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AMOUR TROUBADOUR EN CHANTANT
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  • Quête de connaissances oubliées avec un esprit troubadour. Partage de contes poétiques et de poèmes-chants d'amour, illustrés de photos de nature, pour célébrer l'Amour, la vie et les troubadours.
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18 octobre 2013

De Perceval à Parzival; l'hostie du Plat sacré et du Lapsi Texillis (Lapsit exillis revu!) (6)

La soirée était douce et la journée avait été calme, Brigitte et Bernard proposèrent une promenade en fin de soirée. Guillaume fut un peu réticent, mais Emeline le taquina:

- Allez viens Perceval, tu pourras chevaucher ton dada en cours de route!

Il se laissa convaincre et ne perdit pas de temps pour aborder son sujet fétiche:

- Je voudrais que tu me dises si j'ai bien compris. Ce que je remarque dans les quêtes de Perceval et Parzival qui selon Eschenbach auraient la même source, c'est qu'elles concernent un jeune homme d'environ 15 ans, sans expérience, puisque les connaissances traditionnelles de son milieu d'origine, y compris chrétiennes ne lui ont pas été transmises par sa mère veuve qui a aussi perdu ses autres fils chevaliers et ne veut pas perdre celui-ci. 

"Pourtant la loi du sang est la plus forte, il est séduit dès sa première rencontre par les chevaliers de la cour du roi Arthur. Il découvre alors les règles de leur monde, mais comme il n'a pas "les codes sociaux" de cet univers, parfois il les comprend mal, d'où la brutalité ou la saveur de certaines situations dans le roman.

- Impeccable, dit Emeline, continue.

- Ce jeune homme ne sait ni qui il est : il ne connaît pas son nom au début du conte; ni d'où il vient : il ne connaît pas l'histoire de son père et pas plus les autres membres de sa famille paternelle; enfin il ne sait pas où il va : il erre cinq ans avant de rencontrer l'ermite qui va lui révéler ce qui va le réorienter dans sa place en ce monde et dans sa famille. 

- Les grandes questions initiatiques traditionnelles, s'exclama Brigitte. 

Guillaume se tut et sembla réfléchir, Emeline reprit:

- Ton analyse est juste. En effet pendant ces cinq ans où son premier désir est d'être chevalier, il est perdu dans l'espace et dans le temps, d'autant qu'il ne fréquente pas l'église, organisatrice des temps quotidiens et saisonniers et donc du temps du Salut.

"Mais tu remarqueras que tout comme au début du roman il rencontre ces chevaliers qui le font changer de destin, il voit alors des pèlerins qui ont renoncé à tout ce qui correspond au monde de la chevalerie pour vivre en accord avec l'église représentée par le saint ermite. Il apprend que celui-ci les attend pour se confesser avant le Vendredi saint, jour crucial de l'année liturgique. A son tour, Perceval désire rencontrer l'ermite qui officie non loin de là, ce qui va changer de nouveau son destin.

Brigitte avait écouté attentivement, elle remarqua:

- Oui, c'est l'histoire initiatique d'un héros sur le modèle de l'Antiquité, le héros doit apprendre à se connaître, connaître le monde dans lequel il évolue, se surpasser pour faire éclater les limites de son monde jusqu'à explorer l'Autre Monde, en revenir victorieux pour assumer son destin qui lui impose de sacrifier ses ambitions personnelles et parfois sa vie selon les lois sacrées.

"Ainsi il est apte à revenir oeuvrer en ce monde sans s'y enfermer et surtout par ses actes et sa personnalité nouvelle il peut gagner une place d'honneur dans l'autre monde où il devient un dieu ou un héros pour la postérité.

- Mais pour Perceval ou Parzival, reprit Emeline, il ne s'agit pas seulement d'assurer leur avenir ou leur Salut personnel, ils ont une responsabilité envers leur famille, leur peuple et la nature elle-même. Si la Grâce de Dieu les élit, c'est pour qu'ils la fassent rejaillir autour d'eux afin de sauver leur monde selon la conception ancienne de la royauté, mais peut-être aussi de façon plus globale d'assurer le Salut universel. 

- D'autant que la conception chrétienne sous-jacente à l'époque de Saint Bernard, ajoutai-je, était de faire advenir la Jérusalem terrestre dans ce monde, à l'image de la Jérusalem céleste.

- En effet, confirma Emeline, et l'Autre monde dans l'histoire de Perceval et Parzival est à la fois le merveilleux celtique ou oriental et les choses saintes de la religion chrétienne, ces dernières finissant par l'emporter. 

- Oui, intervint Guillaume, tout change lorsqu'après ces épreuves, l'ermite l'informe et le réoriente, le remet dans le droit chemin non plus de la chevalerie courtoise et profane incarnée par contraste par Gauvain, mais de la chevalerie célestielle.

- Et vous oubliez le Graal, remarqua Bernard, il apparaît d'abord, et c'est seulement une fois qu'ils l'ont vu ou en ont entendu parlé que les chevaliers se mettent à sa recherche. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ne le méritent pas au départ!

- C'est vrai, dit Emeline, il apparaît dans un contexte féérique à un moment où le héros en ignore tout et ne cherche que "l'aventure" selon les codes du chevalier errant. C'est une grâce accordée à celui qui y est prédestiné, même s'il n'a pas franchi les étapes pour en saisir la nature. D'ailleurs notre héros échoue à en comprendre les enjeux et le mystère, mais dès lors la Quête de cette merveille est lancée pour lui et ceux qui en sont informés.

- Pourtant ces chevaliers qui eux ont compris qu'il ne s'agissait pas d'un objet à posséder, demanda Bernard en donnant un coup de coude malicieux à Guillaume, qu'en attendent-ils encore?

- Dans le Perceval de Chrétien de Troyes, répondit Emeline, le graal est décrit comme un plat qui sert chacun selon son désir. Le père du roi pêcheur désire l'hostie, le graal lui sert l'hostie qui en tant que "nourriture sainte" lui suffit depuis de nombreuses années. L'hostie représente Dieu au Moyen-âge, c'est une façon de signifier que le saint homme accède au Désir suprême qui est celui de Dieu ou des choses divines à l'exclusion de toute autre.

"Et c'est là une expression de la pensée de Saint Augustin reprise par Saint Bernard: Le Désir de Dieu prime tout, c'est Dieu qui inspire le désir et les passions. Nul ne peut chercher Dieu s'il ne l'a d'abord trouvé (conduit par le désir de Dieu pour lui et ses propres désirs).

- C'est simple à mettre en scène! remarqua ironiquement Bernard, on comprend que les premiers romanciers aient eu du mal à finir l'histoire! Mais je croyais que le modèle de Chrétien était breton!

- Disons celte, répondit Emeline, le Graal est effectivement un récipient d'abondance sur le modèle du chaudron celtique, tel celui de Keridwen, la Déesse mère dont la potion dit-on s'appelait gréal, ou celui du Dagda, le Dieu Bon. Mais c'est aussi l'équivalent de la Corne d'abondance du roi du Fleuve qui apparaît comme un pêcheur à Thésée et Pirithoos dans les Métamorphoses d'Ovide. (1)

- Mais oui, s'exclama Guillaume, Chrétien de Troyes a traduit des épisodes des Métamorphoses. Raconte...

- Ces nobles aventuriers sont invités de même dans son Palais et il leur offre abondance de mets servis par de ravissantes nymphes. D'où cette énumération de poissons qui ne sont pas servis par le Graal, dans le Conte de Chrétien de Troyes, évocation probable de cet épisode inspirant.

- Et l'histoire de la pierre? demanda Bernard.

- Dans le Parzival de Von Eschenbach, répondit Emeline, ce n'est plus un plat qui fournit l'abondance de mets, mais une pierre nommée Lapsi Texillis: l'Emblème (bannière) de ceux qui sont tombés. Attention, c'est l'hostie qui donne ses pouvoirs à la pierre, ce n'est pas elle qui fournit l'hostie ce qui l'oppose à la conception de Chrétien!

- Au fait, demanda Brigitte, qui sont les lapsi à l'époque de Wolfram? 

- Un de ses contemporains, répondit Emeline, ecclésiastique dans une abbaye de Flandres, Hélinand de Froidmont, utilise ce mot dans une de ses lettres en latin, langue ecclésiastique de rigueur, adressée à un apostat. Or l'apostasie concerne non seulement celui qui renie ses voeux, mais aussi celui qui ne se soumet pas à l'autorité religieuse.

"Et nous l'avons vu à propos du contexte historique de Wolfram von Eschenbach, c'est la situation des évêques et prélats qui sont désignés par l'Empereur germanique, mais non reconnus par l'autorité papale! Certains chrétiens s'inquiétaient d'ailleurs de la validité des sacrements donnés dans ce cas. Wolfram suggère donc que la pierre des Lapsi tient directement son pouvoir de l'Esprit Saint. Il semble valider la position des tenants du pouvoir impérial (celui de la famille des Hohenstaufen à laquelle appartient son protecteur Hermann de Thuringe) contre le pouvoir sacerdotal de Rome. 

- Ainsi on sait pour qui il roule! s'exclama Bernard.

- Sauf que l'hostie est clairement évocatrice de l'Eucharistie, remarqua Brigitte, et c'est un sacrement de l'Eglise. Alors pour moi, ce n'est pas si clair.

- Et la colombe, c'est l'Esprit-saint, ajouta Bernard.

- Pour comprendre, répondit Emeline, il faut revenir aux origines du christianisme. Jean-Baptiste baptise Jésus dans le Jourdain et la colombe de l'Esprit-Saint apparaît. Jean est dans son rôle, puisqu'il appartient à la tribu des Lévi, la famille des prêtres sacrificateurs de père en fils. Or à l'époque de nombreux juifs attendent une réforme du Temple et Jean l'envisage aussi. Jésus est son cousin et c'est un laïc, officiellement il ne peut être investi du Sacerdoce puisqu'il n'appartient pas à la tribu de Lévi. Mais selon "l'Ordre de Melkisédeq" (ou Melchisédech, Epitre aux Hébreux), celui qui est appelé à la fonction royale peut aussi exercer la fonction sacerdotale. 

"C'est le nouveau projet de Jean qui ne peut l'assumer lui-même exerçant déjà le Sacerdoce, aussi il choisit Jésus appartenant à la tribu royale de David. 

Wikipédia-Chartres

Melkisédeq* à gauche d'Abraham (Moïse est à droite). Wikipédia

- Et oui, ils ont fait coup double, ajouta Bernard, comme ça Jésus sera persécuté en tant que "roi des juifs" menaçant le pouvoir romain et sera condamné par les tenants officiels du pouvoir religieux juif, ça ne pouvait que mal finir!

- Laissons le Bon Berger et revenons à nos moutons, dit Brigitte, je comprends mieux, les empereurs germaniques dans leurs querelles les opposant aux Papes revendiquaient le pouvoir royal et sacerdotal selon l'Ordre de Melkisédeq.

- D'où la colombe venant déposer une hostie sur le Lapsi Texillis aussi nommé Graal le Vendredi-saint! dit Guillaume enthousiaste.

- Et bien voilà, conclut Bernard, et maintenant puisque tout est en ordre, nous allons pouvoir rentrer!

 

(1) Passage des Métamorphoses d'Ovide ici.

Melkisédeq apporte le pain et le vin (corbeille suspendue, coupe).

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