Tréhorenteuc et la Chapelle du Graal 8. Le secret du chemin de croix de l'Abbé Gillard

9 août 2012

Tréhorenteuc et la Chapelle du Graal 8. Le secret du chemin de croix de l'Abbé Gillard

Lorsque Fernand nous rejoignit, je cherchais avec l'aide d'Abdul - et d'un conteur local de passage à la maison des Questeurs - à identifier sur une carte du territoire de Tréhorenteuc, les lieux de décor des différentes stations du Chemin de Croix conçu par l'Abbé Gillard. Connaissant l'Abbé et son goût pour le symbolisme, ce n'était sûrement pas anodin. En suivant ses indications nous avions rejoint la tradition hébraïque; où nous mènerait la projection du chemin de croix, en cette terre de tradition bretonne?

Carte du territoire de Tréhorenteuc (Géoportail) Ph 1

Fernand était accompagné de son amie de petite taille qui semblait le suivre régulièrement depuis la réunion des Questeurs. Il la présenta comme une jeune femme passionnée par la légende du Graal, elle s'appelait Lorrikey. Après quelques échanges sympathiques sur nos projets, elle nous quitta rapidement nous laissant poursuivre.

Voici la liste des lieux et des stations du chemin de croix de la Chapelle du Graal de Tréhorenteuc
(Localisés sur la carte plus bas (C))
1 Jésus est condamné à mort
Décor : Jérusalem

2 Jésus est chargé de sa Croix
Décor : la Cour du presbytère de Tréhorenteuc: sur la carte (C), près de 92 et 1 dans un cercle rouge.

3 Jésus tombe sous le poids de sa Croix
Décor : Prairie de la Rue Neuve de Tréhorenteuc où Onenne garde ses oies: (C) P R

4 Jésus rencontre sa très Sainte Mère
Décor : devant le Manoir de Rue Neuve, partie extérieure: (C) Anc manoir

5 Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa Croix
Décor : correspond à l'endroit où le 48° parallèle coupe la limite entre Morbihan et Ille-et-Vilaine sur le territoire de Tréhorenteuc (voir Géoportail): (C) 48°

6 Une femme pieuse essuie la face de Jésus
Décor : Jérusalem

7 Jésus tombe pour la seconde fois
Décor : Point d'arrêt des touristes: (C) P sous P R

8 Jésus console les filles de Jérusalem
Décor : Cour du Manoir Rue Neuve (Vue intérieure du château), donc juste à côté du point 4

9 Jésus tombe pour la troisième fois
Décor : Rochers du Val sans retour : (C) R

10 Jésus est dépouillé de ses vêtements
11 Jésus est cloué sur la Croix
12 Jésus meurt sur la Croix
Décor : Rocher de Romette (et environs): à priori dans le même environnement que les rochers surplombant le Val sans retour, mais nul d'entre nous ne pouvait le localiser avec exactitude (si vous le savez, merci de me l'indiquer par un commentaire en bas du message).

13 Jésus est descendu de la Croix et remis à sa Mère
Décor : Miroir des fées (C) M le Miroir aux Fées

14 Jésus est mis au tombeau
Décor : environnement de l'étang de l'ancien moulin à papier de Tréhorenteuc. D'après notre conteur, il était situé près du pont à la sortie du village : (C) M près de P
Abdul affirmait que c'était plus près du Miroir aux fées.

Pour les photos des stations, voir sur les messages précédents, ici.

Voici la localisation sur la carte (Topoguides):

Tréhorenteuc-environs (TopoGuides)

J'identifiais un axe Nord Sud regroupant les points 2, 3, 4, 5, puis 7, 8 et 14.
Abdul me conseilla de placer loin à l'est les points 1 et 6 correspondant aux décors de Jérusalem. (L'Est est traditionnellement la direction de Jérusalem).
Voici le résultat:

Fernand et Abdul semblaient contents, mais je ne comprenais pas ce dessin: un axe et une forme accolée qui pouvait être sphérique? Etait-ce un Oeuf, l'oeuf cosmique des druides? Quand je leur demandai, ils applaudirent en plaisantant, mais ils m'encouragèrent à poursuivre en me disant que j'étais sur la bonne voie! Pourtant comme je n'avançais pas, Fernand me donna ce schéma:

Cela ressemblait donc à un chrisme. Un peu comme celui-là:

Wikipedia-Chrismemosaiquepoitiers

En reliant tous les points des lieux des stations du chemin de croix et en y incluant les points 1 et 6 représentant Jérusalem, j'obtenais en effet la moitié d'un chrisme qui semblait à l'envers!

Carte du Chemin de Croix dans Tréhorenteuc

Je le retournais pour vérifier, ce n'était pas un chrisme inversé. Abdul me dit qu'il était retourné comme dans un miroir!

Je me souvins alors que le N formé en suivant l'ordre des vitraux de sainte Onenne était aussi inversé ou retourné : tracé de droite à gauche et non dans le sens habituel. Y avait-il une signification voulue?
Fernand se moquait de ces élucubrations intellectuelles, mais Abdul semblait vouloir que je continue à explorer ces données. Je décidais d'y consacrer encore un peu d'attention, Fernand haussa les épaules en maugréant que je perdais mon temps, il me recommanda cependant, pour ne pas m'égarer, de ne pas perdre de vue les racines bretonnes locales.
Si Fernand nous quitta de mauvaise humeur, Abdul au contraire se réjouit, pour une fois qu'il rencontrait une personne assez curieuse pour le suivre sur son terrain! Notre recherche se poursuivit avec enthousiasme!

Nous avions donc dans la partie ouest de l'église, chapelle du Graal, l'évocation de deux figures, le monogramme de la Vierge (voir sur un précédent message ici) et le monogramme du Christ ou Chrisme. Jusqu'à quel point étaient-elles liées... ou non?

Le monogramme A V M peut être tracé à partir de deux chrismes tournés d'un quart et juxtaposés:
(Voir ici)

AVM ou IMAI

C'est aussi le monogramme de Jésus Marie Joseph unissant les trois personnes de la Sainte Famille (Monogramme de compagnons et/ou sulpiciens) (1), I M A I :
I EU (Jésus avec E inversé en forme triangle)
MAIA (Maria)
IOE (Jose(ph))

Je repris le plan de l'église, l'emplacement du chemin de croix épousait l'espace occupé par les vitraux de sainte Onenne, avec un début opposé. (Nord pour la Station I, Sud pour le vitrail 1)

Plan des vitraux et du chemin de croix

Selon Abdul le N inversé est bien connu en milieu chrétien, on le retrouve par exemple sur l'inscription INRI du Titulus de la croix de crucifixion du Christ. Il signalerait un aspect de tradition ancienne cachée aux profanes ou aux "non curieux". On le retrouve aussi sur certaines cartes de tarot anciennes. Voir le chapitre N inversé ici.

Le monogramme de l'Ave Maria sous sa forme des lettres AV accolées forme aussi un N.

N inversé ou retourné
Je voyais deux indications possibles fournies par ce signe.
La première me disait : "Retourne en toi" et c'était une invitation à méditer c'est-à-dire "se mettre au milieu". Avec Fernand j'avais vécu la méditation du corps qui conduit à l'âme, avec Abdul je vivais la méditation de l'esprit, y avait-il un autre point d'accès?

La seconde proposait : "Retourne à l'origine", la tradition hébraïque et en effet le Aleph hébreu ressemble à un N. (2)
Ses principales significations sont:
. Un (Yahvé)
. Boeuf et le joug des boeufs (pensons à la station V du chemin de croix de Tréhorenteuc)
. Maître, enseignement
. Silence

Silence indispensable pour la méditation. Mais dans le silence et la lumière des vitraux, j'entendis le MURMURE... de la Salutation
Ave Maria (AM ou AVM), c'était le salut de l'Ange à Marie en tant que future mère du Christ, du VERBE (Logos).
C'est l'Annonciation, l'annonce de la naissance à venir.
C'est lors de l'équinoxe de printemps la promesse du solstice d'hiver où naît le nouveau soleil, la LUMIÈRE.
Ave Maria correspond en grec à la formule "Réjouis-toi" Marie. Réjouis-toi s'écrit XAIPE en grec (et se prononce caïré).

Le P est le rho grec, R. Et en fait Xaipo signifie "être en bonne santé".
Cette formule se voit sur des tombeaux de pythagoriciens. C'est un VOEU de Salut (Salus en latin), il est parfois associé à la formule "Porte-toi bien", Hygeia ou Ugeia, traduite en latin par Vale, ce qui concluait les lettres des auteurs classiques!
Xaipe (prononcé Caire) est en fait un Salut, salut à la Lumière matinale. (3)

C'est un voeu de retour à la lumière naissante assimilée à la "renaissance", c'est donc au figuré un voeu de Salut au sens de "se sauver", être sauvé, (les pythagoriciens croyaient en une forme de réincarnation).

A noter que notre salut, ce banal bonjour auquel personne ne prête attention est du même ordre : c'est saluer en chaque personne la Lumière de ce jour nouveau qui nous est donné ici et maintenant et lui offrir un voeu de salut (de l'âme et ... du corps).
Se souhaiter le Bon Jour, quand on sait que "en indo-européen Diew/ Deiwos signifie “Ciel Blanc, Ciel Clair, Jour”" Mandon, c'est bien saluer l'aspect divin en l'autre et dans le Jour!
Abdul me signala que dans des cultures traditionnelles ce rituel existait toujours: ainsi en Inde, le salut au soleil se retrouve dans le yoga (qui a le sens de joug, symbole d'union!) et dans le salut rituel appelé Namasté: les mains jointes à plat au-dessus de la tête, on salue Dieu, les mains devant le visage, on salue le guide spirituel et avec les mains devant la poitrine, on salue nos semblables.

Abdul joignit aussitôt le geste à la parole et ce fut un moment magique entre nous, une communion des âmes à partir du coeur et hors du temps!

Mais revenons aux grecs. Le voeu pythagoricien associé à XAIPE était UGEIA, assimilée à une déesse de l'Hygiène au sens de bonne santé, c'était un symbole de vie et il était représenté par l'étoile pythagoricienne à cinq branches, une lettre représentant un aspect du cosmos sur chaque pointes. (4)

Nous n'avons pas trouvé de représentation graphique associée au Voeu du Salut (xaipe, xairo), mais sachant l'importance de la Tétraktys représentant entre autres la structure du monde par le nombre dix, nous avons associé une forme basée sur le cinq à ce voeu de salut. Nous avons obtenu ces figures (création originale):

Cela ressemble à des chrismes! Pour le Xaipe cela n'a rien d'étonnant puisque le chrisme est un symbole associé à la Lumière (du soleil en particulier) avant d'être attribué à Constantin (le Labarum) puis au Christ. On sait que le Labarum était gravé sur les boucliers des soldats, comme un talisman pour leur salut, on comprend pourquoi!
Avant le Christ, le Chrisme était considéré comme le symbole de Chrestos, χρηστός signifiant "de bon augure". (5)

Les Chrismes de Tréhorenteuc
Le chemin de croix nous montre un demi-chrisme inversé vertical. Sur le second vitrail de la vie de sainte Onenne dans l'église (le baiser de la Vierge), on voit un demi-Chrisme horizontal.

Nous avons superposé l'AVM et le demi-chrisme inversé sur le plan de l'église. La forme de la "Porte étroite" se trouvait dans la lumière de la porte sud. (6)

Plan avec AVM et chrisme

Et si les deux chrismes se complétaient? Voici les formes-miroir obtenues:

Voir ci-dessous A, B, C

(A) Chrisme "géographique" du chemin de croix: forme de coeur, lieu de méditation privilégié pour relier l'âme au divin.

(B) Chrisme du vitrail: forme en losange ou ovale (C) évoquant le signe du féminin.

Les monogrammes ou symboles du Christ (christogrammes) sont principalement le Chrisme et le poisson, Ichtus (IXOYE en grec) parfois associés dans leurs représentations.
Le chrisme aurait été un symbole de la Grande Déesse avant d'être celui des dieux solaires. (7) Le losange était la forme de la Rune Ing, rune du dieu de la fertilité Ingwi.

Abdul évoqua alors l'oeuf cosmique dont nous avions parlé avec Fernand, justement l'oeuf d'Ingwi, dont le nom a été déformé en oeuf d'anguille, l'ovus anguinum de Pline.

Je me souvenais que Brocéliande était le Mont de l'anguille!
Et la Grande déesse parèdre du dieu Ingwi était Freya, l'équivalent de Vénus! (8)

Nous venions d'évoquer une rune, Abdul me montra l'alphabet runique où je reconnus sous forme d'un N une autre rune: la Hagal ou Hagalaz, nommée la Rune mère et aussi représentée sous forme de chrisme, de fleur ou d'étoile à six pointes. (9)

Nous avions trouvé le lien avec la tradition bretonne médiévale, l'alphabet runique était utilisé en même temps que l'alphabet latin par les anglo-saxons (bretons et germains) jusqu'au XI° siècle.