Le gardien de « l’Objet » nous propose de découvrir comment nos ancêtres ont élaboré progressivement le culte des martyrs, des saints et des lieux saints de la chrétienté afin de comprendre l’importance de l’Objet et du lieu sacré qui l’a abrité, dans la conscience collective et la vie d’autrefois.
SIXIEME ETAPE : CULTE DES SAINTS.
L’événement des Croisades est le point culminant de ce culte des saints, mais avant d’en arriver à ces épisodes qui ont bouleversé en profondeur l’histoire occidentale au nom des Lieux Saints chrétiens, il nous faut revenir aux débuts du christianisme.
1/ Croisades, croisés et lieux saints.
Le culte des martyrs et des saints.
Sous la domination romaine, les premiers chrétiens ont été persécutés pour leur foi. Ceux qui sont morts au nom de leur religion (du mot grec martus signifiant « témoin ») sont les martyrs.
Au fur et à mesure de l’élaboration d’une religion chrétienne bien caractérisée, apparaissent à partir du II° siècle, des croyances qui font de la mort une véritable naissance à la Vie éternelle et des martyrs les successeurs du Christ.
Au début du IV° le christianisme désormais autorisé sur les territoires romains par l’Edit de Milan dit « de Constantin », se développe et le culte des reliques de martyrs s’étend, d’abord localement. Ces reliques ont une valeur sacrée, voire surnaturelle pour les populations de l'époque. L’expansion du christianisme touche principalement les villes et s’accompagne d’une véritable prolifération de saints, nouveaux modèles remplaçant les héros antiques et leurs cultes.
Ce phénomène s’accroît encore après la chute de l’Empire Romain d’Occident (476). En réaction à l’anarchie et aux invasions qui se succèdent alors, les religieux forts de leur pouvoir spirituel sur les rois et de leur impact matériel (par la possession de terres liées aux monastères, abbayes…) prennent le relais de l’organisation romaine.
Ainsi au VI° siècle, le culte des saints est en plein essor, soutenu par la floraison de la littérature hagiographique (sur la vie des saints) et la diffusion de reliques venues de lieux saints chrétiens. Les évêques organisent l’expansion des cités, des bourgs autour de tombeaux de saints en l’honneur desquels ils font construire des basiliques puis des églises. Le culte des reliques sera à l’origine des pèlerinages et de l’enrichissement des lieux saints les plus visités.
Aussi partir du IX° avec l’augmentation du pouvoir pontifical de Rome, on assiste à un véritable trafic de reliques (qui sont alors fragmentées en petits morceaux!): les monastères, les abbayes les plus riches se procurent à grands frais des reliques de martyrs ou des premiers papes.
Pour en savoir plus, cliquez sur l’image.
Les pèlerinages.
Les pèlerinages sont attestés depuis la plus haute antiquité. On en retrouve la trace dans les anciens textes de Mésopotamie, Egypte, Grèce…
Ils empruntent et tracent des voies de circulation, d’échange et de transmission qui contribuent à fonder les civilisations et à tisser des liens dans l’espace et le temps ne serait-ce que par la tenue de fêtes sacrées cycliques en l’honneur des dieux antiques ou des héros déifiés.
Dans le christianisme, le culte des saints et des reliques est à l’origine du mouvement des pélerinages d’Occident. Ce mouvement est d’ailleurs encouragé dans la Bible, ainsi l'épître aux Hébreux (11, 13) rappelle aux croyants qu'ils sont des étrangers et des voyageurs sur la terre, de nombreux personnages importants ont pérégriné (sont partis en déplacement) dans leur vie (Abraham, Jacob, Moïse).
La visite des lieux importants de la vie du Christ sont recherchés depuis la fin du II° siècle. Ce type de voyage se développe lorsque l’empereur Constantin fait découvrir et mettre en valeur les Lieux Saints de Jérusalem (IV° siècle).
Avec la cessation de la piraterie fin X° siècle le phénomène s'amplifie.
A partir du XI° siècle le système féodal appuyé par l’organisation religieuse offre une certaine stabilité, ce qui favorise les déplacements.
Au Moyen-âge, Jérusalem et Rome sont les principaux lieux de pèlerinage malgré les difficultés de ces voyages.
Pour en savoir plus sur ces grands pèlerinages, cliquez sur l’image.
Le pèlerinage vers Saint-Jacques de Compostelle est plus tardif, il se développe en Espagne à partir du IX°, X° siècle à la suite de la reconquête de l'Espagne chrétienne face aux Sarrasins.
Mais pour l’Europe laborieuse qui se christianise lentement, surtout dans les villages et campagnes, l’essentiel du mouvement pèlerin est local ou régional pour des questions de temps et de moyens, il a lieu lors de la fête d’un saint dédicataire d’une église par exemple (Saint Jacques, Saint Martin…) et remplace le plus souvent des dévotions païennes anciennes après leur christianisation.
QUESTION MYSTÈRE: L'importance des reliques.
Quelle était l’utilisation première des reliques et leur emplacement dans les édifices chrétiens ?
Cliquez pour avoir la réponse "boule-de-gomme".
Reliques et constructions
Le culte des saints et de leurs reliques aboutit donc à la transformation urbaine et contribue à rythmer la vie de la communauté en introduisant la fête des saints ou la commémoration de certaines de leurs interventions plus ou moins miraculeuses dans le calendrier. Ainsi par exemple Saint Laurent: la commémoration d’une victoire importante le jour de cette fête aurait incité Philippe II, Roi d’Espagne à faire construire au XVI° siècle, le palais-monastère de l’Escorial selon une forme de grille pour rappeler le martyr du saint réputé par ailleurs être un « gardien de trésor ».
Les lieux saints
Importants dans toutes les religions, les lieux saints sont identifiés et recherchés comme les lieux privilégiés de rencontre entre le divin et l'humain, séparés (c'est le sens même de «saint»), isolés du reste du territoire des hommes, mais vus comme «centre du monde» par la communauté qui s’y rend. La croyance antique les reconnaît parfois comme des lieux privilégiés de communication entre différents niveaux de réalité cosmique, terrestre, souterrain. Religion et pouvoir spirituel aussi bien que pouvoir temporel, matériel y sont en relation étroite.
Pour les chrétiens, les lieux saints les plus importants sont associés aux épisodes de la vie terrestre de Jésus-Christ. Leur découverte et la construction des édifices commémoratifs permettant le culte remonte à l’empereur Constantin (qui provoque la tenue du concile de Nicée pour fixer les éléments principaux du dogme fondateur du christianisme en 325). Avec l’aide de sa mère Hélène, qui met à jour la Croix du supplice, le tombeau…, l’empereur fera construire le Saint Sépulcre, dit le Tombeau du Christ (où il n’est pas, étant ressuscité!) et autres édifices religieux symboliques.
Pendant des siècles, malgré la longueur, les difficultés et les dangers du voyage au départ de l’Europe, les pèlerins se sont rendus sur les lieux saints de Jérusalem et de Palestine. Leur conquête par les Arabes en 638 ne les affectent guère. Mais un tournant décisif est marqué au XI° siècle avec l’interdiction par les Turcs de l’accès à Jérusalem accompagnée de massacres de pèlerins.
La demande d’aide de l’empereur byzantin de Constantinople incite le Pape Urbain II en 1095 à appeler les Chrétiens d’Occident aux armes pour libérer leurs frères d’Orient.
Pour en savoir plus sur l’archéologie, l’histoire…
des lieux saints de Jérusalem, cliquez sur l’image
La féodalité
L’organisation féodale (feudum en latin signifie « fief »), naît de la désorganisation de l’Empire Romain d’Occident entre V° et VIII° siècle. Le pouvoir est attribué localement à des seigneurs qui sont les vassaux du Roi et sont eux-mêmes pour les plus importants d’entre eux les suzerains de plus petits seigneurs.
Les seigneurs locaux ont un rôle plus important lors des invasions barbares du IX°, X° siècles en raison de l’éclatement de l’Empire Carolingien entre les fils héritiers de Charlemagne. Les comtes, ducs, marquis, barons défendent le territoire et les possessions des nobles ou du clergé en l’absence d’une armée royale centralisée et s’entourent de guerriers à cheval, les chevaliers.
Sous les derniers Rois Carolingiens, certains seigneurs ont d’immenses territoires et deviennent quasiment indépendants du pouvoir royal. Les querelles de pouvoir ou d’extension d’influence entre seigneurs voisins progressent face à un pouvoir royal faible. De fréquentes guerres locales pèsent sur les populations rurales.
Face à ces troubles, l’Eglise forte de son pouvoir spirituel (l’excommunication, étymologiquement « mettre hors de la société », est une sanction redoutée) impose la Paix de Dieu au X, XI° siècle afin de moraliser les mœurs et de canaliser l’usage de la violence. L’Eglise encourage le développement des valeurs de la chevalerie et pose les bases morales de la société médiévale.
Cependant elle sait utiliser la guerre en fonction de ses objectifs et de ses propres intérêts. C’est ainsi que l’idée même de Paix de Dieu peut être considérée comme une étape préalable à l’idée de la Croisade.
Au XI° siècle les chrétiens se considèrent comme frères et sont encouragés à s’unir pour combattre les hérétiques. Ce mouvement concernera d’abord les ennemis en terre étrangère puis les opposants du Pape (croisade contre les Albigeois…).
Pour en savoir plus sur la féodalité, cliquez sur l’image.
Croisades
Le début de la 1° Croisade date de 1096, en réponse à l’appel lancé du Pape Urbain II, qui s’adresse avant tout à la chevalerie. L’institution de la Paix de Dieu et l’organisation féodale qui fait du chevalier un vassal freine ses ambitions d'aventure et de conquête en Occident. La Croisade lui permet d’accomplir des exploits guerriers en accord avec les préceptes chrétiens. Il œuvre ainsi à son salut tout en exerçant son art de la guerre, de plus il peut disposer de richesses en Orient (biens et terres conquis sur l’ennemi) qui lui sont inaccessibles dans son pays.
Mais le mouvement dès le départ surprend par son ampleur, démontrant une forte aspiration spirituelle au Salut (à la vie éternelle dans l’Au-delà) dont les conditions ne se présentent pas dans la vie quotidienne et un désir de pénitence dans une période de crainte millénariste qui concerne toute une population pauvre (des milliers de pèlerins à pied) et démunie de toute capacité de combat (ils mourront en grand nombre sur le trajet ou seront massacrés en Terre Sainte).
La croisade (qui signifie « prendre la croix », signe distinctif de son engagement) allie les objectifs du pèlerinage aux nécessités de défendre les lieux sacrés de la foi. Jérusalem reste pour les chrétiens le centre du monde spirituel où ils peuvent vénérer la «vraie» croix du supplice du Christ, se recueillir devant le calvaire et le Saint-Sépulcre.
Elle aboutit en 1099 à la fondation d’Etats latins d’Orient et à la prise de Jérusalem dont Baudouin II devient roi après la mort de son frère Godefroi de Bouillon.
La défense de ces États est à l'origine de l'organisation des sept autres croisades principales jusqu’en 1291, date de leur perte au profit des musulmans.
Cependant en Occident, malgré la perte des territoires et positions fortes, les bénéfices, autant matériels que culturels, semblent énormes. L’Europe mobilisée par cet engagement réalise dès le début du XIIe siècle des progrès techniques, économiques et militaires, conditions de son expansion dans le monde et de sa domination qui va s’imposer sur la Méditerranée.
Par ailleurs la rencontre de la culture orientale, l’installation de croisés en terre d’Orient a profondément changé l’organisation sociale et politique. En Occident les biens et richesses sont principalement terriens, pour partir, équiper les hommes, les croisés doivent céder leurs terres aux monastères, abbayes qui étendent ainsi leur pouvoir matériel. Des ordres religieux militaires sont fondés pour protéger et prendre soin des pèlerins de la Terre Sainte (Hospitaliers, Templiers en 1118)
Les Templiers gagneront en importance jusqu’à leur disparition début XIV° siècle. Ils seront déterminants dans l’organisation des transports y compris maritimes, des finances en assurant une fonction de banquiers internationaux, des constructions d’églises, de châteaux et commanderies ; dans le développement de la culture et de l’architecture en particulier gothique.
Pour en savoir plus sur les Croisades, cliquez sur l’image
Souvenirs des croisades.
Notre gardien de l’Objet attire notre attention sur quelques apports originaux liés à la période des Croisades.
Les drapeaux
Les chevaliers au retour des croisades en Europe utilisent de plus en plus les drapeaux, surtout à partir du XI° siècle. Ils servent de signe d’identification et de ralliement grâce à la représentation d’armoiries ou de symboles distinctifs tandis que les armures ne permettent pas de se reconnaître sur le terrain.
Par la suite, l’usage du drapeau se généralisera à d’autres groupes. Ainsi un des drapeaux les plus originaux est celui des pirates : le Jolly Roger ou pavillon noir comportant un crâne sur deux tibias croisés. Il est surtout signalé à partir du XVII° siècle.
Les Os et le Crâne
Cependant cette représentation particulière de crâne et tibias croisés ("Skull and Bones" en Anglais) n’est pas uniquement un signe de piraterie. On la retrouve dans l’art chrétien sur les crucifix à partir du Moyen-âge.
Voir document pdf à télécharger:
http://www.muse.ucl.ac.be/medias/docs/D11342.pdf
Courrier du Musée de Louvain-la-neuve, n° 8 fin 2008
Cette même représentation se retrouvera aussi dans le contexte de la Franc-Maçonnerie constituée au XVIII° siècle, héritière de la culture des « maçons-libres » (Free-massons en anglais) constructeurs de cathédrales du Moyen-âge. Voir ainsi le tableau de Courbet, Un enterrement à Ornans (1850)
Symbole du Christ
Les tibias croisés et le crâne, forment la lettre Grecque "Khi" ou "Chi", et la lettre "Rho" sous forme du "P". Ces lettres sont un symbole du mot Christ sous sa forme en Grec.
C’est aussi le graphisme du Chrisme, symbole chrétien répandu en Orient surtout depuis Constantin et utilisé dans l’architecture sacrée des églises et éléments chrétiens en Europe.
Pour en savoir plus sur le Chrisme, cliquez sur l’image
Tombes de croisés ou de pirates ?
Lorsque les croisés ont découvert à Jérusalem les tombes attribuées à des proches de Jésus ou ses apôtres (tombes juives des premiers siècles), ils ont été frappés par la disposition des ossuaires avec les os longs (tibias) en croix et le crâne contrastant sur l’amas des autres os. On retrouvera cette représentation particulière sur des tombes d’anciens croisés dans les cimetières anciens.
Pour en savoir plus sur le Golgotha
(lieu du Crâne connu comme lieu de la crucifixion),
cliquez sur l’image
ENIGME CASSE-TÊTE : Le jour des jours.
La fin de la 3° Croisade est datée du 29 Novembre 1192. En quoi est-elle une journée tout à fait spéciale ?
Pour la réponse Eclaire-tête, cliquez sur l'image.
Références