercher des cartes du territoire de Tréhorenteuc et les étala sur la table. Il me proposa de vérifier les lieux indiqués par l'abbé Gillard dans les tableaux de son Chemin de croix.

 

Nous étions en plein travail lorsque Fernand nous rejoignit, accompagné de son amie de petite taille qui semblait le suivre régulièrement depuis la réunion des Questeurs. Il la présenta comme une jeune femme passionnée par la légende du Graal, elle s'appelait Lorrikey. Elle était brune aux cheveux mi-longs bouclés, elle avait un visage rond d'enfant aux belles joues rouges et son sourire dévoilait de petites dents bien blanches. Après quelques échanges sympathiques sur nos projets, elle nous quitta rapidement.

Je découvris d'abord ce qui me sembla être une forme d'oeuf et cela fut l'occasion de rire grâce à Fernand d'un éventuel « oeuf cosmique des druides » caché à Tréhorenteuc! Puis comme la forme ronde avait un prolongement axial vers le Nord, je pensai à une clé. Florian dit que ma « clé du Nord » conviendrait bien mieux à Arthur. Abdul le calma en lui disant que ce n'était pas le moment et je finis par reconstituer grâce à leurs indications une sorte de chrisme partiel retourné comme dans un miroir. Je me souvins que le N du parcours des vitraux de Sainte Onenne dans l'église de Tréhorenteuc semblait aussi retourné et je demandai à Abdul si ces inversions avaient un sens particulier.

 

Fernand se moquait de ces élucubrations intellectuelles, mais Abdul semblait vouloir que je continue à explorer ces données. Lorsque je décidai d'y consacrer encore un peu d'attention, Fernand haussa les épaules en maugréant que je perdais mon temps. Il me recommanda de ne pas perdre de vue les racines bretonnes locales et nous quitta de mauvaise humeur suivi par Florian que la situation amusait franchement. De même, Abdul se réjouit, pour une fois qu'il rencontrait une personne assez curieuse pour le suivre sur son terrain! Notre recherche se poursuivit avec enthousiasme.

Nous avions donc dans la partie ouest de l'église ou chapelle du Graal, l'évocation de deux figures qui se superposaient, le monogramme de la Vierge et le monogramme du Christ ou Chrisme. Jusqu'à quel point étaient-elles liées? Il fallait les examiner de plus près.

 

Le monogramme A V M peut être tracé à partir de deux chrismes tournés d'un quart et juxtaposés.

Cette figure est aussi le monogramme de Jésus Marie Joseph unissant les trois personnes de la Sainte Famille (Monogramme de compagnons ou des Sulpiciens), I M A I avec I pour Jésus, MA pour Marie, I pour Joseph.

Le monogramme de l'Ave Maria sous sa forme des lettres AV accolées forme un N. Abdul me dit alors que le N inversé était bien connu en milieu chrétien, on le retrouvait par exemple sur l'inscription INRI du Titulus de la croix de crucifixion du Christ. Il signalerait un aspect de tradition ancienne cachée aux profanes ou aux "non curieux". On le retrouvait aussi sur certaines cartes de tarot anciennes.

Pour moi, je vis deux indications possibles fournies par ce signe. La première me disait : "Retourne en toi" et c'était une invitation à méditer, c'est-à-dire "se mettre au milieu" : avec Fernand j'avais vécu la méditation du corps qui conduit à l'âme, avec Abdul je vivais la méditation de l'esprit, y avait-il un autre point d'accès?

La seconde proposait : "Retourne à l'origine", la tradition hébraïque, et en effet le Aleph hébreu ressemble à un N. Je passai en revue ses principales significations:
. Un (Yahvé), le point supérieur où l'unité se fait,
. Boeuf et le joug des boeufs, le joug représentant l'union de la créature au Créateur, (je pensai aussi à la station V du chemin de croix de Tréhorenteuc et aux boeufs tournant autour de la polaire),
. Maître, enseignement,
. Silence.

 

Abdul ajouta avec une émotion de poète que l'Aleph est le point où l'espace et le temps disparaissent dans l'unité primordiale, origine divine de toute la création. C'est le Principe, l'énergie primordiale d'où proviennent toutes choses et en tant que symbole, Aleph est la première des lettres de l'alphabet hébreu, à la fois voyelle et consonne contenant elle-même toutes les lettres! L'Aleph était le mystère des mystères et le but suprême...

Le silence s'installa. Silence indispensable pour la méditation. Mais soudain j'entendis le MURMURE... de la Salutation. Ave Maria (AM ou AVM), c'était le salut de l'Ange à Marie en tant que future mère du Christ, du VERBE (Logos). Ave Maria correspond en grec à la formule "Réjouis-toi" Marie.
Réjouis-toi s'écrit XAIPE et se prononce caïré puisque le P est le rho grec, R. Mais en fait Xaipo signifie "être en bonne santé".
Cette formule se voit sur des tombeaux de pythagoriciens. C'est un VOEU de Salut (Salus en latin), il est parfois associé à la formule "Porte-toi bien", Hygeia ou Ugeia, traduite en latin par Vale, formule qui concluait les lettres des auteurs classiques.

Xaipe (prononcé Caire) est en fait un Salut, le salut à la Lumière matinale. C'est un voeu de retour à la lumière naissante assimilée à la "renaissance", c'est donc au figuré un voeu de Salut au sens de "se sauver", être sauvé, (les pythagoriciens croyaient en une forme de réincarnation).

Et notre salut, ce banal bonjour auquel personne ne prête attention est du même ordre : c'est saluer en chaque personne la Lumière de ce jour nouveau qui nous est donné ici et maintenant et lui offrir un voeu de salut (de l'âme et ... du corps).
Se souhaiter le Bon Jour, quand on sait que en indo-européen Diew réunit un concept de temps et d'espace particulier: « jour du ciel clair », c'est bien saluer l'aspect divin lumineux en l'autre!
Abdul me signala que dans des cultures traditionnelles ce rituel existait toujours: ainsi en Inde, le salut au soleil se retrouve dans le yoga (qui a le sens de joug, symbole d'union!) et dans le salut rituel appelé Namasté: les mains jointes à plat au-dessus de la tête, on salue Dieu, les mains devant le visage, on salue le guide spirituel en l'autre et avec les mains devant la poitrine, on salue nos semblables.

Abdul joignit aussitôt le geste à la parole et ce fut un moment magique entre nous, une communion des âmes à partir du coeur et hors du temps! Une pause divine!

Mais il fallait revenir aux grecs. Le voeu pythagoricien associé à XAIPE était UGEIA, assimilée à une déesse de l'Hygiène au sens de bonne santé. C'était un symbole de Vie souvent représenté par l'étoile pythagoricienne à cinq branches, les cinq lettres U-G-E-I-A représentant chacune un aspect du cosmos sur chaque pointe.

Abdul m'encouragea à dessiner les lettres grecques de chaque mot, Xaipe et Ugeia, les unes sur les autres. J'en fus stupéfaite, chacun pouvait se représenter sous forme d'un chrisme!

Abdul rit de ma réaction et me dit:

- Pour le Xaipe, cela n'a rien d'étonnant puisque le chrisme était un symbole associé à la Lumière (du soleil en particulier) avant d'être attribué à Constantin par le Labarum puis au Christ par le Chrisme. D'ailleurs les consonnes qui forment la structure du mot, X P, sont les deux lettres principales du Chrisme! On sait que le Labarum était gravé sur les boucliers des soldats, comme un talisman pour leur salut, tu comprends pourquoi! Et si maintenant tu superposais les deux chrismes de l'église de Tréhorenteuc?

- Comment?

Abdul précisa:

- Le chemin de croix nous révèle un demi-chrisme inversé vertical. Sur le second vitrail de la vie de sainte Onenne dans l'église (le baiser de la Vierge), on voit un demi-Chrisme horizontal. Place-les sur le plan de l'église là où tu as perçu l'AVM.

Je fis le schéma correspondant, ce que j'avais identifié comme un oeuf hypothétique, la boucle du P, se trouvait dans la lumière de la porte sud. Je n'osai rien en dire. Abdul commenta:

- Traditionnellement, dans le chrisme, la boucle du P représente le soleil né au sommet de l’axe du monde. C'est la porte étroite, la porte du soleil par laquelle s’effectue la sortie du cosmos grâce au Christ. Le Chrisme est la Porte du Ciel, la Porte du Salut.

- C'est sûr qu'on est loin de l'oeuf, c'est plus une forme évoquant un losange, quant aux racines bretonnes de Fernand..., dis-je.

- Nous n'en sommes peut-être pas si loin, répondit Abdul d'un ton rêveur.

- Comment ça? Demandai-je.

Abdul hésita un moment, puis il répondit:

- Je ne sais pas si tu vas me suivre dans mes interprétations, mais voici mon hypothèse. Tu as remarqué la forme en chrisme des lettres des deux mots grecs, Xaipe et Ugeia, comme si cette forme était une sorte de matrice alphabétique.

''On constate le même phénomène pour une rune particulière de l'alphabet runique nordique: la Hagal ou Hagalaz, nommée la Rune mère. Elle aussi est parfois représentée sous forme de chrisme, de fleur ou d'étoile à six pointes, mais sous son autre aspect, elle ressemble à un N inversé! Sous sa forme de fleur, c'était la Rose de Wotan ou Odin surnommée le signe des sorcières par l'église, et pourtant on la retrouve souvent dans l'art roman. Dans le symbolisme du Nord, cette rune mère était l'oeuf de glace primordial de la Création qui contenait le premier homme et la première femme...

Abdul se tut, le regard dans le vide, absorbé par ses considérations métaphysiques. Puis il me regarda et sembla se souvenir de ce qu'il tenait à me dire:

- Le chrisme était un symbole de la Grande Déesse avant d'être celui des dieux solaires. Et tu te souviens de l'oeuf des druides, il était nommé, oeuf d'Ingwi, du nom du dieu nordique de la fertilité. Cela devint l'oeuf d'anguille, l'ovus anguinum de Pline. La rune associée au dieu Ingwi et à sa parèdre était Ing, avec une forme en losange évoquant la Vulve sacrée qui deviendra en milieu chrétien la mandorle de l'art roman. L'autre nom du dieu Ingwi était Freyr et sa parèdre la Grande Déesse Freya, l'équivalent de Vénus, autant dire un avatar de la Grande déesse-mère.

- Et Brocéliande serait le Mont de l'anguille! ajoutai-je.

- Tu saisis le lien avec la tradition bretonne médiévale, confirma Abdul, si tu sais que l'alphabet runique était utilisé en même temps que l'alphabet latin par les anglo-saxons (bretons et germains) jusqu'au XI° siècle.

- Mais je croyais que le Chrisme avait été vu dans le ciel par Constantin pour lui annoncer sa victoire dans une bataille décisive contre ses concurrents au titre d'Empereur romain.

- Constantin, l'empereur qui a donné au christianisme sa dimension politique! remarqua Abdul. L'ancêtre du chrisme de Constantin était utilisé bien avant y compris des romains, plus sous sa forme étoilée composée de trois axes donc six directions. Mais lui connaissait bien les tribus des Germains et leurs talismans leur garantissaient un mental très avantageux dans les combats. Excellente récupération assortie d'une légende fabuleuse!

- Et que représentait le chrisme pour ces tribus? demandai-je.

- Tiens regarde, répondit Abdul en me tendant un dépliant, ça tombe bien, nous proposons une conférence sur ce thème le mois prochain et j'y travaille actuellement avec Clarance. Nous t'y invitons.

- C'est gentil, mais je ne peux pas rester aussi longtemps.

- C'est vrai, dit Abdul, j'oublie que tu n'es pas d'ici. Tu vas donc repartir bientôt?

- Oui, mais je reviendrai, cet endroit me fascine.

- Je te comprends, regarde-moi, dit Abdul en écartant les bras d'une façon comique, je devais juste faire un stage d'étude et j'y ai pris racine. Bon, revenons à notre chrisme. Comme tu vois ici il en existe différentes représentations.

Il se déplaça vers un panneau où étaient punaisées des photos.

- La structure minimale est toujours une croix en X et un axe vertical au moins dans la partie supérieure, un I ou un P. Certaines représentations de Chrisme correspondent à la représentation du ciel centrée sur la Rune en forme de X, Gebo, à une période particulière de l'année: l'équinoxe d'automne en début de nuit et pour une latitude plus au nord. L'étoile polaire était alors proche de la constellation du Cygne (aussi nommée Croix du Nord) au Néolithique, d'où sa schématisation en position centrale sous l'aspect de Gebo.

- Tu veux dire que c'était une image du ciel? demandai-je.

- Ces chrismes étaient une représentation du Monde et même du Centre du Monde, confirma Abdul. Ce sont des images de l'ordre cosmique au regard de l'éternité, organisé à partir du pôle, des cosmogrammes.

- Mais tu me parlais de runes, quel rapport?

- Les runes sont un système symbolique à plusieurs dimensions, elles forment un alphabet, mais elles représentent aussi des constellations, des dieux et d'autres concepts de valeur. Les images plus anciennes, mais de même structure que le chrisme sont composées de runes liées, elles étaient utilisées comme des talismans, de puissants remèdes à la confusion de l'homme vivant dans cette époque dangereuse. Cela lui évitait de se perdre dans l'absurdité apparente des événements de sa vie et donnait une ligne directrice solide à ses actes au quotidien.

Je pensai alors aux techniques modernes de préparation mentale des champions. Je dis:

- Un véritable outil de coaching mental comme chez nos sportifs ou militaires.

- D'où son intérêt pour les guerriers, confirma Abdul. Ce symbole d'Ordre supérieur représentant le divin était considéré comme le talisman le plus puissant. Ils avaient ainsi le ciel et les dieux avec eux: dans la vie ils avaient l'assurance de la Protection et de la Victoire; dans la mort, ils détenaient un passeport pour la Vie éternelle. Leur « chrisme » était la Porte du Ciel, la Porte du Salut au sens du Salut pythagoricien, Xaipe.

- Et pour les chrétiens? demandai-je

- Le Chrisme chrétien est le symbole sacré du nom du Jésus-Christ. Il a dit "Je suis la porte" (Jean 10) et pour les chrétiens, il est la Porte du Salut. La Porte vers l'Eternité en Dieu. Nous retrouvons cette notion de repère divin universel, promesse de vie éternelle et de Salut.

- Et que représente-t-il dans le ciel?

- C'est une figure polaire et solaire. Polaire d'abord, le X de Gebo représente le centre du ciel ou pôle comme nous l'avons dit, le point fixe de référence sous la forme de la Constellation du Cygne ou Croix du Nord et d'autre part le P correspondant au Rho ou R de Raido symbolise la constellation la plus repérable qui tourne inlassablement (le Chariot).

''C'est aussi une représentation solaire et plus précisément des trajets du soleil, X correspondant aux lignes de visée solsticiales qui se resserrent avec la latitude jusqu'à devenir comme un I au pôle Nord.
Par ailleurs tout cela est contenu dans un cercle, symbole de totalité, du Dieu (ou de la déesse selon les époques) suprême créateur de l'Univers dans son ensemble. On peut dire que sur le chrisme le plus simple, nous avons une représentation globale du grand Moulin cosmique aussi bien sous sa version polaire avec les constellations du pôle céleste, que solaire avec les bornes extrêmes de son trajet. Associés à d'autres chrismes nous voyons parfois des représentations évoquant le pilier du monde, un axe avec au sommet une sorte de feuille de chaque côté, l'Irminsul. Mais restons-en aux chrismes les plus simples.

- Je sais que ce symbole était utilisé par les combattants romains de Constantin, mais qu'en est-il des chevaliers d'Arthur?

- Intéressante question à laquelle je ne vais pas répondre directement, répondit Abdul, le lien est plus subtil. Dans l'alphabet nordique nommé Futhark, du nom des six premières, les runes sont une référence à l'ordre cosmique et plus encore lorsqu'elles sont liées entre elles. Mais elles sont aussi chargées de valeur, elles sont un repère de vie, une sorte de code d'honneur grâce auquel l'humain qui s'y conforme se relie aux dieux qu'elles représentent. L'homme nordique tenait à se mettre en ordre lui-même, en harmonie avec cet Ordre céleste figuré par les concepts sacrés des "lettres" runiques.
Le symbole fait des runes liées qui deviendra le Chrisme chrétien, emblème du Christ, était le plus important symbole de cet accord du ciel avec soi en toute circonstance, dans la vie comme dans la mort. Pensons de même au Labaron Gaulois associé à la croix de Taranis sous forme d'une croix dite de Saint-André, un X. D'autant que labar signifie parole, Verbe.

- Labaron, labarum de Constantin, dis-je faisant soudain le lien. Et le Christ représente le Verbe selon Saint Jean.

- Tout à fait, approuva Abdul. Mais reprenons, il découle donc de cette conception nordique une forme de code d'honneur de type "chevaleresque", code qui se retrouvera secondairement en contexte chrétien avec la Chevalerie du Moyen-âge centrée sur la quête du Graal.
- On retrouve ce code dans les romans du Moyen-âge?

- D'une certaine façon, confirma Abdul, dans les chansons de Geste qui ont inspiré ensuite les romans. C'est un des axes du travail de Florian sur Lohengrin. C'est la geste de Garin le Loherain devenu le Lorrain qui aurait inspiré ensuite Wolfram von Eschenbach pour son personnage. Et tu ne seras pas étonnée maintenant si je te dis que ces cycles épiques héroïques et sanglants appelés Matière de France se retrouvent également en vieux norrois jusqu'en Norvège.

- La boucle est bouclée, dis-je. Mais Matière de France et Matière de Bretagne, c'est la même chose?

- Non, même si elles ont échangé des personnages parfois, la Matière de Bretagne garde la trace des anciens rites païens et correspond plus à la tradition celtique, qui je te le rappelle n'avait pas de tradition écrite à proprement parler. Ainsi on ne peut leur attribuer les runes, ils utilisaient probablement un système qui y ressemble un peu, les oghams. Mais je m'égare, la Matière de France et l'apologie de ses moeurs héroïques guerrières viennent des traditions franques, donc des anciens germains.

- On comprend ces liens nordiques, remarquai-je. Et ce code de chevalerie que je qualifierai de runique, qu'est-il devenu chez nos chevaliers?

- Tu as de la suite dans les idées, remarqua Abdul en souriant. Reprenons les points communs entre les différents chrismes et leurs ancêtres runiques. Nous avons donc un symbole du Tout incluant comme nous l'avons vu le temps, l'espace, le Salut divin, un code de vie et de connaissances, les formes abstraites d'un alphabet. Par ailleurs la fine fleur de la chevalerie va se retrouver dans l'Ordre du Temple. Le temple dont la définition est justement au départ l'espace du ciel pris comme référence de l'ordre cosmique et ensuite, le lieu sacré établi sur terre à l'image de cet ordre cosmique!

- C'est le Temple de Salomon, dis-je, et on s'éloigne des conceptions des hommes du Nord.

Abdul haussa les épaules et reprit:

- Les premiers chevaliers de la croisade ont pour bagage les origines franques, les rites chrétiens qui ont recouvert les traditions païennes. En Orient, ils vont aller à la source des connaissances antiques conservées par les arabes qui comme tu le sais sont à l'origine grâce à ce savoir, du développement des mathématiques en général, de l'astronomie et autres sciences ainsi que de la médecine. Au contraire, en Occident les invasions barbares après l'effondrement de l'Empire romain avaient coupé ces prodigieuses racines.

Je sentis une immense fierté dans ses propos, c'était ses propres racines qu'il exaltait ainsi, lui un arabe breton comme il se plaisait à le dire! Je le laissais poursuivre.

- Il vont découvrir des trésors de culture littéraires et philosophiques, une sagesse inconnue, les racines hébraïques de leur religion, mais aussi des rituels magiques, talismaniques sur lesquels je ne m'étendrai pas et qui sont souvent associés au Roi Salomon dans les récits qui nous sont parvenus. Bref, au XII° siècle, au début de la présence en Orient des chevaliers, un Pape donne un symbole aux Templiers, la Croix des huit Béatitudes plus connue sous le nom ultérieur de Croix de Malte. La croix symbolise la Protection la plus puissante conférée par Dieu en tout point de l'espace et en tout temps, c'est une référence cosmique et donc au Dieu créateur de l'Univers. Et les huit béatitudes évangéliques sont le code de l'idéal chrétien fondé sur l'Amour, la compassion, l'humilité, la clémence (capacité à pardonner).

- Tiens, remarquai-je, ça me rappelle quelque chose, Amour, Humilité et Pardon sont les bases fondamentales de pratiques spirituelles et des approches plus modernes pour "une vie heureuse"!

- L'homme est toujours un homme, répliqua Abdul et la quête de joie est une valeur sûre. D'ailleurs dans l'intitulé de chaque béatitude on retrouve le terme « béni » ou « heureux » en français, mais en fait le terme grec évoque la Joie au sens sacré, divin du terme! La Joie au Moyen-âge était aussi un concept plus fort que dans son acception moderne, elle était évoquée en particulier dans le cri de guerre "Monjoie Saint-Denis" et bien sûr par les troubadours (la Gioïa), or ce sont les troubadours qui créaient les chansons de gestes...

Soudain une sonnerie retentit, Abdul regarda son écran de téléphone et me dit:

- Je vais devoir te quitter, j'ai été très heureux d'évoquer tout cela avec toi, mais je n'ai plus le temps de poursuivre. Pour conclure, je peux te dire qu'avec la croix de Malte, on a les mêmes concepts imbriqués (géométrie, alphabet codé et autres connaissances) que dans le modèle nordique runique, puis sur le Chrisme chrétien, mais que nous ne savons plus regarder selon cet aspect transcendant et … global.

 

Lorsque je quittai Abdul, je ne savais plus très bien où j'en étais. Il avait ouvert devant moi des pans entiers de connaissance qui pourraient remplir toute une vie de recherche. Mais je devais me recentrer. Quel était mon objectif?

Je ne voulais pas rentrer aussitôt et je cherchais une crêperie ouverte dans le village voisin. J'eus la surprise de voir Florian attablé avec un ami. Il m'invita à les rejoindre bien qu'ils en soient au dessert. En attendant l'arrivée de ma galette du chef, il me présenta son ami Kevin, chargé de l'éclairage pour leur spectacle. L'homme était jeune, la tête rasée, il semblait préoccupé et gardait la tête baissée dans son assiette. Il refusa le café que lui proposait Florian et nous quitta rapidement lorsque ma galette arriva.

Florian m'écouta exposer mes doutes et mes espoirs. J'étais venu à Brocéliande pour Merlin et ses mystères, dont le plus important était le Graal associé à son nom depuis le début du mythe. J'avais certes aperçu l'homme qui se faisait appeler ainsi à plusieurs reprises et il m'avait permis de vivre un moment fantastique dans l'église de Tréhorenteuc. Hélas, j'avais questionné Fernand qui ne voulait pas m'en dire plus à son sujet et je ne savais plus où me diriger. Puisque j'avais déjà eu la chance de vivre toute cette aventure, je devais peut-être m'en contenter et rentrer chez moi.

Florian me dit que j'étais libre, mais que la clé dont nous avions parlé avec Abdul ouvrait peut-être une autre porte, celle des racines bretonnes sur lesquelles Fernand avait attiré mon attention. Je lui demandai:

- Que dois-je faire de cette clé?

- Le mot clé en breton signifie Nord, répondit Florian, or Arthur est le roi du Pôle assimilé au Nord céleste. Et la Table ronde est une figuration des constellations circumpolaires...

- Et les chevaliers représentent le zodiaque, complétai-je.

- Tu vois que tu le sais, me dit Florian, et qu'est-ce qui est posé au milieu de la Table du roi Arthur?

Je pensai au tableau dans l'église de Tréhorenteuc et je dis:

- Le Graal.

- Et voilà le travail, conclut Florian.

Il avait l'air si content de lui que je ne voulus pas le décevoir et lui dire que je ne voyais pas où cela menait. Il me laissa et je rentrai rapidement me coucher. Je dormis d'un sommeil peuplé de rêves dans lesquels Merlin m'appelait, mais neuf cercles nous séparaient...

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