Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
AMOUR TROUBADOUR EN CHANTANT
AMOUR TROUBADOUR EN CHANTANT
AMOUR TROUBADOUR EN CHANTANT
  • Quête de connaissances oubliées avec un esprit troubadour. Partage de contes poétiques et de poèmes-chants d'amour, illustrés de photos de nature, pour célébrer l'Amour, la vie et les troubadours.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
31 octobre 2013

Le Mystère du Graal (9) 1° partie

Guillaume rentra en fin d'après-midi, je lisais sur la terrasse, il me rejoignit souriant et les yeux brillants.

- Tu as l'air content, remarquai-je.

- Il y a de quoi, j'ai rencontré un vieil homme, Bastien, ancien chercheur sur tous ces thèmes historiques, littéraires et spirituels en rapport avec le Graal. Je sors tout juste de chez lui.

- Le hasard fait bien les choses, dis-je.

- Il était à la bibliothèque, reprit Guillaume, et lorsqu'il a vu les livres que je consultais, il est venu spontanément vers moi. Ensuite tout s'est enchaîné comme dans un rêve!

- Et tu as eu des réponses? demandai-je.

- Plein, confirma Guillaume, déjà il m'a expliqué l'importance de la transmission orale qui impose le secret et le silence. Pour lui, l'écriture fige le savoir et ne s'adapte pas à la personne.

"Au contraire la transmission orale initiatique permet d'accéder à un niveau de connaissance par degré, correspondant au niveau et à l'évolution du postulant. Ainsi le savoir évolue et vient répondre au moment juste aux besoins, lorsque les expériences de la vie ont préparé le terrain favorable à une évolution de conscience.

"Si les notions de sagesse sont antiques, elles doivent revêtir de nouvelles formes pour correspondre à de nouveaux temps.

- Et alors, pour Perceval et Parzival, ça donne quoi?

- Bastien m'a fait remarquer qu'il commence par questionner et parler sans mesure et que les recommandations de bonne conduite de sa mère puis de son instructeur ne lui servent à rien pour adapter sa conduite aux circonstances. Il n'a pas été éduqué au fur et à mesure qu'il vivait les choses ou se posait des questions.

"Mais il est l'élu, donc malgré ses difficultés, lorsqu'il est prêt à prendre conscience à la fin de ses cinq années de chevalier errant sans repère ni but, il rencontre un sage, l'ermite Trévizent qui va l'enseigner et le préparer à se rendre digne du Graal.

- Oui, dis-je, il l'initie à la vie chrétienne tendance mystique. (1)

- Et à la bonne Mesure reflétant l'Ordre, si chère à Chrétien de Troyes, dit Guillaume. (ici) En fin de compte, Perceval ne se met pas en quête d'un Graal, il est en quête du Mystère ainsi représenté. Pour cela, il s'élève peu à peu spirituellement grâce à tout ce qui lui est enseigné depuis le début de l'histoire. Ce Mystère sacré est la voie de la Connaissance de soi, du monde et des dieux à la mode antique, mais sous une nouvelle forme christianisée (2). 

expositions

 

 

 

 

 

(expositions.bnf.fr/arthur/arret/05)

 

 

 

Mystère-ou-miracleLe Mystère du Graal 

- Toi aussi tu en as fait du chemin, dis-je. Tu ne cherches donc plus un objet?

- C'est toute la force de cette histoire et sa nouvelle modernité, répondit Guillaume en souriant, chacun le voit selon son degré de conscience… Ce que je remarque, c'est que si pour les gens de l'époque, c'était déjà difficile à comprendre alors qu'ils étaient imprégnés de religion et préoccupés par leur Salut, dans notre société matérialiste, c'est la quête matérielle de l'objet magique qui polarise les désirs.

- Peu importe, remarquai-je, tu étais pareil en arrivant ici. Comme quoi, l'essentiel est de suivre son désir, mais de ne pas se tromper de désir…, c'est d'ailleurs le véritable sens du péché: se tromper de cible!

 

Soudain la sonnerie du téléphone retentit. Après une hésitation et encouragée par Guillaume, je décrochai. Brigitte m'informa qu'elle était invitée avec Bernard chez des amis, elle ne savait pas non plus à quelle heure rentrerait Emeline, nous ne devions pas l'attendre. Pour le repas, elle avait prévu pizzas et salade, nous les trouverions dans le réfrigérateur. Je leur souhaitai une bonne soirée et dit à Guillaume que nous avions tout notre temps pour "graaler" s'il le voulait.

- D'accord, répondit-il, n'ayant manifestement pas épuisé sa passion pour le sujet, mais avant, nous pourrions peut-être "grailler"?

- OK, je ne connaissais pas l'expression, mais j'allume le four, ça va vite être prêt.

 

Dés ma première bouchée, Guillaume me dit:

- J'aurais voulu que tu vois Bastien, c'est un petit bonhomme qui ne paye pas de mine, mais quelle vivacité et quelle science! Il m'a raconté des choses fascinantes, je veux bien t'en parler si tu veux, mais je ne veux pas te saouler…

- T'inquiètes, répondis-je, je tiens bien la dive bouteille! 

Et je nous servis un verre de vin. Guillaume se mit à rire et se lança.

- Il m'a parlé de Kyot, tu sais ce maître mystérieux dont Wolfram von Eschenbach dit détenir ce qu'il raconte.

- Oui, dis-je, Chrétien de Troyes aurait eu la même source, à priori un manuscrit, mais il l'aurait trahi.

- Wolfram suggère qu'il n'a rien compris! remarqua Guillaume, bref pour Bastien, le nom de Kyot est déjà une superbe énigme révélatrice. Mais il faut passer par l'hébreu pour la comprendre, ce qui ne posait aucun problème à ce Maître.

"Son nom se décompose alors en "Ki" ou Ky et "ot". Ki est "pourquoi" et selon l'interprétation des deux lettres qui composent ce mot, c'est à la fois la question du but et celle de la cause de la Création. Ce n'est pas facile à comprendre comme ça, mais il m'a donné un extrait de bouquin qui l'explique, je te le montrerai. (3)

"Pour le "ot", c'est plus simple, en hébreu ot s'écrit aleph-vav-tau et se traduit par "signe", or aleph et tau sont les première et dernière lettres, l'équivalent du célèbre alpha et oméga! Ce signe rassemble l'ensemble des énergies de l'alphabet. Et ce n'est pas tout, le tau à lui seul est aussi le signe, en particulier celui qui est tracé sur le front des hébreux à la Pâque, le signe primordial de la croix, T.

- Passionnant, et tu crois que ça éclaire les questions que doit poser Perceval? demandai-je en souriant.

 

Guillaume se mit à rire puis il répondit:

- Je ne suis pas initié, moi! Mais Bastien m'a aussi parlé de ces questions. Voyons:

"1°  question: de quoi souffre le Roi? En posant cette question, non seulement Perceval ferait preuve de compassion, une des plus hautes formes de l'Amour, mais il répondrait à la question "Où vais-je"? En effet il découvrirait ainsi qu'il doit remplacer le roi.

"2° question: A qui fait-on le service du Graal? Cette question correspond au "D'où je viens"? car il découvrirait alors sa famille et son histoire.

- Les fameuses questions initiatiques, dis-je, c'est pas mal! Mais il en reste une: pourquoi saigne la lance? 

- Pour ça Bastien m'a donné des pistes à explorer, répondit Guillaume, mais je n'en ai pas encore eu le temps. Je me rappelle juste quelques notions, comme celle de la goutte de sang au bout de la lance qui est le symbole du sang qui relie l'homme au dieu.

"La lance qui saigne est la Lance du Saigneur, celui qui sacrifie selon le bon droit, le "seigneur" qui au sens le plus noble sacrifie à l'Ordre cosmique et en connaît donc les règles pour le servir. Pour le reste, il faut que je creuse la question! (4)

- Je comprends, dis-je, et en effet le Graal sert le vieux Roi, mais Parzival lorsqu'il devient roi est au service du Graal, comme d'ailleurs tous ceux qui le gardent sur le célèbre Monsalvasche!

- Oh, mais j'arrive un peu tard pour la "graalerie"! dit soudain Emeline que nous n'avions pas entendu rentrer. Je peux embarquer en cours de route?

- Viens donc, répondit Guillaume, plus on est de fous…

 

(1) Jean Frappier Autour du Graal (extrait)

http://books.google.fr/books?id=hiLu-iWGDnAC&pg=PA362&lpg=PA362&dq=1°)+le+repentir+doit+conduire+Parzival+au+renoncement+et+au+détachement+à+l'égard+des+passions&source=bl&ots=Ad98fjQV56&sig=JfAn2WCsWm7wGKlYDuLrzUJ_cT4&hl=fr&sa=X&ei=05VqUo2rMJTw0gW_n4DICw&ved=0CDAQ6AEwAA#v=onepage&q=1°)%20le%20repentir%20doit%20conduire%20Parzival%20au%20renoncement%20et%20au%20détachement%20à%20l'égard%20des%20passions&f=false

Enseignement de Trévizent: initiation pour ceux qui ont la capacité de vie spirituelle. Parzival a échoué au château du Graal car cette capacité lui faisait défaut. Pour remédier à cette insuffisance : 3 étapes

1 Repentir qui conduit au renoncement et au détachement des passions

2 La connaissance de l'Etre divin est préparée par la contemplation du cosmos

3 Connaissance de soi, extase et baptême forment une autre voie pour parvenir à la connaissance de Dieu.

 

(2) C'est le Mystère eucharistique, lors de la Prière eucharistique pour la Consécration du pain et du vin, offrandes sanctifiées qui grâce à l'intervention de l'Esprit Saint deviennent corps et sang du Christ par le mystère de la transsubstantiation. http://www.ceremoniaire.net/depuis1969/docs/ceremonial_1995_2b.html

(3) D'après Annick de Souzenelle, La lettre chemin de vie, Albin Michel

Ky s'écrie Kaph yod, Le Kaph est la main de l'homme, le yod est le germe divin, la "main divine".

Ky pose la question du pourquoi de la Création:

- le but, ce "pour quoi" est la finalité de la Création, est de "prendre en main" son yod, germe divin, permettant à l'homme devenir le dieu qu'il est potentiellement.

- la cause, ce "pourquoi", nous amène à découvrir que l'origine de notre monde manifesté (notre vision personnelle de ce monde) se situe dans la manière dont nous "prenons en main" ou non notre yod, germe divin (pour le faire grandir).

 

(4) La lance est associée au dieu Wotan-Odin, et comme une image vaut parfois mieux qu'un long discours, voici une superbe photo de ce dieu, bras en croix sur l'Arbre du Monde, percé de la lance (symbole de l'axe du monde) et entouré d'un cercle de runes. Comment mieux figurer un symbole de totalité de connaissance universelle, dont la lance gravée des runes est un résumé symbolique? Et ne dirait-on pas un Christ?

racines

Wotan-lance-Arbre du Monde-roue des runes

(racines.traditions.free.fr/symbwota.pdf)

 

Suite ici.

Publicité
24 octobre 2013

Royauté sacrée dans Perceval et Parzival (8)

Je retrouvais Guillaume à son poste de prédilection, l'ordinateur de Brigitte, lorsque je me levai dans la maison encore endormie. Il m'invita près de lui et m'expliqua l'objet de ses interrogations matinales.

- Tu sais l'histoire du San Gra Al, l'enseignement du Vase d'abondance de Dieu, ça ne me satisfait pas vraiment, car dans Parzival de Wolfram von Eschenbach, on trouve en allemand le mot Grâl (1) et non Graal, mais surtout  j'y vois aussi une histoire de sang, le Sang Réal ou royal. A la rigueur, il peut s'agir d'enseignement royal, la fabrication d'un roi!

- L'un n'exclut pas l'autre, répondis-je, il est vrai que le culte du Saint Sang était importante pour Philippe d'Alsace, comte de Flandres, commanditaire du Conte du Graal. Son père en avait ramené de Jérusalem une fiole à Bruges, objet de pèlerinage et du Culte du Saint Sang. (1° partie contexte historique sur ce blog, ici)

- Le culte du sang du Christ, relique des reliques, dit Guillaume, je comprends ça dans le contexte de l'époque. Je ne crois pas pour autant à ces histoires modernes de descendance de Jésus et cela n'apparaît pas ainsi dans les romans du Graal du XII° et XIII° siècles. Par contre j'ai remarqué que les développements littéraires s'arrêtent très tôt au XIII° siècle, comme si le thème était déjà épuisé avant une longue éclipse à partir du XIV° siècle. Les gens se sont lassés de la quête du Graal et de ses mystères?

- Il faut dire que si dans le Perceval de Chrétien de Troyes, dis-je, les origines d'un rituel de royauté ancien étaient encore apparentes, rapidement la christianisation a gagné et effacé les racines païennes dans les Continuations à la mode cistercienne. Le rituel chrétien en avait pris la place. Le contenant magique était désormais la Coupe du Christ ramenée par Joseph d'Arimathie et la lance qui saigne était la lance de Longin, le centurion romain.

- C'est sûr que ça clôt la question, remarqua Guillaume, d'autant qu'à l'époque où l'église lutte contre le catharisme, il valait mieux ne pas la contredire! Ainsi la royauté ne dépendait plus de cette coutume ancienne et la nouvelle, chrétienne bien sûr, devenait la norme.

- C'est probable pour le roi des Francs, dis-je, Philippe Auguste est le premier à se revendiquer Roi de France, il affirmait ainsi son autonomie par rapport à la Francie orientale et ses empereurs germaniques rêvant de reconstituer l'Empire romain. Mais je ne crois pas que ce soit le cas pour le Parzival de Wolfram von Eschenbach.

- Ah c'est évident, pour lui le contexte est différent, remarqua Guillaume, c'est la longue guerre de succession dans l'Empire germanique entre les tenants du Pape, de la famille Welf (Guelfes) et ceux de la famille Hohenstaufen (Gibelins) qui perdure à chaque nouvelle élection des Empereurs successifs. Chaque camp affirmant ses droits légitimes comme nous l'a dit Emeline. (2° Partie contexte historique sur ce blog, ici)

- Ton idée de Sang royal ou royauté sacrée m'intéresse, dis-je, si on en revient à Perceval, on peut remarquer que par manque d'éducation et de transmission des rituels, sa première confrontation au cortège du Graal peut être assimilée à un échec d'accès à la royauté sacrée (sur ce blog, ici).

"Or le Roi Pêcheur blessé ne peut plus assurer sa fonction, d'où la dévastation de ses terres et de la nature selon l'ancienne conception indo-européenne garantissant l'abondance et la prospérité si le roi est jeune et sain. 

"Dans ce Conte du graal, ce royaume qui est celui de l'ascendance maternelle de Perceval, attend un successeur capable de restaurer la fonction royale et donc l'harmonie qui favorise l'abondance en accord avec l'Ordre cosmique. 

- D'où l'idée de Sang Réal, dit Guillaume, au sens de succession dynastique royale. Selon cette tradition, le roi est investi d'un pouvoir magique ou divin.

- Oui, mais Chrétien montre que maintenant c'est la coutume chrétienne qui s'impose, dis-je. Ainsi dans le récipient d'abondance apparaît l'hostie, présence manifestée de Dieu. La pierre de von Eschenbach distribue l'abondance grâce à une hostie annuelle, mais elle désigne aussi le roi du Graal et détermine un centre spirituel d'où les "purs" qui y sont rassemblés rayonnent dans le monde. 

- Dans le Parzival, c'est l'ancienne conception qui prévaut, dit Guillaume, on est en plein conte feérique!

- En effet, répondis-je, ces pouvoirs sont évocateurs de la pierre de royauté des anciens germains (dont les goths d'Espagne), des celtes irlandais et écossais. Cette dernière pierre était utilisée jusqu'à la fin du XIII° siècle, date à laquelle les rois d'Angleterre se l'approprièrent. Chez les germains, on croyait à l'élection divine (ou prédestination) confirmée par l'élection des pairs. Le roi élu, couronné, assumait alors la fonction royale et sacerdotale.

- Je comprends mieux le Lapsi Texillis, dit Guillaume, Wolfram von Eschenbach signale par ce nom attribué à la pierre ou Graal (Grâl) qu'elle est l'Emblème, l'Enseigne ou bannière de ceux qui revendiquent la coutume de la royauté traditionnelle contre ceux qui sont du parti du Pape. Le roi traditionnel des anciens germains était donc aussi prêtre?

- Il exerçait le sacerdoce selon la tradition odinique. Il était Maître des runes, ces mêmes runes gravées par Odin sur la lance qui l'a transpercé et qui sont le prix de son sacrifice. Les runes forment dans leur ensemble sous forme d'alphabet magico-religieux une science sacrée de l'harmonie cosmique, des dieux et des hommes. 

counter-currents

 Odin et sa lance, l'Arbre du Monde, les runes (counter-currents.com/2011/10/quel-dieu-odin-adorait-il/)

- Les runes, dit Guillaume, le mot mystérieux!

- C'est le moins que l'on puisse dire, ajoutai-je, le mot rune signifie "secret", "mystère", "murmure", ou "lot" (de divination). (2) Autant dire un enseignement secret imposant le silence aux candidats pour leur initiation.

- Enseigne, enseignement, c'est cohérent, remarqua Guillaume, mais je croyais que Chrétien de Troyes s'inspirait des rituels celtiques.

- C'est la même base indo-européenne, dis-je, les celtes des îles britanniques et de Bretagne utilisaient les oghams qui ont les mêmes références magico-religieuses de Connaissance sacrée. Et les deux, runes et oghams étaient utilisés jusqu'au Moyen-âge en même temps que le latin. D'autant que ces systèmes étaient plus des codes qu'une écriture à proprement parler et permettaient d'utiliser le langage courant tout en signifiant autre chose. Cet art des druides et des bardes, basé sur un enseignement oral a été utilisé secondairement par les troubadours occitans puis les trouvères du Nord.

- Mais j'y pense, s'exclama Guillaume, le silence de Perceval signe peut-être le début de son initiation. On lui a dit qu'il ne devait pas poser de question, c'est un interdit à la mode celte (3). Ou c'est le silence du Myste, candidat aux Mystères de Demeter à Eleusis. (4) Et tiens, à propos de silence, j'entends du bruit, nos hôtes se réveillent…

 

(1) Texte Parzival allemand 

http://www.hs-augsburg.de/~harsch/germanica/Chronologie/13Jh/Wolfram/wol_pa00.html

§ 236 sazte für den wirt den grâl.

dez mære giht daz Parzivâl

 

(2) misraim3.free.fr/divers2/Grimoire_des_Runes.pdf

(3) http://dumas.ccsd.cnrs.fr/docs/00/53/13/74/PDF/Merle_A._mA_moire.pdf

(4) http://chemins-initiatiques.forumculture.net/t169-17-mythes-mysteres-et-symboles

Le verbe muein signifie « fermer la bouche », d’où « se taire »

La forme dérivée mueô signifie initier (aux mystères), puis instruire (sans paroles comme dans les mystères) 

Le mythe se rapporte alors à l’idée de silence car il suggère … avec des moyens qui vont au-delà du langage ordinaire

22 octobre 2013

Communion sous les deux espèces et Graal (7)

La journée avait été pluvieuse et nous étions rentrés de bonne heure. Je discutais avec Guillaume en attendant le retour des femmes de la maison qui étaient parties faire des courses. Il était passionné par Melchisédeq, personnage mystérieux de la Bible, porteur du pain et du vin, qui était peut-être l'avatar d'un dieu solaire porteur d'abondance symbolisée par la vigne et le blé.

Nous regardions sa statue de la façade de la Cathédrale de Chartres sur l'ordinateur de Brigitte lorsque Bernard vint s'asseoir près de nous. Il remarqua:

- Vous avez vu que votre "Melchisédech" a les mêmes attributs que sur le reliquaire de Sainte-Foy-de-Conques censé être la première représentation du Graal. 

Melkisédeqart-roman-conques

Melkisédeq et Graal du Reliquaire de Conques (Wikipédia, art-roman-conques.fr)

- Mais tu as raison! dis-je, le Graal symbole d'abondance pourrait être la jonction de ces deux éléments.

- Dans la religion chrétienne, ajouta Bernard, on dit les deux espèces!

Guillaume avait aussitôt cherché sur l'ordinateur, soudain il eut un cri de joie.

- Regardez, c'est ici, j'ai regardé de nouveau l'étymologie possible du mot Graal que Chrétien de Troyes a utilisé le premier dans ce sens. On sait que c'était un nom commun désignant un plat de service à son époque sous différentes orthographes. Mais dans ce vieux dictionnaire des mots de dialecte, on voit le mot Grô prononcé Gra, or ce mot en Bourgogne désigne une sorte de vase ou une sébile pour le pain. Vous voyez, on trouve encore les deux espèces associées en tant qu'offrande dans le Vase mystique!

- La Bourgogne était associée au Comté de Provence au Moyen-âge, ajoutai-je, et ils étaient partiellement annexés à l'Empire Germanique, géographiquement c'est donc plausible pour Chrétien et Wolfram. Et surtout Bernard de Clairvaux, originaire de Bourgogne est venu fonder son abbaye en Champagne.

- D'accord, dit Bernard, mais le al à la fin, d'où le sortez-vous?

- Vers la fin de la narration concernant Perceval, répondis-je, Chrétien de Troyes décrit l'Ermite Trévizent confiant secrètement une prière à n'utiliser qu'en cas de danger mortel, il s'agit d'une invocation des Noms secrets de Dieu. Or c'est une pratique d'origine juive ou islamique avant d'être chrétienne. Al ou El est un de ces Noms, le Aleph hébreu correspondant à notre A, vocalisé A ou E dans un mot.

- De mieux en mieux, s'exclama Guillaume, j'ai cherché le sens du mot sébile, c'est une coupe pour collecter l'offrande ou aumône. Mais le plus intéressant est que ce mot serait d'origine arabe, une déformation de « sabil Allah » (chemin de Dieu) prononcé sabila.

- Graal, Chemin de Dieu, c'est trop beau! dit Bernard. Mais j'y pense, la coupe et la corbeille, ça me rappelle les Mystères antiques, Démeter, Dionysos et compagnie! Cherche donc le mot Ciste, Guillaume, c'était le nom de la corbeille sacrée.

Une minute de recherche lui suffit.

- Mais oui, c'est ça! confirma Guillaume. La Ciste mystique sur les représentations antiques suffisait à exprimer que la scène évoquait un mystère sacré.

 

Les femmes arrivèrent à ce moment, Guillaume proposa de ranger les courses avec Emeline, Bernard m'invita à l'aider pour mettre la table et Brigitte s'affaira à faire chauffer le repas.

A l'apéritif, Bernard dit à Brigitte:

- Tu sais le petit, pardon! Guillaume, a résolu le mystère du Graal! Il peut partir maintenant! Non, je plaisante! Il peut rester jusqu'à la fin de la semaine...

Brigitte haussa les épaules et demanda des explications. Elle conclut:

- Je comprends que rapidement on n'ait plus parlé que du San Graal.

- Oui, ajouta Emeline: San pour enseignement ou sens dont parle Chrétien en l'associant à sa fameuse "conjointure" ou art d'assembler les données pour son récit.

- San Gra Al, dit Guillaume: l'Enseignement du Vase mystique de Dieu. Trop beau, tu as raison Bernard, ma vie peut finir ici pour avoir vu tant de beauté!

- Mange donc ton gratin avant, répondit Bernard, pour ces choses-là il faut prendre son temps et tu as au moins jusqu'à la fin de la semaine!

Nous connaissions l'humour de Bernard et il nous fit rire de bon coeur. Le reste du repas fut très détendu, même si Guillaume semblait souvent perdu dans de profondes méditations.

Emeline était aussi curieuse et passionnée sans forcément le manifester ouvertement. Lorsqu'après le repas elle s'installa au salon, elle invita Guillaume à la rejoindre. Leur conversation fut animée, à peine interrompue par notre arrivée avec un plateau de boissons et de douceurs colorées.

- Allez-y, continuez, leur dit Brigitte, ne vous gênez pas pour nous.

- Merci Maman, dit Emeline, tu es bien bonne et ta connaissance de la religion va peut-être nous aider. Chrétien utilise l'hostie pour représenter le mystère d'abondance spirituelle. Nous nous demandions si c'était utilisé par l'Eglise au XII° siècle pour l'Eucharistie ou si la communion n'était pas plutôt sous les deux espèces du pain et du vin comme nous l'a fait remarquer Papa. (1)

- Oh, c'est un peu confus tout ça, répondit Brigitte, c'est trop compliqué à expliquer ce soir, mais je peux me renseigner.

- Maman! reprit Emeline d'un ton désapprobateur, je te demande une réponse simple pour ce soir.

- Je dirai donc qu'en effet, aux alentours du XI°, XII° siècle l'Eglise évolue et s'efforce de faire comprendre à ses ouailles tentées par diverses superstitions ou hérésies (en particulier le catharisme) qu'on est pas obligé de communier aux deux espèces qui représentent le sang du Christ pour le vin, le corps du Christ pour le pain…

- Ah oui, l'interrompit Emeline, je me souviens, l'hostie représentait le Christ assimilé à Dieu. On pouvait même être condamné pour déicide si on s'en prenait à une hostie consacrée.

- Quelle époque! s'exclama Guillaume, elle me fascine, mais je n'aurai pas aimé y vivre!

- Tu n'aspires pas à la vie de Parzifal? dit Emeline, un barbare sans éducation aucune, prêt à tuer pour des vêtements et accessoires (le chevalier vermeil), mufle envers les femmes, égocentrique sans coeur ignorant du bien et du mal qui après avoir rencontré l'amour et vécu sa vie aventureuse devient un modèle d'homme plein de compassion et de chevalier méritant de devenir roi désigné par le Saint-Esprit! (2)

- Moi en attendant de trouver le truc qui transforme un psychopathe en prince, conclut Bernard, je vais aller dormir du sommeil du juste, avec ma princesse si elle ne se transforme pas en grenouille.

Et il donna un baiser à Brigitte avant de l'emmener par la main. Je les suivis sans tarder laissant les jeunes en tête à tête. 

 

(1) http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1992_num_47_1_279033_t1_0134_0000_000

http://www.sites.univ-rennes2.fr/celam/cetm/Edition%20Hostie/ostie.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Eucharistie#Au_Moyen_.C3.82ge

(2) Voir l'analyse par thèmes de l'histoire de Perceval, sur le site remarquable de Elisabeth Kennel

http://elisabeth.kennel.perso.neuf.fr/principaux_themes.htm

Analyse de Parzival

http://aedes.over-blog.com/pages/etude_sur_le_PARZIVAL_de_Wolfran_Von_Eschenbach-8488901.html

18 octobre 2013

De Perceval à Parzival; l'hostie du Plat sacré et du Lapsi Texillis (Lapsit exillis revu!) (6)

La soirée était douce et la journée avait été calme, Brigitte et Bernard proposèrent une promenade en fin de soirée. Guillaume fut un peu réticent, mais Emeline le taquina:

- Allez viens Perceval, tu pourras chevaucher ton dada en cours de route!

Il se laissa convaincre et ne perdit pas de temps pour aborder son sujet fétiche:

- Je voudrais que tu me dises si j'ai bien compris. Ce que je remarque dans les quêtes de Perceval et Parzival qui selon Eschenbach auraient la même source, c'est qu'elles concernent un jeune homme d'environ 15 ans, sans expérience, puisque les connaissances traditionnelles de son milieu d'origine, y compris chrétiennes ne lui ont pas été transmises par sa mère veuve qui a aussi perdu ses autres fils chevaliers et ne veut pas perdre celui-ci. 

"Pourtant la loi du sang est la plus forte, il est séduit dès sa première rencontre par les chevaliers de la cour du roi Arthur. Il découvre alors les règles de leur monde, mais comme il n'a pas "les codes sociaux" de cet univers, parfois il les comprend mal, d'où la brutalité ou la saveur de certaines situations dans le roman.

- Impeccable, dit Emeline, continue.

- Ce jeune homme ne sait ni qui il est : il ne connaît pas son nom au début du conte; ni d'où il vient : il ne connaît pas l'histoire de son père et pas plus les autres membres de sa famille paternelle; enfin il ne sait pas où il va : il erre cinq ans avant de rencontrer l'ermite qui va lui révéler ce qui va le réorienter dans sa place en ce monde et dans sa famille. 

- Les grandes questions initiatiques traditionnelles, s'exclama Brigitte. 

Guillaume se tut et sembla réfléchir, Emeline reprit:

- Ton analyse est juste. En effet pendant ces cinq ans où son premier désir est d'être chevalier, il est perdu dans l'espace et dans le temps, d'autant qu'il ne fréquente pas l'église, organisatrice des temps quotidiens et saisonniers et donc du temps du Salut.

"Mais tu remarqueras que tout comme au début du roman il rencontre ces chevaliers qui le font changer de destin, il voit alors des pèlerins qui ont renoncé à tout ce qui correspond au monde de la chevalerie pour vivre en accord avec l'église représentée par le saint ermite. Il apprend que celui-ci les attend pour se confesser avant le Vendredi saint, jour crucial de l'année liturgique. A son tour, Perceval désire rencontrer l'ermite qui officie non loin de là, ce qui va changer de nouveau son destin.

Brigitte avait écouté attentivement, elle remarqua:

- Oui, c'est l'histoire initiatique d'un héros sur le modèle de l'Antiquité, le héros doit apprendre à se connaître, connaître le monde dans lequel il évolue, se surpasser pour faire éclater les limites de son monde jusqu'à explorer l'Autre Monde, en revenir victorieux pour assumer son destin qui lui impose de sacrifier ses ambitions personnelles et parfois sa vie selon les lois sacrées.

"Ainsi il est apte à revenir oeuvrer en ce monde sans s'y enfermer et surtout par ses actes et sa personnalité nouvelle il peut gagner une place d'honneur dans l'autre monde où il devient un dieu ou un héros pour la postérité.

- Mais pour Perceval ou Parzival, reprit Emeline, il ne s'agit pas seulement d'assurer leur avenir ou leur Salut personnel, ils ont une responsabilité envers leur famille, leur peuple et la nature elle-même. Si la Grâce de Dieu les élit, c'est pour qu'ils la fassent rejaillir autour d'eux afin de sauver leur monde selon la conception ancienne de la royauté, mais peut-être aussi de façon plus globale d'assurer le Salut universel. 

- D'autant que la conception chrétienne sous-jacente à l'époque de Saint Bernard, ajoutai-je, était de faire advenir la Jérusalem terrestre dans ce monde, à l'image de la Jérusalem céleste.

- En effet, confirma Emeline, et l'Autre monde dans l'histoire de Perceval et Parzival est à la fois le merveilleux celtique ou oriental et les choses saintes de la religion chrétienne, ces dernières finissant par l'emporter. 

- Oui, intervint Guillaume, tout change lorsqu'après ces épreuves, l'ermite l'informe et le réoriente, le remet dans le droit chemin non plus de la chevalerie courtoise et profane incarnée par contraste par Gauvain, mais de la chevalerie célestielle.

- Et vous oubliez le Graal, remarqua Bernard, il apparaît d'abord, et c'est seulement une fois qu'ils l'ont vu ou en ont entendu parlé que les chevaliers se mettent à sa recherche. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ne le méritent pas au départ!

- C'est vrai, dit Emeline, il apparaît dans un contexte féérique à un moment où le héros en ignore tout et ne cherche que "l'aventure" selon les codes du chevalier errant. C'est une grâce accordée à celui qui y est prédestiné, même s'il n'a pas franchi les étapes pour en saisir la nature. D'ailleurs notre héros échoue à en comprendre les enjeux et le mystère, mais dès lors la Quête de cette merveille est lancée pour lui et ceux qui en sont informés.

- Pourtant ces chevaliers qui eux ont compris qu'il ne s'agissait pas d'un objet à posséder, demanda Bernard en donnant un coup de coude malicieux à Guillaume, qu'en attendent-ils encore?

- Dans le Perceval de Chrétien de Troyes, répondit Emeline, le graal est décrit comme un plat qui sert chacun selon son désir. Le père du roi pêcheur désire l'hostie, le graal lui sert l'hostie qui en tant que "nourriture sainte" lui suffit depuis de nombreuses années. L'hostie représente Dieu au Moyen-âge, c'est une façon de signifier que le saint homme accède au Désir suprême qui est celui de Dieu ou des choses divines à l'exclusion de toute autre.

"Et c'est là une expression de la pensée de Saint Augustin reprise par Saint Bernard: Le Désir de Dieu prime tout, c'est Dieu qui inspire le désir et les passions. Nul ne peut chercher Dieu s'il ne l'a d'abord trouvé (conduit par le désir de Dieu pour lui et ses propres désirs).

- C'est simple à mettre en scène! remarqua ironiquement Bernard, on comprend que les premiers romanciers aient eu du mal à finir l'histoire! Mais je croyais que le modèle de Chrétien était breton!

- Disons celte, répondit Emeline, le Graal est effectivement un récipient d'abondance sur le modèle du chaudron celtique, tel celui de Keridwen, la Déesse mère dont la potion dit-on s'appelait gréal, ou celui du Dagda, le Dieu Bon. Mais c'est aussi l'équivalent de la Corne d'abondance du roi du Fleuve qui apparaît comme un pêcheur à Thésée et Pirithoos dans les Métamorphoses d'Ovide. (1)

- Mais oui, s'exclama Guillaume, Chrétien de Troyes a traduit des épisodes des Métamorphoses. Raconte...

- Ces nobles aventuriers sont invités de même dans son Palais et il leur offre abondance de mets servis par de ravissantes nymphes. D'où cette énumération de poissons qui ne sont pas servis par le Graal, dans le Conte de Chrétien de Troyes, évocation probable de cet épisode inspirant.

- Et l'histoire de la pierre? demanda Bernard.

- Dans le Parzival de Von Eschenbach, répondit Emeline, ce n'est plus un plat qui fournit l'abondance de mets, mais une pierre nommée Lapsi Texillis: l'Emblème (bannière) de ceux qui sont tombés. Attention, c'est l'hostie qui donne ses pouvoirs à la pierre, ce n'est pas elle qui fournit l'hostie ce qui l'oppose à la conception de Chrétien!

- Au fait, demanda Brigitte, qui sont les lapsi à l'époque de Wolfram? 

- Un de ses contemporains, répondit Emeline, ecclésiastique dans une abbaye de Flandres, Hélinand de Froidmont, utilise ce mot dans une de ses lettres en latin, langue ecclésiastique de rigueur, adressée à un apostat. Or l'apostasie concerne non seulement celui qui renie ses voeux, mais aussi celui qui ne se soumet pas à l'autorité religieuse.

"Et nous l'avons vu à propos du contexte historique de Wolfram von Eschenbach, c'est la situation des évêques et prélats qui sont désignés par l'Empereur germanique, mais non reconnus par l'autorité papale! Certains chrétiens s'inquiétaient d'ailleurs de la validité des sacrements donnés dans ce cas. Wolfram suggère donc que la pierre des Lapsi tient directement son pouvoir de l'Esprit Saint. Il semble valider la position des tenants du pouvoir impérial (celui de la famille des Hohenstaufen à laquelle appartient son protecteur Hermann de Thuringe) contre le pouvoir sacerdotal de Rome. 

- Ainsi on sait pour qui il roule! s'exclama Bernard.

- Sauf que l'hostie est clairement évocatrice de l'Eucharistie, remarqua Brigitte, et c'est un sacrement de l'Eglise. Alors pour moi, ce n'est pas si clair.

- Et la colombe, c'est l'Esprit-saint, ajouta Bernard.

- Pour comprendre, répondit Emeline, il faut revenir aux origines du christianisme. Jean-Baptiste baptise Jésus dans le Jourdain et la colombe de l'Esprit-Saint apparaît. Jean est dans son rôle, puisqu'il appartient à la tribu des Lévi, la famille des prêtres sacrificateurs de père en fils. Or à l'époque de nombreux juifs attendent une réforme du Temple et Jean l'envisage aussi. Jésus est son cousin et c'est un laïc, officiellement il ne peut être investi du Sacerdoce puisqu'il n'appartient pas à la tribu de Lévi. Mais selon "l'Ordre de Melkisédeq" (ou Melchisédech, Epitre aux Hébreux), celui qui est appelé à la fonction royale peut aussi exercer la fonction sacerdotale. 

"C'est le nouveau projet de Jean qui ne peut l'assumer lui-même exerçant déjà le Sacerdoce, aussi il choisit Jésus appartenant à la tribu royale de David. 

Wikipédia-Chartres

Melkisédeq* à gauche d'Abraham (Moïse est à droite). Wikipédia

- Et oui, ils ont fait coup double, ajouta Bernard, comme ça Jésus sera persécuté en tant que "roi des juifs" menaçant le pouvoir romain et sera condamné par les tenants officiels du pouvoir religieux juif, ça ne pouvait que mal finir!

- Laissons le Bon Berger et revenons à nos moutons, dit Brigitte, je comprends mieux, les empereurs germaniques dans leurs querelles les opposant aux Papes revendiquaient le pouvoir royal et sacerdotal selon l'Ordre de Melkisédeq.

- D'où la colombe venant déposer une hostie sur le Lapsi Texillis aussi nommé Graal le Vendredi-saint! dit Guillaume enthousiaste.

- Et bien voilà, conclut Bernard, et maintenant puisque tout est en ordre, nous allons pouvoir rentrer!

 

(1) Passage des Métamorphoses d'Ovide ici.

Melkisédeq apporte le pain et le vin (corbeille suspendue, coupe).

11 octobre 2013

Contexte historique de Perceval le Gallois ou Conte du Graal et de Parzival. 2° partie

Suite de la 1° partie (à voir ici)

Brigitte vint nous rejoindre avec des boissons fraîches et s'installa près de nous. Elle nous servit puis demanda:

- Alors où en êtes-vous?

- Après avoir fait le point sur le contexte de vie de Chrétien de Troyes, répondit Emeline, nous arrivons à Wolfram von Eschenbach.

On ne sait pas non plus grand chose sur lui, il serait né en 1170 en Franconie, dans l'Empire germanique à Eschenbach, c'était un chevalier libre mais pauvre, il servait les seigneurs de Dürne au château de Wildenberg. Il rejoignit un temps (vers 1203) la cour de Wartburg du landgrave Hermann de Thuringe qui mourut en 1217. 

"Il avait une bonne culture, mais n'avait pas d'éducation latine classique, il pratiquait le français de Chrétien de Troyes, (comme toute l'Europe à l'époque), mais il écrivait en langue allemande. C'était un Minnesanger ou textuellement "chanteur de mémoire", (donc un trouvère, équivalent des troubadours occitans, mais pour le Nord). Ses oeuvres étaient déjà reconnues de son temps, c'était un grand poète.

Il possédait un petit fief avec château à Eschenbach, il y retourna vers la fin de sa vie. Il mourut vers 1220.

- On sait quand il écrivit Parzival? demanda Brigitte.

- Il l'aurait écrit entre 1200 et 1210, répondit Emeline, Hermann de Thuringe lui aurait fourni des manuscrits de Chrétien de Troyes, bien sûr Perceval, mais aussi Guillaume d'Orange (dont on n'a aucun exemplaire). Ce Guillaume est un personnage dont l'aventure a inspiré la Chanson d'Aliscans, chanson de geste française de la fin du XII° siècle.

Wolfram écrivit aussi un Willehalm (2) (Guillaume en allemand) inspiré de l'oeuvre de Chrétien qu'il cite, mais il n'est pas terminé.

- Il était templier? demanda Guillaume

- Il connaissait probablement l'Ordre du Temple, répondit Emeline, car cet Ordre était célèbre et influent à l'époque, mais on n'a pas d'élément pour dire qu'il en aurait fait partie. Il l'évoque dans Parzival sans le citer nommément.

- Sait-on qui est Hermann de Thuringe? demandai-je.

- On a quelques éléments, répondit Emeline, il est né en 1152 et mort en 1217, il est Landgrave, c'est-à-dire l'équivalent de Comte de Thuringe et de plus Comte palatin de Saxe. Et surtout il est rattaché à la famille impériale des Hohenstaufen par sa mère, c'est la famille du mythique empereur Frédéric Barberousse.

- Les empereurs germaniques, nous y voilà, dit Brigitte, je sens le gros morceau!

- Maman, tu peux partir si tu veux, répliqua Emeline un peu vexée.

- Mais non ma chérie, se défendit Brigitte, c'est juste que c'est effectivement important et complexe…, mais passionnant!

Et elle sourit d'une façon irrésistible à sa fille, ce qui la détendit et nous aussi.

- D'accord, admit Emeline, je te rappelle que je ne suis pas ta chérie, mais c'est vrai que la situation à l'époque, fin XII°, début XIII° siècle, est très compliquée dans le Saint Empire romain et germanique. Pour comprendre il faut faire un petit retour en arrière. 

Le Saint Empire est une organisation qui revendique pour l'Empereur un double pouvoir, sacerdotal et royal, (prêtre et roi). L'Empereur nomme donc le Pape, les évêques et les prélats jusqu'à ce que le Pape Grégoire VII, (auteur de la réforme grégorienne) en 1075 revendique le pouvoir pour l'ordre sacerdotal, donc pour le Pape, qu'il déclare seul héritier de l'Empire Romain, grand rêve de domination universelle!

- Ah oui, la fameuse "querelle des investitures", s'exclama Brigitte, tu vois que je connais.

- Oui, le jeu du "qui nomme qui", entre Pape et Empereur pendant quelques siècles dit Emeline en s'adressant à Guillaume ostensiblement!. Autour d'eux les alliances se font et se défont en fonction des intérêts respectifs. C'est une lutte de pouvoir qui mobilise les deux camps à chaque nouvelle élection de Pape ou d'Empereur. Il y aura parfois deux Papes, le champion de l'Empereur est un antipape qui ne passe pas à la postérité et surtout dont les décisions sont invalidées!

- Qui est l'Empereur à l'époque de Wolfram von Eschenbach? demandai-je.

- A l'époque qui nous intéresse, répondit Emeline en regardant sa mère, c'est d'abord le fils du grand empereur Frédéric Barberousse, l'empereur Henri VI. Et lorsqu'il meurt en 1191, il est alors l'empereur le plus puissant depuis Otton I° au X° siècle. 

- Les femmes ont souvent eu un rôle important au XI°et XII° siècles, sais-tu qui était sa femme? demandai-je.

- Constance était l'héritière du royaume de Sicile fondé par son père, Roger II de Sicile dont la famille était originaire de Normandie et venue chercher aventures et fortune en Italie. Elle a eu un fils avec Henri VI qui a échoué à instituer une royauté héréditaire, aussi son élection en 1196 ne règle rien car il n'a que 2 ans! 

- Et qui le remplace? demanda Guillaume.

- C'est là que ça se complique, dit Emeline,  deux prétendants germaniques sont élus rois romains: Philippe de Souabe, héritier indirect de Henri VI et Othon IV. Chacun essaie de mettre en avant sa légitimité par son ascendance royale et la situation reste instable quelques années.

- Comment peuvent-ils avoir autant de droits l'un que l'autre? m'étonnai-je.

- Entre ces deux puissantes familles, répondit Emeline, la guerre de succession commence en 1140 lorsque Conrad III, père de Frédéric Barberousse, de la famille de Hohenstaufen prend le pouvoir contre le chef de la famille des Welf, Henri de Bavière, gendre de l'Empereur Lothaire III qui lui-même avait été nommé grâce à l'appui du Pape. Leur cri de guerre déformé en Italie devient le nom de chaque camp: les Gibelins pour le parti des Hohenstaufen revendiquant le pouvoir impérial et les Guelfes alliés des Papes. Voilà le contexte! 

- D'accord, dit Brigitte, mais Hermann de Thuringe, le protecteur de Wolfram von Eschenbach, sait-on quel est son camp?

-Maman, j'ai déjà dit qu'il appartenait à la famille des Hohenstaufen, répondit Emeline en soupirant, il avait donc à priori tout intérêt à ce que sa famille l'emporte. 

Pour calmer la tension entre la mère et la fille, je suggérai:

- Il serait peut-être intéressant d'examiner Parzifal sous cet angle pour voir comment Wolfram a utilisé ou non cette histoire dans son roman.

- Pour ce soir, je crois que ça suffit, dit Emeline en se levant brutalement, bonsoir.

Brigitte suivit sa fille, j'entendis quelques cris, mais lorsque je gagnai le salon suivie de Guillaume, elles étaient dans les bras l'une de l'autre!

 

 

(Sites en allemand)

 (1) http://www.hs-augsburg.de/~harsch/germanica/Chronologie/13Jh/Wolfram/wol_intr.html

http://www.zeno.org/Literatur/M/Wolfram+von+Eschenbach/Biographie

(2) http://www.literaturwissenschaft-online.uni-kiel.de/veranstaltungen/ringvorlesungen/romane_antike_19jh/Eschenbach_Willehalm.pdf

Publicité
11 octobre 2013

Contexte historique de Perceval le Gallois ou Conte du Graal et de Parzival. 1° partie

Suite de Perceval et Parzival, une même source, des contextes différents (5) à voir ici.

Je rejoignis Emeline et Guillaume après avoir pris congé de mes hôtes. Ils connaissaient la fougue passionnée de leur fille et préféraient renoncer à une soirée "prise de tête". Moi je savais que j'allais découvrir une période fascinante que l'on appelait maintenant la Renaissance du XII° siècle après avoir longtemps vu le Moyen-âge comme un long intermède barbare!

Emeline avait étalé ses notes et documents sur la table afin de pouvoir s'y référer rapidement. Guillaume était assis à sa droite et ils prenaient manifestement tout ça très au sérieux. Je faillis m'éclipser, mais elle me désigna la place à sa gauche et reprit aussitôt son commentaire d'une carte de la France -qui n'existait pas encore en tant que telle- en 1180, placée à côté de la carte des divisions de l'Empire au IX° siècle: 

carte-france-capetiens-1180

http://www.cartesfrance.fr/histoire/cartes-royaume-capetiens/carte-royaume-capetiens-1180.html

843EuropeVerdun_WEB

http://his.nicolas.free.fr/Panorama/PagePanorama.php?mnemo=EmpireCarolingien (au Traité de Verdun, 843)

 

- Je commençais tout juste. La partie ouest (ancienne Francie occidentale) était soumise à un Plantagenêt, Henri II originaire d'Anjou qui était aussi roi d'Angleterre. La reine était la belle et puissante Aliénor d'Aquitaine, épousée après un coup de foudre réciproque. Elle était l'ex-femme du roi Louis VII dont elle avait eu deux filles, son grand-père était le premier troubadour occitan célèbre, le duc d'Aquitaine, Guillaume IX de Poitiers qui s'exprimait en langue d'oc ("oui" en occitan).

"Dans leur prestigieuse cour, le roi Henri II et Aliénor exploitaient à fond le mythe du roi Arthur et les légendes de la "Matière de Bretagne", pleine de merveilleux et de confrontation magiques avec l'Au-delà. En 1191, sous le règne de leur fils, Richard Coeur-de-Lion, les recherches qu'ils avaient entreprises aboutirent: la tombe du Roi Arthur et de Guenièvre fut trouvée à Glastonbury. 

- Comme par hasard, dans un haut lieu druidique puis chrétien d'Angleterre! commenta Guillaume.

- Tout à fait, acquiesça Emeline qui reprit sa description de la carte. Dans la partie centrale, l'ancienne Lotharingie, tu vois le Comté de Champagne. Il est riche, ses foires sont célèbres et sa cour compte entre autres Chrétien de Troyes qui écrit pour la Comtesse Marie, fille d'Aliénor et de Louis VII, épouse de Henri I le Libéral. 

"La Champagne est par ailleurs le berceau du développement ecclésiastique cistercien (avec Saint Bernard de Clairvaux initiateur des Templiers; le Pape de la première croisade Urbain II…) qui rayonne largement dans toute l'Europe.

"Au Nord, le Comté de Flandre est aussi très puissant grâce à un commerce florissant et de célèbres foires. Philippe d'Alsace, comte de Flandre est un familier de Marie de Champagne et Chrétien de Troyes lui doit le manuscrit qui lui inspire Perceval.

"Dans le sud, le Comté de Toulouse entretient des liens avec ses voisins, Provence et surtout nord de l'Espagne. Ils sont alliés dans la lutte contre les Sarrasins avec lesquels ils ont cependant des échanges.

"Enfin le roi des Francs, Louis VII a un tout petit territoire autour de Paris! En troisième noces, en l'absence d'héritier mâle, il a épousé Adèle de Champagne, soeur de Henri I le Libéral, elle lui a donné un fils, le futur Philippe-Auguste.

- Le monde est petit! s'exclama Guillaume

- Tu ne crois pas si bien dire, répondit Emeline, à cette époque, tous les comtés, duchés et royaumes ont tissé des liens familiaux par mariage entre eux, si bien qu'à un moment pour respecter le droit canon (que Louis VII avait utilisé pour se débarrasser d'Aliénor), Philippe-Auguste prendra pour seconde épouse une danoise, puis une tchèque de Moravie! Mais il sera aussi le premier roi à utiliser le titre de roi de France.

"Sur la carte il nous reste à l'est l'ancienne Francie orientale qui est alors l'Empire romain et germanique, (il ne sera appelé Saint-Empire qu'au milieu XIII° siècle sous Frédéric Barberousse). Wolfram von Eschenbach est originaire de Franconie (nord-est sur la carte, sous la légende). Et tu vois au sud, une partie de la Bourgogne et de la Provence est alors incorporée à l'Empire. 

" Maintenant nous allons pouvoir passer à Chrétien de Troyes. On ne connaît pas grand chose de lui, il serait né vers 1135 et mort vers 1183 ou peut-être 1190. C'est à priori un clerc, qui a étudié dans le milieu ecclésiastique les disciplines classiques de l'époque.

"Il est poète à la cour de Champagne et le premier romancier connu à écrire dans une langue romane, il s'exprime en langue d'oïl (oui avec l'accent du nord, cette langue correspond au vieux français). Il maîtrise évidemment le latin et a traduit des oeuvres d'Ovide, le grand poète de l'Antiquité, romain de naissance et féru de culture grecque.

"Il connaît aussi la Matière de Bretagne et contribue à sa popularité grâce à plusieurs romans inspirés de ses thèmes.

"On n'a pas la trace du livre que lui aurait donné Philippe d'Alsace, Comte de Flandre et dont il s'est inspiré pour rédiger aux alentours de 1180 son récit hélas inachevé. 

- On ne sait donc pas non plus ce que devient son Perceval, dit Guillaume. Ni quelles étaient ses motivations profondes pour écrire ce roman.

- Peut-être que Philippe d'Alsace avait des ambitions particulières en commandant cette oeuvre, dis-je. C'était le cas d'autres puissants, comme Henri II d'Angleterre avec le cycle arthurien, les Carolingiens avec les chansons de geste de la Matière de France…, 

- C'est une bonne idée, allons y voir de plus près, confirma Emeline en consultant ses notes. Voilà, Philippe d'Alsace Comte de Flandre, était un grand seigneur, un homme cultivé et influent qui assumait à l'occasion un rôle de diplomate entre les puissants en conflit. Il faut dire que sa famille était apparentée à la famille impériale germanique ainsi qu'aux maisons royales et princières de son temps. Il combattit en Terre Sainte et s'intéressa à l'Orient, tout comme son père, le Comte de Flandre Thierry d'Alsace et sa mère, Sibylle d'Anjou, fille de Foulques V d'Anjou Roi de Jérusalem et tante d'Henri II d'Angleterre. Il n'eut pas d'héritier direct.

"Son père, Thierry d'Alsace qui avait participé vaillamment à la deuxième croisade avait reçu en 1146 une précieuse relique du patriarche de Jérusalem: une ampoule de quelques gouttes du sang du Christ qui fut accueillie dans une immense ferveur populaire à Bruges, un des ports les plus prospères de l'Occident, dont elle accrut ainsi le renom.

Relic_of_the_Holy_Blood_-_Brugges

Relique du Saint-Sang, Bruges (wikipédia)

- La fameuse Basilique du Saint-Sang de Bruges, a été élevée en son honneur, dit Guillaume enthousiaste.

Emeline sourit et reprit:

- Revenons à Philippe d'Alsace. En 1178, revenant de Palestine Louis VII est malade. Il le nomme tuteur de son jeune fils le futur Philippe-Auguste qui lui-même victime d'un accident de chasse frôle la mort, mais finit par guérir avant d'être associé à la couronne et sacré l'année suivante. Il se marie avec une nièce de Philippe d'Alsace puis devient roi en 1180 à la mort de Louis VII, il a alors quinze ans. 

- Et la valeur n'attend pas le nombre des années! dis-je.

- En effet, confirma Emeline, le jeune roi se montre ambitieux et habile, il s'allie à Henri II d'Angleterre pour renforcer ses positions face aux maisons de Flandre et de Champagne. Dès 1181, il rentre en conflit avec Philippe d'Alsace qui prend la tête des barons opposés au roi.

- Serait-il ingrat? demanda Guillaume. 

- Il n'est pas arrêté par les sentiments, c'est sûr, répondit Emeline. En 1182, plus par intérêt que par conviction, pour renflouer les caisses, il expulse les juifs et récupère leurs biens. Mais c'est dans l'air du temps, il est encouragé en ce sens par le Pape Innocent III.

- Et Philippe d'Alsace? dit Guillaume qui ne voulait pas perdre le fil.

- Il se remarie après le décès de sa femme en 1183 avec Mathilde du Portugal, (royaume qui vient d'être créé par le père de celle-ci). Elle est apparentée à la famille du royaume de Bourgogne lié au royaume de Provence jusqu'à leur annexion par l'empire germanique, annexion partielle qui date du début du XI° siècle si vous vous souvenez de la carte.

- Je voulais dire comment ça se passe pour lui dans son conflit avec son ex-protégé, précisa Guillaume.

- J'y viens, répondit Emeline, il négocie la paix avec Philippe-Auguste en 1186. Ils participent ensemble à la troisième croisade en 1190, avec Richard Coeur-de-Lion, devenu roi d'Angleterre depuis la mort de son père Henri II l'année précédente. Il meurt au siège de Saint-Jean d'Acre en 1191. A la mort de sa femme, ses terres reviennent au roi.

- Fin de la Cour de Flandre, commenta Guillaume, je comprends que ça ne les intéresse plus le Conte du Graal!

- Détrompe toi, répondit Emeline. Un moine attaché à la cour de Flandre, Wauchier de Denain écrit les deux premières continuations de Perceval au début du XIII° siècle. Mais s'il poursuit lui aussi dans la voie de la christianisation du Graal, c'est surtout Robert de Boron, un écrivain de Franche-Comté qui avec l'Estoire du Graal écrit vers 1200, donne toute son envergure mythique au Saint-Graal.

- Et la Cour de Champagne, a-t-elle eu une influence dans cette création mythico-religieuse? demandai-je.

- Tu penses aux Comtes de Champagne proches des cisterciens et de l'Ordre du Temple, dit Emeline. C'est vrai qu'il faut aussi examiner ce contexte prestigieux pour comprendre les conditions d'émergence du Conte du Graal.

Donc le premier Comte de Champagne est Hugues I° au début XII° siècle, il est le gendre du roi de France puis en seconde noces le gendre du Comte de Bourgogne. Il a pour ami, Bernard de Clairvaux, jeune noble de 25 ans converti à la vie ecclésiastique et venant de l'abbaye de Cîteaux (Bourgogne). Il lui offre des terres pour créer l'abbaye de Clairvaux qui essaime bientôt en multiples filiales.

"Bernard de Clairvaux est une personnalité tout à fait remarquable, il est régulièrement consulté par les rois et les Papes, on peut dire qu'il domine de sa stature spirituelle et intellectuelle toute la chrétienté (et tous s'y soumettent!). Sa pensée est inspirée par Saint Augustin, Père de l'Eglise du IV° siècle qu'il admire. 

"En 1130, appelé par le roi Louis VI pour régler le schisme qui menace d'ébranler le pouvoir sacerdotal, il choisit le parti du Pape Innocent II, réfugié en France, contre l'antipape Anaclet II soutenu par le roi Roger II de Sicile et auquel il oppose ses racines juives. Mais un peu plus tard il s'opposera aussi aux violences contre les juifs. 

"Pour obéir au Pape qu'il a fait élire en 1145, l'année suivante, malgré ses réticences, avec ardeur il prêche à Vezelay pour la deuxième croisade qui sera emmenée par Louis VII.

A l'époque, il lutte surtout contre l'hérésie cathare répandue en Europe et principalement dans le sud de la France plus tolérant envers les autres confessions: les anciens wisigoths étaient chrétiens ariens, la communauté juive y était active, l'Espagne islamique était proche. Il tente d'abord de convaincre par ses prêches énergiques au milieu du XII° siècle, avant de proposer une répression qui se manifeste à partir de 1208.

- Et il a créé l'Ordre des templiers! dit Guillaume.

- Pas tout à fait, répondit Emeline, c'est Hugues de Payns, Comte de Champagne avec quelques autres grands chevaliers profondément religieux et engagés dans la protection des Lieux Saints de Jérusalem. Mais rapidement sollicité, il donne effectivement à l'Ordre du Temple, une base inédite avec le concept de "moine-soldat" menant une guerre juste au nom de Dieu, et surtout il prépare une Règle de l'Ordre qu'il fait approuver au Concile de Troyes en 1129, ce qui assure à l'Ordre une indépendance des pouvoirs inusitée pour l'époque. 

- Les fondateurs de l'Ordre du Temple sont tous de Champagne? demanda Guillaume.

- Pas seulement, répondit Emeline. On y trouve l'oncle de Bernard, André de Monbard originaire de Bourgogne; Hugues de Payns déjà cité, de Champagne, Godefroy de Saint-Omer de Flandre, il y a aussi un provençal, Rolland et puis d'autres, neuf en tout.

2° partie ici.
11 octobre 2013

Perceval et Parzival, une même source, des contextes différents (5)

Depuis le début du repas,Guillaume attendait le bon moment pour lancer son sujet:

- Merci Brigitte, ton tian provençal est un régal, digne de la table du Graal!

- Mais ma parole, s'exclama Bernard, il ne pense plus qu'à ça ce garçon! Il paraît que cette quête occupe déjà tout ton temps libre.

Guillaume regarda Brigitte en rougissant, soudain conscient qu'il profitait peut-être trop largement des opportunités offertes par cette maison. Mais elle le réconforta d'un joli sourire et dit:

- C'est fabuleux, il est entré dans une autre dimension…

- C'est ça, se réjouit Annelise, il a ouvert les portes du Temps et il est en route pour…

Emeline l'interrompit d'un ton très sérieux:

- Allons, il cherche juste le Graal.

On se mit tous à rire, Guillaume le premier reprit son sérieux et se défendit:

- J'ai juste besoin de comprendre, mais en ce moment je ne sais même plus ce que je peux chercher. Vous avez remarqué que les auteurs de Perceval et Parzival, ont à priori une même source, mais ne racontent pas la même histoire.

- Ils ne vivaient pas à la même époque? demanda Annelise.

- Si, affirma Brigitte, Chrétien de Troyes est mort fin XII° siècle, Wolfram von Eschenbach début XIII°. Mais Emeline pourrait nous en dire plus, c'est son sujet d'étude.

- Je vous connais, dit Emeline, vous allez me brancher sur ma passion, mais vous allez décrocher et peut-être même vous moquer de moi. Je n'en parlerai pas à table. Pour ceux que ça intéresse, soirée histoire moyenâgeuse au programme!

- Moi je me souviens, dit Bernard soudain inspiré, d'une visite à la superbe Abbatiale romane de Sainte-Foy-de-Conques (1) qui date justement du XI°, XII° siècle. On nous avait présenté ce qui est considéré comme la première représentation du Graal sur le  reliquaire du Pape Pascal II qui avait aussi donné des privilèges à l'Abbaye de Conques lui permettant de devenir un prestigieux centre de pèlerinage au Moyen-âge, sur la route de Saint-Jacques-de-Compostelle.

art-roman-conques

Ecoinçon de Sainte-Foy-de-Conques, Calice

(photo entière sur: http://www.art-roman-conques.fr/parcours4.html)

Brigitte se leva pour aller chercher un livre dans sa bibliothèque-bureau.

- Oui, ajouta Brigitte en montrant la page correspondante, tu as raison, il date tout juste de 1100, le reliquaire est en métaux précieux sculptés, un vrai trésor à lui tout seul. Mais il avait été réalisé pour contenir les reliques les plus précieuses pour un temps qui en était si friand: un morceau de la Vraie Croix et un morceau du Tombeau du Christ. 

- Moi je ne suis pas très convaincu, dit Bernard, un calice sous les pieds de la Vierge, une corbeille sous les pieds de Jean, qui fait quoi?

- Une belle évocation du Mystère, répondis-je en souriant. C'est impressionnant!

Brigitte reprit:

- C'était ce qu'il se faisait de mieux dans cette période euphorisante de la première croisade prêchée en France cinq ans auparavant par Urbain II, le prédécesseur de Pascal II. C'est un témoignage de ce mouvement d'une force incroyable qui a soudain mobilisé le peuple puis les chevaliers, les princes et les rois en Europe, pour un même objectif: rendre les lieux saints de la vie et de la mort du Christ aux chrétiens.

- Donc le Graal aurait été découvert lors de la première croisade? demanda Guillaume.

- Mais dit Annelise, je croyais que le Graal était païen et plutôt celte.

- C'est en effet étonnant, remarqua Emeline, chaque religion ou croyance peut se l'approprier. Mais tu as raison Annelise, Chrétien de Troyes place clairement son Graal dans un contexte de rituel de royauté païen secondairement christianisé, ce n'est pas pour rien que Perceval est aussi nommé "le Gallois". C'est vrai aussi que la fortune du mot Graal lui-même a commencé à l'époque des croisades.

- Il a disparu un moment me semble-t-il, suggéra Brigitte.

- Ah c'est sûr, plaisanta Bernard et on ne l'a toujours pas retrouvé, mais tous les espoirs sont permis. N'est-ce-pas Guillaume, tu vas bien finir par mettre la main dessus!

- La main, j'en doute, répondit modestement Guillaume, je me contenterai d'en approcher le mystère.

- Joli, apprécia Emeline, mais pour répondre à Maman, c'était peut-être un effet de mode, car si le Graal a donné lieu à des oeuvres multiples tout au long du XIII° siècle, son thème a effectivement disparu au XIV° avant de revenir en force depuis le XIX° avec la période romantique. Ce symbole a cristallisé toutes les aspirations humaines, en contexte chrétien au départ et maintenant ça continue dans nos sociétés matérialistes, hautement technologiques et fascinées par le virtuel informatique!

- En fin de compte, remarqua Bernard en s'adressant encore à Guillaume, tu pourrais peut-être commencer par te demander quels effets ou résultats tu attendrais si tu étais en face de l'objet Graal que tu cherches.

- La fortune, dit rêveusement Annelise.

- Pour ça il vaut mieux jouer au loto, répliqua Bernard.

- Le Graal donnait l'Abondance, remarqua Emeline, c'était le même concept.

- Va pour l'Abondance, dit Guillaume, mais nous sommes dans une société d'abondance et il est clair que ça ne suffit pas. J'aimerai savoir quelle est ma place, ce que je peux faire de ma vie qui ait du sens.

- Donc l'Abondance, le sens de la vie et puis? relança Brigitte.

- Me sentir à ma place, relié à une dimension supérieure et aux autres, ajouta Guillaume.  

- Oh, ça c'est l'amour, conclut Annelise, rien de nouveau sous le soleil, mais c'est beau en effet et moi je suis d'accord!

- Le Graal mettait en relation avec Dieu dans les romans médiévaux. Et pour nous un peu de pensée magique ne fait de mal à personne, conclut Emeline. Maintenant soirée histoire dans une demi-heure, avis aux amateurs! 

(1) Abbatiale de Conques, photos et commentaires sur deux sites remarquables:

http://www.art-roman.net/rouergue/rouergue.htm

http://www.art-roman-conques.fr/reliquaire.html

 

(2) Chronologie des oeuvres du cycle arthurien et du Graal

http://cena12arthur.metawiki.com/oeuvreschrono

 

 VOIR EN Documents ici, Contexte historique de Perceval le Gallois ou Conte du Graal et de Parzival. 

7 octobre 2013

Les lapsi et le Maître Kyot de Wolfram von Eschenbach (4)

Juste avant le repas, Guillaume vint me voir pour me faire part de ses découvertes.

Il avait interrogé Emeline, intrigué par sa traduction du Lapsi Texillis mis en évidence par son père, la "Bannière de ceux qui sont tombés". Or dire que cela ne se traduisait pas c'était une façon d'attirer l'attention sur cette formule pour le moins… lapidaire!

Le terme de "lapsi" avait été utilisé dans l'histoire pour désigner les évêques ou prêtres chrétiens qui avaient renié leur foi pendant les persécutions romaines du III° siècle, et qui après le changement de politique à leur encontre, voulurent reprendre leur poste. Mais des chrétiens se nommant "purs" s'étaient alors révoltés arguant du fait que les sacrements délivrés par les lapsi n'avaient plus de valeur. Ces puristes étaient les Nestoriens puis Donatistes, du nom de leurs leaders; leurs pratiques religieuses mettaient l'accent sur le Saint-Esprit. Ils finirent par être marginalisés ou chassés par l'Eglise romaine, mais ils émigrèrent jusqu'en Asie où on les retrouvera à la cour de Gengis Khan, en Arménie… reprenant même des relations avec les Papes.

Plus près de nous, la bataille entre les "purs" et l'église romaine acceptant les "lapsi" fut très violente au point qu'en Afrique du Nord, ils favorisèrent au V° siècle l'installation des Vandales, chrétiens ariens - donc aussi opposés aux doctrines de Rome - venant d'Espagne d'où ils étaient chassés par les Wisigoths. Ils participèrent à la persécution des catholiques ralliés au pouvoir impérial romain chrétien et Saint Augustin, un des Pères de l'Eglise y perdra la vie. (1)

Au VI° siècle, les Vandales furent vaincus, leur royaume récupéré par l'Empire byzantin. Les survivants ainsi que des juifs persécutés en même temps se réfugièrent dans les tribus berbères. La tradition orale garda le souvenir d'un royaume chrétien avec la Reine berbère de Seita. Elle serait morte lors de la persécution des chrétiens par les musulmans alliés aux juifs au VII° siècle. 

Dès le début du VIII° siècle suite à une bataille de chefs dans le clan wisigoth, l'un d'eux fit appel aux berbères islamisés qu'il considérait comme appartenant à une sorte de secte chrétienne. Les musulmans ou maures, profitèrent des faiblesses des wisigoths pour s'installer jusque dans la province de Septimanie (qui deviendra la Provence). Repoussés en 732 par Charles Martel, ils refluent en Espagne où ils vont rester plusieurs siècles. 

L'histoire des berbères chrétiens a été rédigée au XI°, XII° siècle par un rabbin et apparaît sous le nom de Manuscrit de Toledano (2) (nom de famille en rapport avec sa ville d'origine, Tolède).

Guillaume prit alors une traduction de Parzival et l'ouvrit à une page marquée. Il me dit:

- Ecoute bien, Eschenbach, dit qu'il tient cette histoire de Kyot, un chrétien, découvreur d'un manuscrit païen à Tolède.(2) Kyot dut en apprendre l'alphabet - il était donc écrit dans une langue étrangère - et la nécromancie. Cette dernière est la magie liée aux morts. Faut-il entendre qu'il s'agit de rituel maure, c'est-à-dire arabe?

- Bien sûr, dis-je, dans une autre traduction (Tonnelat) de Parzifal, le mot "païen" correspond en fait au mot "arabe".

- Je poursuis, dit Guillaume, d'après Kyot, c'est Flégétanis qui a écrit l'histoire du Graal, juif descendant de Salomon, mais païen par son père, adorant un veau - donc comme les égyptiens, le veau étant la forme d'un nouveau cycle du soleil et de la lune dans le culte d'Osiris-Apis. (4)

phine

APIS (http://phine.chez.com/mythologie/Egypthologie/apis.htm)

Flégétanis était un astronome, il vit dans les constellations des signes mystérieux et le nom de GRAAL LUI APPARUT CLAIREMENT ECRIT DANS LE CIEL.

- Parzival est parcouru de références astronomiques, remarquai-je, avec même des notions en arabe (le nom des planètes par exemple). Le ciel, sa représentation et ses rythmes sont au coeur de toutes les religions, il n'y a rien d'étonnant à ce que le Graal et sa forme de spiritualité s'y réfèrent aussi. Nous en reparlerons plus tard.

- Si tu veux, approuva Guillaume, mais plus j'avance, moins je m'y retrouve. J'ai l'impression que depuis ses débuts en tant qu'objet lié à une culture particulière, le Graal est décrit sous des formes différentes, je n'y comprends plus rien. Que voulaient représenter les gens de l'époque dans laquelle il a été conçu?

- Je crois en effet que c'est une bonne question, dis-je, nous pourrons toujours en parler ce soir avec nos amis.

 

(1) http://invasionsbarbares.free.fr/Page4.htm

http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l'Algérie_dans_l'Antiquité

Histoire judaïsme / égypte, monde arabe:

http://www.monde-diplomatique.fr/2008/08/SAND/16205

(2) http://hiwarmaroc.yuku.com/topic/829/Connaissezvous-la-reine-marocaine-et-chrtienne-Seita#.UkADSOCKV9I

(3) Parzival, § 453

(4) http://fr.wikipedia.org/wiki/Apis

Pour Pline le Jeune ce chiffre de vingt-cinq années correspondait à des calculs astronomiques liés au cycle combiné du soleil et de la lune, dont l'Apis était l'incarnation.

 

 

2 octobre 2013

Le Graal et la magie des pierres (3)

Lorsque je me levai à l'aube du troisième jour dans la maison silencieuse, j'eus la surprise de trouver Guillaume installé devant l'ordinateur de l'espace bureau-bibliothèque de Brigitte qu'elle avait aménagé dans un renfoncement du salon. Plusieurs livres étaient ouverts devant lui et il faisait des recherches sur internet.

Il s'étira quand je le saluai, et sembla heureux de me voir. Il me proposa de nous préparer un café tout en me parlant.  

Trop excité par notre conversation de la veille, il avait voulu prolonger la conversation avec Brigitte qui lui avait conseillé d'aller d'abord dormir et l'avait autorisé à utiliser son matériel dans la journée. Cela faisait une heure qu'il y travaillait. Il me résuma ses recherches.

- Selon les connaissances du Moyen-âge, les vertus des pierres étaient dépendantes des étoiles et planètes. (1) C'était la base d'un savoir astronomique et astrologique, les deux étant liés à l'époque et transmis depuis des siècles, des Sumériens aux arabes puis aux occidentaux.

"Par ailleurs dans l'Antiquité, on pensait que les météorites étaient le support de puissance divine ou même de la présence de dieu ou déesse. (2) D'où les croyances attachées aux bétyles, comme la pierre noire de la Kaaba ou la pierre grecque transportée à Rome et associée à Cybèle (3). On prenait certaines pierres taillées au paléolithique pour des météorites, donc des pierres sacrées. C'était le cas en particulier de la calcédoine dont l'agate est une des formes, et le Calice de Valence assimilé à la Coupe de la Céne est en agate.

- Il existe des pierres d'émeraude? demandai-je.

- J'y viens, reprit Guillaume, il existe des pierres vertes formées lors d'une chute de météorites, elles sont  appelées moldavites depuis le XIX° siècle, mais auparavant on les appelait émeraudes de Bohème, leur lieu d'origine. Elles étaient taillées et connues depuis le paléolithique. Elles sont de petite taille (moins de 10 cm) et sont de plus en plus rares.(4)

moldavite-lumieredesanges

Emeraude de Bohême, Moldavite (lumieredesanges.forums-gratuits.fr)

- Tu penses que le Graal aurait été taillé dans une moldavite? demandai-je.

- Pourquoi pas? répondit Guillaume, n'oublions pas que c'est Wolfram Von Eschenbach qui a parlé d'une pierre aux propriétés extraordinaires. 

- C'est vrai qu'il était originaire de Bavière, proche de cette région et l'étymologie de bavarois est "homme de Bohême", remarquai-je. 

- Oui, répliqua Guillaume, il connaissait sûrement à la fois ces émeraudes de Bohême et les verreries installées dans la région depuis le XI° siècle, réputées pour la qualité exceptionnelle de leurs productions! Quant aux propriétés de la pierre elle-même, d'après les lithothérapeutes modernes, elles sont exceptionnelles: la moldavite était connue comme étant la pierre universelle des anciens guérisseurs russes, elle favorise la modification d'état de conscience et donc l'accès aux dimensions spirituelles en vue de l'unité universelle. Elle reste toujours pure, elle ouvre le centre du coeur, centre de la compassion et harmonise l'ensemble des centres d'énergie ou chakras en équilibrant énergies cosmiques et énergies terrestres. Est-ce que ça ne ressemble pas à certaines des capacités de la Pierre du Graal?  

 

Je souris sans rien répondre. Guillaume sembla soudain moins enthousiaste et ajouta:

- Bon, on n'a pas trouvé de calice d'émeraude de Bohême dans l'environnement du Christ. Par contre il y a autre chose sur le lapsit exillis ou lapsi texillis du Parzival de Von Eschenbach. Je vais continuer à chercher.

 

Bernard et Brigitte nous rejoignirent et nous proposèrent de partager le petit déjeuner, après les délices de l'esprit, les joies de l'amitié et de la table, nous étions comblés!

 

(1) http://e-spania.revues.org/144

(2) http://www.science-et-magie.com/archives02num/sm59/5901pierres.pdf

(3) http://fr.wikipedia.org/wiki/Bétyle

(4) http://www.joyaux-de-cibele.com/page59.html# 

 

Publicité
Publicité
Newsletter
Derniers commentaires
Archives
Publicité