Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
AMOUR TROUBADOUR EN CHANTANT
AMOUR TROUBADOUR EN CHANTANT
AMOUR TROUBADOUR EN CHANTANT
  • Quête de connaissances oubliées avec un esprit troubadour. Partage de contes poétiques et de poèmes-chants d'amour, illustrés de photos de nature, pour célébrer l'Amour, la vie et les troubadours.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
9 mars 2013

LE SALUT DE LORREKEY

Chapitre VIII Roman du Graal dévoilé

Le temps avait passé rapidement, entrelaçant mes activités quotidiennes, des recherches complémentaires, un travail spirituel guidé à distance par Abdul et des nouvelles épisodiques de mes amis bretons.

Suivant les conseils d'Abdul je m'exerçai chaque jour à progresser dans la Pleine conscience en devenant attentive aux sensations de mon corps en même temps qu'aux expressions de mon mental. Il m'apprenait à m'ouvrir aux informations venant de mon inconscient pour les examiner en conscience avant de les juger à priori.

Il m'apprit à différencier l'attitude primaire mimétique de conformisme mental qui consiste à faire les choses parce que d'autres le font; l'empathie qui reste centrée sur le moi tout en faisant en sorte que la relation et la communication soit satisfaisante et le plus efficace possible; la compassion qui touche au spirituel dans la Pleine Conscience en référence non plus au moi, mais à l'Etre, le Soi, l'Un.

Vaste programme dont je franchissais grâce à lui étape après étape en débutante maladroite bien que motivée, encouragée à reprendre là où j'en étais à chaque pas de côté.

 

Un jour je reçus un appel, manifestement j'étais prête, je rejoignis mes amis à Tréhorenteuc.

Et au soir de la plus longue nuit de l'hiver, Abdul et quelques Questeurs de Brocéliande vinrent me chercher. C'était le moment tant attendu, Lorrekey, Fernand, Merlin étaient déjà sur place, couverts de grandes capes et près d'un feu. Abdul resta éloigné avec deux compagnons, ils devaient patrouiller afin d'éviter toute intrusion pouvant troubler l'événement.

La nuit était douce pour la saison, mais il pleuvait par intermittence et les nuages impressionnants filaient rapidement dans le ciel laissant apparaître par moment la voûte étoilée. Une grande bâche nous abritait avec un peu de matériel pour nous permettre de vivre cette nuit exceptionnelle au mieux pendant qu'une partie du monde appréhendait sa fin et une autre se réjouissait d'entrer dans un nouveau cycle du Temps.

Florian, un des Questeurs déjà rencontré chez Abdul, se tenait près de moi et me désignant Fernand, Lorrekey et Merlin, il commenta:
- Avec ce rituel, trois deviennent douze, chacun rassemble en un seul point, en son coeur, au centre, Corps, Âme, Esprit. Lorsque ces trois sont unis en conscience et dans l'Amour, alors chacun rencontre son double, puis les deux polarités masculines et féminines de l'être se réunissent pour former un être complet.
- Et pour faire douze, demandai-je?
Florian répondit patiemment:
- En chacun, les quatre composants, Corps, Âme, Esprit et Double sont rassemblés au Centre-Coeur de l'être. Or il sont trois…

J'étais un peu confuse de ne pas avoir compris d'emblée, mais je devais rapidement me centrer, je fixai mon attention sur Lorrekey avec tout l'amour que je pouvais éprouver. Soudain, je vis Merlin prendre une autre dimension, le changement était subtil, mais ce fut une certitude, MERLIN était maintenant parmi nous…

Toute la nuit, des averses entrecoupées de belles éclaircies se succédèrent et lorsque les nuages se dissipaient, nous contemplions la grande roue des constellations autour de la Polaire.

Nous étions la plupart du temps dans un état second en communion avec Lorrekey. Au milieu de la nuit, Abdul nous rejoignit et se mit immédiatement en méditation.
Au petit matin, je devins pleinement attentive au moindre bruit, aux moindres sensations fournies par mon corps en éveil. Et le lever du soleil fut un moment magique, comme une renaissance… qui donna lieu à de bruyantes réjouissances après un Salut au soleil et à chacun de nous.
Lorsque le silence revint, Fernand, Lorrekey et Merlin avaient disparu. Abdul donna le signal de fin de cérémonie et supervisa le nettoyage du site avant de rentrer.

Je revis Fernand un peu plus tard dans la journée, Lorrekey avait réussi et la joie qu'il en avait prenait le pas sur le manque de sa présence. Il me dit qu'elle aurait pour toujours les traits de sa bien-aimée au fond de son coeur et qu'il serait en son nom un Fidèle d'amour lui aussi. Comme Merlin qui avait fini par s'unir à Viviane, il avait progressé sur la Voie d'Amour, Lorrekey était sa soeur mystique pour le grand mariage des âmes.

Lorrekey avait été pour nous la clé ouvrant la porte de la tradition, le lore ou lorre, grâce à elle nous avions vu l'harmonie entre macrocosme et microcosme... Désormais l'Autre monde qu'elle avait enfin retrouvé ne nous était plus complètement étranger.

Ma quête de Merlin au sein des neuf cercles qui l'enserraient avait été fructueuse. La légende disait bien que Merlin s'était retiré du monde, mais restait à disposition de ceux qui voulaient ardemment le rencontrer dans leur quête du Graal. Et j'avais rencontré Merlin l'homme qui avait pris la dimension de Merlin, archétype analogue à l'Anthropos de la civilisation païenne, Homme-dieu du temps d'Abondance.

Le temps des adieux était venu, le matin de mon départ Clarance vint vers moi et je fus surprise de la voir en compagnie de Florian. Ce fut une belle occasion de rire lorsqu'elle m'apprit qu'ils étaient mariés! Florian m'offrit les bons voeux de ses compagnons des Questeurs. Abdul lui avait confié une enveloppe à me remettre et je lui demandai de transmettre en retour mes remerciements pour tout ce qu'il avait fait pour moi. Nous étions d'accord pour dire que c'était un homme hors du commun, un intellectuel de haut vol pratiquant aussi à un haut niveau la compassion, avec un sens du service désintéressé. Il savait laisser la Vie agir en lui plutôt que d'agir par lui-même. Selon Florian, sa devise était :
Fais ce que doit
Advienne que pourra,
La Vie y pourvoira.

Je lui demandai aussi de saluer Fernand pour moi, j'avais appris à le connaître sans m'arrêter à son apparence et à l'apprécier. Florian le confirma en souriant, il gagnait à être connu et lui aussi était sur la bonne voie, certes plus dans l'empathie, mais grâce à Lorrekey, tout comme moi il avait progressé en capacité de compassion.

Des bruits de pas précipités nous firent alors nous retourner, Fernand arrivait échevelé, les cheveux mouillés, mais propre et vêtu de vêtements corrects à sa taille. Florian qui l'avait vu le premier dit en souriant:

- Tiens, on dirait le chevalier au Cygne...

Il avançait en faisant de grands gestes en notre direction. Il était heureux de me revoir une dernière fois. Il avait un message de Lorrekey pour moi, il sortit précautionneusement de sa poche un petit emballage de carton dans une enveloppe froissée, c'était un brin de gui: une branchette avec une graine nacrée entourée de deux feuilles d'un beau vert-doré au sommet. Elle avait tenu parole et m'avait transmis le signe de son Salut! Fernand me regardait attentivement avec les yeux humides. Il dit:

- Toi aussi tu pars, je te souhaite bonne chance.

Il m'offrit aussitôt un grand Salut auquel je répondis de même, puis il me prit dans ses bras. Son enthousiasme était communicatif, Florian et Clarance m'embrassèrent aussi, mais je les laissai pour prendre la route.

Lors de ma première pause, j'ouvris l'enveloppe remise par Abdul, elle contenait trois feuillets représentant un trésor inestimable au sujet d'un carré magique! Abdul érudit et magicien, MERCI.

Je n'oublierai jamais cette fin d'année extraordinaire à plus d'un titre. J'espère avoir su partager avec vous l'essentiel de cette aventure. Qui sait, peut-être verrez-vous à votre tour le Graal? Et pour cela nul besoin de venir en Brocéliande, vous l'aurez compris, le Graal est accessible dans un autre temps que notre temps linéaire moderne, mais en tout lieu…

 

Fin

 

Publicité
8 mars 2013

LE MONDE DE MERLIN, LE GRAAL

Chapitre VII Roman du Graal dévoilé

Abdul me dit que le monde de Merlin correspondait à une vision particulière de l'archétype de l'Homme, vision traditionnelle qui appartenait à un autre temps, presque une autre civilisation dont nous avions oublié les références pour n'en garder qu'un souvenir cristallisé autour de la quête d'un objet mythique, le Graal. Il m'exposa les neuf cercles de Merlin répartis en fonction de cinq éléments, Eau, Terre, Bois, Feu, Air.

 

MONDE DE l'EAU

Cercle de la Mer, Monde du CORPS
Merlin est un homme de la mer près des terres de l'Occident, là où le soleil se couche. Ses noms dérivent de mori-dunon, forteresse de la mer. Le langage des oiseaux a fourni une base pour sa latinisation, l'assimilant au fameux merle blanc, oiseau de magie et de pouvoirs chamaniques, symbole des croyances archaïques d'où émerge le personnage avant sa christianisation au moins partielle.
L'eau salée, donc la mer est le lieu d'apparition de la vie, là où extérieur et intérieur se répondent le mieux: le corps humain est composé de 70% environ d'eau par ailleurs salée!
Merlin a un corps changeant comme l'eau qui prend forme dans un contenu. Il nous fait entrer en pleine conscience dans le monde du corps au-delà des apparences, mais en prêtant attention à toutes ses propriétés. Lorsqu'il devient poisson, il est totalement dans la nature du poisson, de même pour l'oiseau…
Le Monde du CORPS
Le Corps humain récapitule lors de sa formation les étapes de l'évolution animale (phylogenèse), il se transforme avec l'âge, les accidents de la vie. Nous avons donc une apparence et des capacités qui en dépendent. Le corps est le véhicule de notre conscience et nous appréhendons le monde par son intermédiaire.
Merlin nous fait expérimenter les capacités du corps: mouvement et action, énergie, pouvoir de l'apparence. Le corps est le premier niveau de connaissance: en prêtant attention à nos sensations, nous découvrons sa sagesse.

Cercle des Rivières, Monde de la FORME, de l'IMAGINAL (Imagination créatrice)
Merlin vit avec l'eau douce des terres de Brocéliande: la fontaine de Barenton ou l'eau guérisseuse de Folle-Pensée, le lac de la Dame (Viviane à Comper), les rivières Meu ou Mel, le Lac de Trémelin...
Le Monde de la FORME
Tout comme l'eau se transforme (brume, pluie, neige, glace) et change l'aspect des choses (boue, source, fontaine, rivière), la caractéristique principale de Merlin est son pouvoir de métamorphoser les choses et de se métamorphoser sous une apparence humaine d'âges différents ou sous forme animale.

Par la volonté de son esprit, l'imaginal ou imagination créatrice lui permet de projeter des entités spirituelles dans le monde extérieur où elles peuvent se matérialiser. La substance-forme est la base de la réalité physique, elle donne sa forme au corps. (En Inde elle correspond à Shiva)

 

MONDE DE LA TERRE

Cercle des Pierres des Châteaux, Monde de l'ESPRIT, de l'Intellect
Dans le monde féodal de Merlin, les domaines autour des châteaux ou forteresses forment autant d'unités géopolitiques avec des caractéristiques particulières propres au roi ou au seigneur qui les dirigent.
Dans la version de Geoffroy de Monmouth au début du XII° siècle, Merlin est d'ascendance royale, mais un enfant sans père. Son action parmi les hommes se situe dans le monde des châteaux et des intrigues de pouvoir, il s'efforce d'unifier les peuples autour d'un Roi.
Monde de l'ESPRIT
La pensée analytique s'appuie sur la volonté pour diriger la conscience en fonction de l'ensemble des perceptions. Le contrôle de l'esprit exige une discipline et des choix volontaires de comportement qui sont codifiés dans les codes d'honneur en particulier de la Chevalerie du Moyen-âge, Merlin propose la Quête du Graal pour but suprême transcendant.

Cercle des Pierres des Mégalithes, Monde du POUVOIR
Selon Geoffroy de Monmouth, Merlin est le créateur de Stonehenge et sait comment en déplacer les pierres. Il le conçoit comme un monument à la mémoire des guerriers bretons tombés au combat victorieux contre les saxons. Il font ainsi partie du Temple à l'image du cosmos (monde organisé par opposition au chaos) et réintégrés dans l'ordre suprême, ils entrent dans le mythe pour l'éternité et sont une nouvelle force pour le Roi et son peuple.
Ses pouvoirs magiques sont mis au service du collectif et donc des rois pour les conseiller et les aider à unifier et bien gouverner le royaume dans l'intérêt de tous leurs sujets.
Monde du POUVOIR
Le pouvoir de Merlin est à la fois personnel, c'est un personnage puissant et sa puissance s'exerce sur et pour la collectivité. Il peut être comparé au Mana polynésien en tant que vision de l'homme par rapport à un ensemble naturel et humain. C'est une qualité spirituelle qui dépasse l'individu (sous forme d'une entité guide ou "esprit-gardien") et le charge d'une force sacrée impersonnelle, comme une forme supérieure de charisme.

 

MONDE DU BOIS

Cercle des Bois et de la Forêt, Monde de l'OMBRE
En pénétrant dans le bois, Merlin s'extrait du monde des hommes pour entrer dans celui de la Nature, dans son aspect le plus terrifiant, celui de la peur primitive, des animaux sauvages, des apparitions… Merlin y devient le fou des bois, l'homme sauvage.
C'est un monde qui a ses propres lois, où l'homme peut se confronter à sa nature sauvage, mais aussi à sa nature sacrée. Le sanctuaire est dans le bois, porte vers le lieu et le temps des origines, l'Autre Monde!
Monde de l'OMBRE
L'Ombre au sens jungien du terme est la part non-accomplie, non consciente de l'être. Elle se charge pourtant de tous les actes de l'homme et le représente à sa mort, elle est alors selon la tradition populaire "l'âme" que l'on rend au dernier soupir.


MONDE DE FEU

Cercle des Portes de Brocéliande, le Monde AUTRE

Merlin est le maître des passages, comme le minerai de fer passe de la terre au métal par le pouvoir du feu. Passage d'un monde à l'autre, du monde de la cour royale à la nature sauvage, de l'état normal à l'état de folie, du temps ordinaire au temps du dieu,… Mais surtout avec le "coup du Merlin", c'est l'ouverture des portes vers l'Autre Monde, soit au moment de la mort soit au cours d'une initiation qui implique une mort symbolique préalable pour entrer dans un monde sacré. C'est le passage des ténèbres à la lumière dont le soleil est le modèle archétypique: la lumière naît au coeur de la nuit la plus longue de l'année, le solstice d'hiver. 

Monde AUTRE
Merlin est le maître du changement d'état de conscience tout comme le pratiquaient les guerriers de l'Antiquité (fureur sacrée inspirée par leurs dieux). Cette faculté leur fait expérimenter un niveau d'enthousiasme (en-théo où théo signifie dieu) qui peut déboucher sur une transe, une extase (ce qui signifie être littéralement transporté hors de soi-même).
Dans ce monde autre, la conscience explore d'autres dimensions de l'être et de l'univers, les capacités peuvent être décuplées et des voies de connaissance s'ouvrent avec la modification de l'état de conscience.

Cercle des Lieux Sacrés, Monde du DOUBLE
Merlin est associé en plusieurs "hauts-lieux" à Viviane, que ce soit près de la fontaine de Barenton pour la première fois, près de Comper ou même sur les lieux de son "tombeau", là où la magie de Viviane, magie d'amour l'aurait enserré.
Dans les récits arthuriens, la dame est le centre d'attraction pour le chevalier qui lui dédie sa vie et ses aventures. L'amour dans le cadre courtois confère une évolution spirituelle qui conduit à la dimension divine. Pour le héros, la dame représente la partie féminine de son âme à laquelle il doit s'unir dans l'Amour spirituel.

Monde du DOUBLE

Viviane est la parèdre de Merlin, elle est une figure de la grande Déesse et ils sont inséparables. Le double est de l'autre sexe: anima pour l'homme, animus pour la femme. Cette dimension peut faire partie de l'Ombre si elle est refoulée dans l'inconscient. Elle correspond à l'entité qui synthétise tous les événements de la vie de l'humain auquel elle peut apparaître pour le guider ou le tromper selon son degré de conscience.
Elle peut oeuvrer en harmonie avec le Pouvoir personnel que nous avons vu dans le cercle des Pierres Mégalithes, ce qui augmente la puissance de l'individu et lui permet de progresser selon une double polarité féminine et masculine, vocation de l'homme en accomplissement.

 

MONDE D'AIR

Cercle des Personnages et Lieux légendaires, Monde de la DESTINÉE
Merlin est le personnage qui assure le passage d'une civilisation aux croyances païennes à une civilisation qui se christianise. Les chevaliers de la Quête arthurienne représentent de grands archétypes en action vers leur accomplissement de chevalier chrétien instaurant de nouveaux rapports et de nouvelles règles dans la société médiévale. Merlin institue la Table Ronde, modèle archétypique d'organisation cosmique proposé à la cour royale.
Monde de la DESTINÉE
Merlin intervient dans la Toile du Destin (le Wyrd nordique) et ouvre la voie à la Pensée mise en rapport avec le monde de l'Inconscient collectif qui dialogue avec la mémoire personnelle pour une progression globale de l'individu en interaction dans la collectivité.

Cercle des Sphères astrales, Monde de l'ENERGIE VITALE
Merlin est un astronome, astrologue et tout comme Asmodée qui en faisait bénéficier le roi Salomon, il possède ainsi la connaissance de l'Ordre Cosmique, il peut intervenir en fonction de cette connaissance, agir selon des critères échappant à l'homme ordinaire, mais toujours en harmonie avec l'Ordre Cosmique.
Monde de l'ENERGIE VITALE
Merlin est en contact avec l'énergie divine source de la vie, qui meut tout ce qui existe dans l'univers et en particulier les étoiles et les astres. La maîtrise de l'Energie vitale permet d'accéder à de plus hauts niveaux d'existence, de s'harmoniser avec le Soi, l'Etre du Macrocosme.

 

J'étais impressionnée par ce savoir ancien qui dressait le tableau d'une psychologie cohérente des potentialités de l'Homme selon une tradition abandonnée depuis longtemps. Je remerciai Abdul qui était aussi très heureux d'avoir pu ainsi partager ses connaissances élaborées au cours d'années de méditation et de recherches.

Il me dit pour conclure que cette théorie de la Personnalité présentait neuf composantes apparemment distinctes, mais qui devaient être intégrées pour aboutir à l'unification au Soi ou en d'autres termes à l'Anthropos. Et c'était le même principe pour les neuf cases du rectangle de Salomon, les neuf sphères du monde nordique. En milieu chrétien, cet Anthropos était le Christ, non pas Jésus l'homme historique, mais bien le Christ en gloire et en majesté, abondamment représenté dans l'Art roman. 

Pourtant, je lui dis que pour moi les neuf cercles du monde de Merlin représentaient un monde certes passionnant mais qui restait éloigné de mes propres références culturelles et malgré tous mes efforts, encore étranger. Abdul sembla un peu déçu, mais Fernand comprenait et me dit que je devais avoir confiance, ce savoir n'était pas indispensable, la connaissance viendrait lorsque je serai prête.
Lorrekey nous rejoignit à ce moment, elle était enjouée et nous embrassa avec enthousiasme. Elle connaissait la date de son retour possible et était maintenant sûre de sa réussite grâce à notre aide. J'étais à priori celle qui doutait le plus, je n'avais probablement pas assez l'habitude de me centrer sur l'objectif et je me laissais par moment trop envahir par les pensées agitées de mon mental mal maîtrisé…

Serai-je prête au jour fixé? D'ailleurs, quelle était cette date? Mes compagnons le savaient manifestement et cela leur semblait une évidence qui ne faisait que confirmer leurs hypothèses. La Porte des dieux s'ouvrirait ce jour-là d'après la Tradition!

Fernand s'approcha de moi et me dit:
- Garde le coeur pur et tout se passera bien.
- Le coeur pur, c'est finalement l'essentiel, confirma Abdul, et c'est même la voie de la Quête du Graal. La légende le dit avec ses propres images, le coeur pur permet de voir avec l'Oeil du coeur et ainsi, de se connaître à partir de son propre centre.

''Et à partir de ce centre formé en soi de connaître l'Univers, l'Ordre cosmique organisé à partir du Centre céleste.

''Et enfin cela permet de connaître Dieu, pour autant qu'un humain le puisse, à partir de cet accès caché dans le coeur à partir duquel il est possible de remonter jusqu'au Centre, Principe et Origine de toute chose. 

Abdul était manifestement inspiré et si j'avais un peu de mal à tout comprendre, n'était-ce pas ce qu'il m'avait déjà dit de l'Aleph? Fernand dit alors:

- Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'Univers et les dieux... Ah, Sagesse éternelle.

Lorrekey vint à son tour vers moi avec grâce et en posant ses mains à la hauteur de mon coeur, elle me redit:
- Centre de ton coeur, centre sur la Terre, centre du Ciel et que trois deviennent douze. Alors avec l'aide de Merlin nous aurons la vision du Graal et je retrouverai mon monde.
Je plongeai dans son regard clair empli d'amour, soudain tout me sembla évident et je n'eus plus de doute.

Elle ajouta avec un petit sourire: 

- Je sais que dans ton monde lorsqu'on est dans un autre pays on envoie des feuilles de papier. Moi, je te ferai parvenir un signe et tu sauras que je suis bien arrivée, que tout se passe bien pour moi...

Abdul m'appela à ce moment et Lorrekey me laissa en me disant:

- Au travail, on y est presque.

Grâce à Abdul, je retraçai les grandes lignes de l'enseignement traditionnel de sagesse: l'intention alliant la volonté et le désir d'atteindre le but spirituel est la première étape. Elle permet d'accéder à la première sagesse de la Dévotion et ses rituels. Mais indépendamment de toute connotation religieuse, l'adepte entre alors dans un état d'amour inconditionnel, de profonde compassion qui le centre ainsi en lui-même au niveau du Coeur.
La seconde sagesse est celle de l'Intellect, de l'esprit. L'adepte réunit des informations en vue de son objectif, il utilise ses capacités d'analyse logique et sa raison. La Tête s'allie au Coeur.
La troisième sagesse éveille la Conscience lorsque le Corps est uni à l'esprit et au coeur dans l'instant présent, porte de l'éternité.

Lorsque les trois (coeur, esprit, corps) sont harmonisés, "alignés", le corps devient temple c'est-à-dire lieu de communication terre-ciel et l'adepte accède à la vision directe de la réalité ultime de toute chose. En langage moderne c'est la Pleine Conscience.

Et je compris ce que Lorrekey vivait. Le mythe chrétien disait aussi que l'homme par sa chute, son péché (ce qui signifie se détourner de la cible, mal orienter son désir), a perdu le sens de l'éternité. Or c'est la promesse de la vision du Graal: elle le restitue à celui qui en est digne.

Interrompant mes réflexions, Abdul qui voyait bien mes difficultés me dit:
- Les neuf éléments de l'Homme complet ne sont pas une notion si compliquée, mais elle correspond à une culture particulière dont nous sommes éloignés et surtout à une conception de l'homme et du temps fort différentes de la nôtre.
- Comment ça?
- Les anciens selon la Tradition proposaient une éducation, une voie de transformation de l'homme en "honnête homme" ou "gentilhomme", Ahr-man ou Ar-man. On retrouve la racine de ce concept dans Aristocrate, qui désignait à l'origine un homme à l'esprit clair à l'imitation du dieu, Ar signifiant "les Mieux" en indo-européen.
- On retrouve les meilleurs, mais pour la conception du temps? demanda Fernand qui était resté attentif, mais semblait ne pas plus atteindre les hauteurs intellectuelles de notre ami Abdul que moi.
- Il y aurait beaucoup à dire sur le temps tel que le concevaient les anciens. Mais la principale différence pour comprendre ce qui nous intéresse ici est la circularité du temps symbolisée par un serpent se mordant la queue ou par une roue (de moulin ou autre) tournant sans cesse. Les anciens célébraient les cycles cosmiques et qui dit cycle dit retour d'une même configuration. C'était la croyance prédominante dans les sociétés anciennes, non occidentalisées. En Occident au contraire, la conception du temps est linéaire et puisqu'il y a un début, une progression, il existe aussi une fin des temps!

- Le temps est une ligne et une ligne peut se briser! dit Fernand.
- On vit actuellement cette différence de conception, reprit Abdul, les peuples se réclamant des croyances mayas font la fête pour préparer le retour de la déesse qui "remet le temps en marche" d'après une configuration particulière de leur calendrier, tandis que les occidentaux jouent à se faire peur en parlant de la fin du monde plutôt que de la fin d'un calendrier!

- Et ils disent aussi que le temps c'est de l'argent! remarqua Fernand.
- Les Anciens disaient que le temps, c'est de l'abondance, ajouta Abdul, notion que l'on retrouve à propos du Graal sous sa forme de contenant qui propose l'abondance à chacun selon ses désirs, en particulier l'abondance de nourriture si fondamentale en ces temps où planait la menace de la famine. Et cette nourriture bien terrestre, ces mets à volonté idéalisés par les celtes deviennent l'hostie nourrissant l'ancien roi dans les romans du Graal. C'est le "haut-manger", la manne spirituelle, le nouvel idéal des chevaliers du Graal christianisé.
- Le Christ nourrit son peuple d'abord de poissons et de pain, puis de son pain et de son sang, dit Fernand.
- C'est en effet le même concept, confirma Abdul, mais il est bien difficile à comprendre dans sa profondeur symbolique pour les esprits modernes. Les anciens parlaient concrètement, par analogie avec l'Aliment, nous préférons peut-être l'abstraction de la Lumière, la Gloire. Dès l'Ancien testament, la Manne (qui a nourri les hébreux dans le désert) était la révélation sur terre de la Gloire de Dieu. Et Jésus sur le Mont Thabor a été transfiguré par la Lumière, la Gloire divine.

- La Lumière, le soleil, la vie sur terre comme au ciel, dit Fernand d'un ton rêveur.
- Le Soleil est effectivement le symbole central, ainsi la quête du Graal est aussi en rapport avec le point du Ciel où le dieu, le Jour, l'Année renaissent en émergeant de la longue nuit du solstice d'hiver, promesse d'un nouveau cycle d'Abondance. Le Don de vie s'offre en "calice" au Pôle considéré comme centre céleste, point de Gloire du Don des Dieux qui est l'autre nom de la Rune Gebo.

- Je me souviens d'une rune appelé calice en vieil anglais, dis-je, elle associe effectivement la rune du Don des dieux et celle de l'Année ou grand Jour.
- Selon les gnostiques, reprit Abdul, à la fin des temps, le rédempteur remontera aux Cieux, traversant la voûte céleste à l’endroit d’un X gigantesque considéré comme la Croix céleste.

- Un X comme un chrisme, remarqua Fernand.
- Nous avons vu que le Chrisme était un cosmogramme, schéma du Centre et de l'Ordre cosmique. Auparavant cette connaissance cachée était accessible seulement aux initiés. Le Christ la révèle à tous et en permet l'accès en passant par lui. En le suivant, le chrétien partage sa Gloire.


- Tu veux dire que le Chrisme est le Graal? demandai-je.
- Ne va pas trop vite, me recommanda Abdul, regardons un autre aspect du Chrisme d'abord. René Guénon voyait dans la boucle du P (ou Rho en grec), la "signification initiatique de la "porte étroite" permettant… la sortie du Cosmos pour la Délivrance", c'est-à-dire le Salut. Il parlait aussi d'un oeil, porte vers un autre domaine de l'être, le troisième oeil qui donne une autre vision, le sens de l'éternité.
- Oui, dis-je, nous avons déjà vu tous ces éléments.
- Si tu t'en souviens, ce que je vais te dire va t'apparaître comme une évidence, sur le chrisme chrétien nous avons les lettres Alpha (A), Rho (P ), Khi (X), Omega (W), si tu le prononces tu obtiens…
- Arkho, le Principe, l'interrompit Fernand.
 

- Fernand! s'exclama Abdul. Reprenons calmement. En grec, ἄρχω / árkhô, c'est « commander, être le chef », or le Christ est le premier, celui qui mène vers la vie éternelle. Ce terme donne le radical "arché" que l'on retrouve dans les mots arche, archétype, … L'arche, c'est le PRINCIPE de toute chose. C'était le premier mot du premier verset de la Bible dans la Vulgate, (traduction latine de référence). Ce qui donnait traduit en français "Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre". 

- Arche? dit Fernand, comme l'Arche d'alliance.

- Oui, répondit Abdul, mais ne nous égarons pas, plus nous progressons plus il est difficile de rester sur la voie. Et il regarda Fernand qui accusa réception du message implicite de se retenir avec un geste comique de se fermer la bouche à l'aide de ses mains croisées devant.

Je demandai à Abdul détendu par les pitreries de notre compagnon:
- Arché, Principe, Origine et Source divine, cela me semble clair, mais quel lien avec le Graal?
- Dans Parzifal, Von Eschenbach dit que Flégétanis parle le premier du Graal, il a des liens avec le monde arabe et juif et a vu le Graal dans le ciel.

''Le chrisme peut être réduit à trois lettres : Khi (en X); Rho, lettre R; A pour Alpha. Leur correspondance "dans le ciel", en constellation, regroupe : la constellation du Cygne (X, croix du Nord, rune Gebo ou Don des dieux), celle de la Petite Ourse (R ), celle du Taureau-Pléïades (A). Or les Pléïades ou Aldébaran du Taureau étaient le principal repère dans l'année pour les activités rurales.

- KRA - GRA, je comprends, mais Al? demandai-je.
- Nous l'avons déjà vu, c'est le nom de Dieu, Al ou El, et c'est aussi l'Aliment symbolisant l'Abondance! conclut Abdul.
- Tu as oublié de lui parler du Sceau de Salomon, remarqua Fernand, avec le Principe.
- Exact, confirma Abdul, en hébreu le premier mot de la Bible est Bereshit, "dans le Principe" ou "au commencement", mais aussi en araméen, bara shit: Il a créé le six. Le six est le fondement de la Création et c'est le nombre qui correspond au Sceau de Salomon, sous sa forme d'étoile à six branches!
- Grand est le mystère…, ajouta Fernand d'un air très inspiré qui nous fit rire. Et bientôt le laurier reverdira!

Je me souvenais de la couronne de laurier autour de l'allégorie du monde au tarot, de la couronne des empereurs romains et des vainqueurs, mais de quel laurier parlait-il?

Je posai la question, Fernand hocha la tête en souriant, Abdul répondit:
- Pour moi le Laurier dont on parlait était le Labarum ou chrisme constantinien dont on nous dit qu'une de ses significations serait « étendard de laurier ». Et pour nous c'est sûr il reprend vie, d'autant que nous sommes dans les temps prédits par l'un des derniers cathares condamné au bûcher de l'Inquisition.
 

- La science du XXI° siècle éclaire et valide la Vieille Loi, ajouta Fernand, et l'Oie peut renaître de son Oeuf tout neuf...

- Doucement, recommanda Abdul, nous allons te perdre si tu continues! Pour le dire autrement, voir le Principe, c'est-à-dire le mettre au centre de ton esprit en toutes circonstances, c'est accéder du même coup à ce système de cohérence totale qui fournit à chaque moment de la vie un code de conduite, des repères qui mettent l'être humain en Harmonie avec l'Ordre suprême dans la vie comme dans la mort, dans les moments héroïques comme les moments difficiles. Et au bout du compte, l'être est réunifié, en paix avec lui-même, les aléas de sa vie et l'univers dans son entier.

- La Loi de la vieille Oie, oyez, oyez braves gens, déclara Fernand paraissant haranguer une foule immense.

- Le laurier reverdit? demandai-je.

- Viens-voir, me dit Abdul en se dirigeant vers son panneau de photos de chrismes. La Vieille Loi est la Lorre ou le Lore qui a dégénéré en folk-lore ou lore du peuple, mais c'est aussi le lore ou tradition, ensemble de croyances du vieux peuple, c'est-à-dire des païens, hommes de la Terre et de ses cycles. Et la Loi après avoir été absorbée par le christianisme est renouvelée, purifiée, mise en lumière par les avancées de la connaissance de l'homme du XXI° siècle.

Regarde maintenant, ceci est le sceau authentifiant la filiation secrète entre la vieille Loi sous le masque de l'animal Oie et le Christ.

Il me montra un papier où il avait décliné l'acrostiche du nom de Jésus-Christ, Ichtus ou ichtys en grec qui s'écrivait en majuscules: IXOYE, où le O représentait le Thêta grec pour T; E le sigma S majuscule grec!

- Neuf oie(s), sembla déchiffrer Fernand. Pas étonnant que le chrisme XI ou IX représenté par sa moitié supérieure soit assimilée à une patte d'oie.

Je me souvins du demi-chrisme de l'abbé Gillard en bas d'un des vitraux de Sainte Onenne dans l'église de Tréhorenteuc. Abdul se contenta de soupirer avec un léger sourire tout en essuyant ses lunettes. Il reprit:

- Tous les chemins de traverse et les divagations, parfois fort intéressantes pour remonter au Principe, sont possibles. On peut aussi voir autre chose dans le Chrisme, les lettres principales comme je te l'ai montré avec arché, A P X peuvent aussi se lire en latin P A X! La Paix soit avec nous!

Il avait le mot de la fin avec le sourire et Fernand jubilait dans une attitude d'orant, les yeux tournés vers le haut, la bouche ouverte comme un « béat ». 

 

6 mars 2013

DE MERLIN A SALOMON

Chapitre VI Roman du Graal dévoilé

Abdul me proposa donc de me concentrer sur le personnage de Merlin et lorsque Fernand revint il me fournit une piste en me rappelant la sculpture d'Asmodée tenant la structure de la chaire de l'église que nous avions vue à Campénéac, (ex-Brénéan).

Merlin est en effet parfois identifié à Asmodée, à qui on attribue d'anciennes légendes hébraïques. Asmodée y apparaît en démon parfois farceur, mais avec lequel il est possible de lier un pacte pour obtenir le secret de trésors dont il est réputé être le gardien. Il peut aussi enseigner la Géométrie, l'Astronomie, les Mathématiques (les Nombres, Poids et Mesures).

Salomon le fit capturer pour l'utiliser à son profit (avec quelques difficultés) à la construction du Temple, modèle du cosmos et centre du monde, réalisé selon les consignes de Dieu.

Il semblerait que le personnage de Merlin ait hérité en grande partie du fond légendaire associé à Asmodée, le démon de Salomon. Et cela expliquerait beaucoup de choses! En particulier, les talents de constructeur de Merlin (il connaît le problème qui fragilise les tours de Vortigen, il déplace et installe les pierres pour construire Stonehenge, il crée le palais de Viviane), mais aussi l'importance de la coupe sacrée qu'il présente comme but à conquérir en tant qu'instigateur de la quête du Graal.

Rappelons que selon la version chrétienne, Merlin est le fils du démon, qui s'attaque de nuit à sa mère, jeune vierge pieuse. Il agit comme un "incube" dont Asmodée est le chef. Merlin est ainsi soit le fils réel d'Asmodée, soit au moins son héritier sur le plan symbolique.

Par ailleurs, le mot démon est la traduction du grec daïmon. Or le daïmon n'est pas que négatif, ainsi selon l'Encyclopédie Universalis la daïmonologie s'intéresse à des puissances supra ou infrapsychiques (esprits, anges, génies, démons, fravartis, chérubins, fées...) dont l'apparition peut signifier pour l'être humain une rencontre avec son propre destin: salut, tentation, chute, guide, initiation... Il s'agit d'une dimension humaine essentielle.

Des personnages célèbres avaient un daïmon qui les inspiraient, les guidaient, citons en particulier Socrate ou Jung. Abdul quant à lui, pensait que selon cette tradition bien établie dans l'Antiquité, Asmodée était le daïmon personnel de Salomon. Et Merlin en était le dernier avatar en contexte chrétien.

Si nous acceptions le lien de filiation entre Merlin et Asmodée, nous devions chercher l'origine de tout ce légendaire du côté de Salomon. Et de nouveau le travail semblait titanesque. C'est alors que Fernand rappela:
- L'important c'est la coupe sacrée, si nous connaissons la nature de l'objet, tu auras la vision du Graal et ainsi nous aurons la clé de la liberté de Lorrekey!

Avec Abdul, nous nous sommes regardés, il disait ça comme une simple évidence sans se rendre compte de l'énormité du défi. Pourtant Abdul esquissa un sourire et dit:
- Mais c'est bien sûr, il n'y a plus qu'à s'y mettre!
Sans percevoir non plus l'ironie des propos d'Abdul, Fernand fier de son idée se mit à danser sur place tout joyeux, cela eut le mérite de nous détendre et de tous nous faire rire un bon moment avant de poursuivre nos recherches.

Nous avons utilisé les dossiers des Questeurs de Brocéliande et dans leurs locaux exigus mais accueillants, nous nous sommes plongés dans l'univers complexe du roi Salomon, le grand Roi de légende aidé par son daïmon Asmodée.

En effet après l'avoir soumis et grâce à lui, Salomon rassemble de nombreux démons et les fait travailler à son profit (construction du temple, secrets mathématiques, astronomiques…, pouvoir, sagesse, ainsi que compréhension et maîtrise du Langage des oiseaux).

En tant que constructeur du Temple, Salomon ordonne et stabilise aussi le monde, en particulier grâce à une pierre gravée au nom de Dieu qui sera évoquée plus tard comme étant la "Pierre de Fondation" située sous le dôme du Rocher à Jérusalem (considéré comme le Centre du monde!). Cette pierre évite l'irruption des eaux et donc le chaos.

 

Ainsi c'est un héros cosmogonique ou une sorte de Cosmocrator, Maître du Monde, fonction qui sera ensuite attribuée au Christ. Nous disposions de plusieurs versions le concernant, selon les légendes et les époques. Nous avons étudié les plus importantes selon notre sujet d'intérêt principal, le Graal.

Le pouvoir de Salomon sur les démons était lié à un récipient métallique scellé par la magie de symboles. Il possédait ainsi la connaissance du lien entre les anges ou les entités spirituelles et les planètes, les signes zodiacaux, les aspects astrologiques, il avait accès à l'Ordre Cosmique et pouvait donc intervenir en fonction, ou y participer.

Et de ce récipient magique à la coupe, il n'y avait qu'un symbole, (Saint Bol selon la Langue des oiseaux), il possédait en effet une coupe grâce à laquelle il voyait tout à distance. Ce type de coupe, "talisman de souveraineté" appartenait déjà au roi iranien Yima-Djemshid qui y voyait aussi les trajectoires célestes.

Ultérieurement c'était le "Sceau de Salomon" qui tenait ce rôle, scellant tous ses pouvoirs et symbolisant toutes ses compétences magiques. Cette forme géométrique basée sur une étoile à six branches (plus ou moins couplée à celle présentant cinq branches) devint le symbole de ce Principe transcendant à l'image de l'Origine du monde, du Fondement de la Création.

Selon le Talmud, Asmodée - qui connaissait par ailleurs l'emplacement de tous les trésors - utilisa des mots magiques pour la construction du Temple. Salomon fit graver ces mots magiques sur l'Emeraude tombée du front de Lucifer lors de sa chute et l'offrit à Hiram, le grand architecte du Temple. Après son meurtre, l'Emeraude revint à Simon le Mage et ce serait Simon, compagnon de Jésus devenu Pierre (le premier apôtre sur lequel est fondé l'Eglise) qui la récupéra après avoir vaincu Simon le Mage. On connaît la suite, le calice de la Cène puis le Graal...

Que ce soit un récipient magique qui permet d'obtenir tout ce que le Roi désire, une coupe où il peut voir à distance ce qui se passe sur terre comme au ciel, une pierre gravée au nom de Dieu ou le Sceau de Salomon, dernier support de sa magie et de son pouvoir divin, tous ces objets sont des "talismans de souveraineté".

Or ce qui se matérialise dans ces objets symboliques correspond au Principe de souveraineté représenté par la "Gloire lumineuse". Selon le mythe indo-européen, la "Gloire lumineuse" se trouve au fond de la mer, soit sous forme d'une Perle mystique liée à la Souveraineté divine, enjeu de pouvoir entre Dieu et le Diable; soit sous forme d'une escarboucle lumineuse (on pense aussi à l'émeraude de Lucifer), d'un anneau ou d'une pierre...

Notons que le mythe de la Perle cosmogonique se retrouve chez les Fidèles de vérité turques dont s'inspireront plus tard les Fidèles d'Amour connus grâce à Dante. En contexte gnostique chrétien on a de même une référence à la Perle dans l'Hymne ou Chant de la Perle des Actes de Thomas, un célèbre apocryphe chrétien.

En Perse, cette Lumière, Principe de divinité, était le Xvarnah, ou "Lumière de Gloire", la Tradition perdure dans le Soufisme et se retrouve dans les contes du Graal. Mais le candidat à la royauté doit bien sûr en être digne, il doit présenter des qualités particulières et suivre un rituel afin de pouvoir prétendre à posséder cette "Gloire lumineuse".

 

Cela me fit réagir, je dis à Abdul que je ne me destinais pas à être roi et que donc je ne voyais pas en quoi cela me concernait. Il répondit:

- Détrompe-toi, cela concerne chacun en fait et c'est aussi la promesse transmise par le Christ universel: ce qui était caché est révélé, accessible à chacun selon son libre-arbitre, ce n'est plus réservé à une élite d'initiés.

- Comment fait-on?

- Il faut comprendre que toute cette mythologie correspond à quelque chose de profond en chacun de nous, mais il faut aller au-delà des apparences et ne pas s'arrêter à des formulations obsolètes. Il faut continuer à se poser des questions jusqu'à ce que les réponses nous soient accordées en fonction de nos capacités.

Fernand nous rappela:

- N'oubliez pas le Langage des oiseaux dont Salomon était aussi le maître.

J'avais beau faire de mon mieux, j'avais l'impression que nous tournions en rond sans progresser. Aussi je m'exclamai:

- Justement parlons-en, je ne comprends pas en quoi les oiseaux vont m'aider en admettant que je les comprenne!

Abdul était très calme et conciliant, il ôta ses lunettes, hocha la tête en silence puis il dit:

- C'est peut-être une bonne façon d'avancer vers les profondeurs de l'être et donc vers le niveau où la solution apparaîtra comme une évidence quand le moment sera venu. Tu sais que le premier niveau de cette forme de communication est basé sur les jeux de mots et l'écoute des sonorités, ainsi le Saint-Bol, est un Symbole. Et le symbole est ce qui permet de réunir deux ordres de réalité: celui de l'esprit, le niveau de conscience et celui de la matérialité, la représentation sous forme d'Objet magique.

"Mais le Langage des oiseaux a une dimension plus profonde: c'est le langage animal en nous, celui du corps qui fait correspondre sensation interne du corps, émotion du coeur et pensée du mental en une boucle d'interactions. Lorsque notre outil de conscience est affiné, bien orienté, il devient apte à décrypter la réalité à un niveau subtil en mettant en résonance nos perceptions du monde extérieur et celles de notre monde intérieur. Et nous sommes alors dans une dimension d'être au-delà du langage verbal qui est notre dimension humaine ordinaire.

Fernand confirma:

- Si tu es empli de ton propre bruit, de tes ruminations à propos de tout et de rien, tu es plein comme un oeuf et plus rien ne peut te parvenir de l'extérieur de façon douce. Tu n'agis plus, tu réagis et pas toujours à propos et surtout tu ne sais plus Etre.

Je voulus vérifier si j'avais bien compris, je me tournai vers Abdul et lui dis:

- J'accorde en moi l'écoute de l'extérieur et de l'intérieur pour mieux cerner la Réalité. Et j'entre ainsi dans le domaine de la synchronicité là où un événement extérieur permet une prise de conscience.

 

Abdul sourit et fit un geste: il joignit ses poignets mains ouvertes et les fit bouger comme si elles étaient des ailes d'oiseau. Il les posa sur mon épaule et j'eus un instant l'illusion de l'oiseau… Après cet intermède poétique, Abdul reprit:

- Le Langage des oiseaux, c'est aussi le langage de l'inconscient, le langage des rêves et des vastes ressources des archétypes de l'inconscient collectif, ce qui en fait un vecteur de connaissance. L'oiseau symbolise l'esprit qui vole dans les hauteurs et passe de la terre au ciel en s'élevant dans les airs d'un coup d'aile. Tu sais que par ailleurs le mot lui-même regroupe toutes les voyelles qui sont en rapport avec la Grande Déesse, ce sont les lettres sur lesquelles reposent la Création, l'Ordre du cosmos. C'est donc un langage de la Gnose, au sens de Connaissance. 

Fernand dit :

- Et c'est le billet d'entrée dans le Temps du dieu.

- Ah oui, le Kairos que nous avons vécu dans l'église de Tréhorenteuc, la Chapelle du Graal!

- Tout à fait, confirma Abdul, et c'est le temps de Merlin qui, je te le rappelle, a institué la "Quête du Graal" et la Table Ronde du Roi Arthur représentant elle aussi l'Ordre cosmique, la ronde zodiacale autour du Pôle.

 

Soudain, mes deux compagnons se figèrent comme s'ils écoutaient quelque chose que je n'entendais pas. Fernand réagit le premier, il dit à Abdul:

- Nous allons devoir y aller.

- Tu as raison, ne soyons pas en retard, répondit Abdul qui me désigna d'un mouvement du menton.

Fernand se contenta de hocher la tête. Abdul me proposa alors de venir avec eux, nous reprendrions notre exploration de l'univers de Salomon plus tard.

 

Autour de Lorrekey

Nous nous sommes rendus dans une sorte de salle polyvalente, dans un vestiaire nous avons trouvé des tenues blanches, tunique et pantalon à taille élastique, chaussons de coton. Je demandai en riant:
- On va danser?
- A l'intérieur, ça peut même déménager! répondit Fernand en esquissant quelques pas sautillants..
- Il vaut mieux que je t'explique avant d'entrer dit Abdul, très sérieux. Nous nous réunissons autour Lorrekey, elle s'affaiblit et nous l'aidons à se procurer un peu d'énergie en vue de son passage qui approche. Avec des Questeurs de Brocéliande volontaires et toi si tu l'acceptes, nous allons élever notre niveau d'énergie et le sien, nous allons entrer dans "le temps du dieu" sous la conduite de notre ami Merlin.
"L'énergie la plus puissante de l'être humain part de la base sexuelle, ordinairement elle tend à s'extérioriser, nous la faisons monter au niveau du coeur et après…, tu verras bien. Nous méditons en couple, nous nous mettons en état de ressentir l'acceptation totale, la compassion, l'amour désintéressé, l'amour inconditionnel. Nous focalisons notre attention sur nos sensations face à l'autre en laissant passer sans s'y attarder les pensées parasites et en particulier jugement, critique ou doute. Si à un moment nous ressentons un désir sexuel, nous l'acceptons et le guidons au moins jusqu'au coeur.

 

Abdul regarda alors Fernand comme si cela le concernait plus particulièrement. Celui-ci répondit:
- Ce n'est pas facile, mais ne t'inquiète pas, si je ne suis pas prêt, je n'insisterai pas, l'intérêt de Lorrekey passe avant mes sentiments pour elle.
Abdul reprit:
- Lorsque deux personnes ont échangé de l'énergie au niveau sexuel, il leur est plus difficile de ne pas l'extérioriser à ce niveau et de la canaliser vers le haut. L'état de conscience de base est l'amour, pas le désir, même c'est lui le moteur…

Il échangea un sourire complice avec Fernand qui rayonnait dans ses vêtements blancs et semblait déjà en état d'amour. Il se retourna vers moi et poursuivit:
- Avant que tu ne rentres, je tiens à te dire que tu disposes de ton libre-arbitre, nous ne devons pas faire pression sur toi, même si nous avons besoin de toi pour Lorrekey. Si tu acceptes de faire cette expérience, elle te modifiera à jamais quoiqu'il arrive. Ce n'est pas sans risque car si l'amour est la source d'énergie humaine la plus puissante, il agit aussi comme une drogue et modifie la chimie de ton cerveau. Si tu sors en cours de méditation -ce qui est ton droit à tout moment-, tu seras seule pour gérer le manque… et je ne peux t'en dire plus. A toi de choisir.
- J'ai déjà choisi depuis longtemps, j'ai expérimenté le temps du dieu et de plus avec Fernand.
- C'est bon alors, une dernière chose, au début de la séance nous nous saluons avec un vrai Salut, les mains jointes au niveau du coeur, avec les mêmes étapes que pour le Namasté indien.
- Ah oui, face à l'autre je salue Dieu en lui puis je salue le guide spirituel qui est à ses côtés et enfin je le salue dans sa forme humaine.
- On va dire ça, dit Abdul avec une petite moue souriante, allons-y.

Merlin était au fond de la salle, debout en méditation, les mains étendues au-dessus d'un récipient placé sur un trépied où dansaient des flammes. Lorrekey était devant lui de profil les yeux fermés et les mains croisées sur la poitrine.
Deux couples étaient là et vinrent nous saluer, je répondis à leur salut de même. Puis ils se mirent en ligne imités par Abdul et Fernand, je les suivis. J'eus le temps de nous compter, neuf en tout, avant que l'un des Questeurs n'éteigne la lumière.
Nos yeux s'habituèrent peu-à-peu à la pénombre adoucie par les veilleuses de sécurité.

Le chaudron de flammes était la source lumineuse la plus vive, la silhouette de Merlin se découpait puissamment dans leur vacillement. Il vint vers nous et nous scruta un à un, il s'attarda près de Fernand qui fit un pas vers lui puis recula. Il passa devant chaque homme du groupe, revint vers Abdul et s'inclina légèrement devant lui les mains croisées sur la poitrine.
Sans un mot, il s'écarta et l'invita d'un mouvement du menton à rejoindre Lorrekey et il reprit sa place. Aussitôt les Questeurs se placèrent en couple face-à-face et je les imitai avec Fernand.

Une odeur aromatique puissante se répandit tandis que Merlin jetait quelques pincées de poudre dans le chaudron, je regardai Fernand et plaçai comme lui mes mains l'une sur l'autre à hauteur du coeur.
Emplis d'amour inconditionnel, nous étions dans le Temps du dieu, au-delà du langage et hors du temps. Nous nous sommes avancés jusqu'à être l'un contre l'autre, nos mains s'effleurant le long du corps, attentifs à chacune de nos sensations. Nous nous sommes simplement enlacés et peu à peu submergée par une montée d'énergie, j'ai été propulsée dans un océan d'amour océanique où "je" me suis noyée. Je n'existais plus, étant partout et nulle part à la fois, dans un état extatique…

J'ai été ramenée par Abdul et Fernand, j'étais dans un état second, entre deux mondes, et il m'a fallu une nuit de sommeil pour réintégrer ma dimension ordinaire non sans en garder une vibration secrète au plus intime de l'être, comme la promesse d'une porte pouvant s'ouvrir sur une autre dimension dans l'Amour universel. 

Le lendemain matin, nous sommes revenus dans le local des Questeurs. Fernand nous dit que Lorrekey était maintenant très bien et enchantée de la qualité de cette séance. Nous en étions soulagés et nous avons repris le travail sur les légendes de Salomon, révélatrices des croyances fondatrices de notre culture. Tous nos dossiers étaient restés sur la table. Je commençais à les classer quand Abdul s'adressa à moi:
- Tu as compris en étudiant l'univers du Roi Salomon que le Graal pouvait effectivement être assimilé à une pierre, une coupe, un objet lumineux, ce qui explique ses différents aspects selon les auteurs, mais ne perdons pas de vue qu'il sont cependant toujours en rapport avec la Gloire Lumineuse, le Principe divin par excellence.
- C'est aussi une Emeraude, dit Fernand.
- Exact, confirma Abdul, selon Wolfram Von Eschenbach, la notion du Graal a été transmise par des écrits arabes grâce à un certain Kyot ou Guiot de Provens. Il a été taillé dans une émeraude tombée du front de Lucifer, ce qui n’est pas sans rappeler le "troisième œil", la perle Urnâ de la tradition hindoue, symbolisant l'ouverture du troisième oeil qui procure le "sens de l'éternité"!

''Or Emeraude en provençal se dit Esmeral. En langage des oiseaux, j'entends Aimer Al, Al étant le nom de Dieu. Allah est en fait la contraction de « Al llah » à savoir « Le Dieu », le Seul et Unique Vrai Dieu. Ce même mot est le nom qui désigne dieu en araméen, langue de Jésus et qui se dit aussi El selon la façon dont on transcrit le Aleph qui le compose.

- Et c'est dans cette émeraude que la Coupe a été taillée, ajouta Fernand.
- En effet, reprit Abdul, ainsi la Coupe elle-même est clairement une représentation du Principe divin primordial duquel découle la Création et donc l'Ordre Cosmique. Elle procure donc par ce Principe tout ce dont l'homme a besoin et elle bénéficie au Roi et à son royaume. Ce Principe divin associé au Roi procure l'Abondance divine qui se répand sur terre.

- L'Abondance en tous points était l'idéal suprême de l'Homme, remarqua Fernand, d'où cette représentation concrète de l'effet de la Présence de Dieu en l'homme ou dans le peuple par l'intermédiaire du Roi.

Abdul continua sur sa lancée:
- Une dernière chose, la tige à la base de la Coupe ou du Calice présente parfois trois parties, ce qui symbolise les trois niveaux de réalité : terrestre, intermédiaire et céleste en correspondance avec les trois structures de l'être : physique, psychique et spirituel. Sur le plan chrétien, c'est aussi une image de la Trinité: Trois qui sont Un.

Je gardai le silence un moment, les connaissances exposées par Abdul étaient passionnantes, mais je ne voulais pas perdre le fil, je lui dis:
- Oui, et si on revenait à Merlin?
- Ah Merlin, c'est le meilleur! s'exclama Fernand dans un grand éclat de rire.
Abdul sourit discrètement et enchaîna:
- Tout à fait, meilleur c'est melior en latin et la racine indo-européenne mel donne miel, symbole d'une nourriture délicieuse et abondante! C'est aussi le moulin qui fournit la farine, base de l'alimentation en Europe. Et le cosmos lui-même est assimilé à un grand Moulin fournisseur d'Abondance.
- Le Jeu du Moulin, c'est ce jeu-là, affirma Fernand.
- Oui, confirma Abdul, c'est le Jeu cosmique. Sa représentation est la fameuse escarboucle à 8 rais ou parfois 6 branches.

- Je me souviens l'avoir vue en étudiant les runes, dis-je et surtout Hagal la rune mère.
- Et les runes sont aussi un code d'honneur ou de chevalerie, pour les meilleurs! ajouta Abdul.
- Encore la voie des combattants, des guerriers, ce que je ne suis pas, rappelai-je.
- Ne t'inquiète pas, il y a d'autres voies, me rassura Abdul. Pour toi, nous allons demander à un des plus grands écrivains du Moyen-âge, Dante qui est né au XIII° siècle. Il appartenait à la société secrète des Fidèles d'Amour inspirés par le soufisme et les Fidèles de Vérité dont nous avons déjà parlé.
- Fidèles de Vérité d'Islam et Fidèles d'Amour européens ont les mêmes croyances? demandai-je, étonnée par cette filiation.

- Le lien entre Fidèles de Vérité (fidèles de l'ancienne tradition perse) et Fidèles d'Amour, est Sohravardî au XII° siècle, adepte des soufis, philosophe de l'Iran ancien, c'est-à-dire la Perse, inspiré aussi par la Gnose, Platon,…
''Or la Vita nova de Dante décrit très précisément les différentes étapes de l’initiation à la Fidélité d’Amour, moteur de développement spirituel. Et l'ouvrage Vade-mecum des Fidèles d’amour de Sohravardî éclaire cette expérience de façon significative. Mais je m'égare, je ne vais pas te parler de ça aujourd'hui.
- Nous devons suivre la voie de Merlin, ajouta Fernand soudain très concentré.
- C'est vrai poursuivit Abdul, pourtant nous avons besoin de Dante pour y parvenir! Dans son oeuvre la plus célèbre, la Divine Comédie, il utilise le rectangle de Salomon, ses neuf personnages symbolisant chacun un élément de l'Homme primordial, l'Anthropos inclus dans le cercle de l'Amour.

- Le Grand Homme, le modèle absolu, ajouta Fernand avec emphase.
- Et dans le contexte chrétien, reprit Abdul, l'archétype de l'Homme est le Christ! Ces neuf éléments par ailleurs se retrouvent aussi dans la tradition nordique en correspondance avec les neuf mondes.
- Neuf mondes comme les neuf cercles de Merlin, murmura Fernand.
- Bien vu, dit Abdul, nous allons essayer d'examiner ça sous cet angle. Après cette plongée dans le monde de Merlin, tu comprendras mieux le personnage.

5 mars 2013

LE SANCTUAIRE DE BROCÉLIANDE

Chapitre V du Roman du Graal dévoilé

Dès mon réveil, je finalisai le cercle des personnages des légendes arthuriennes associés aux lieux de Brocéliande. Lancelot et Guenièvre au Pont du Secret, Viviane et son Hostié, Morgane dans le Val sans Retour, Merlin au Miroir des Fées ou avec Viviane à la Fontaine de Barenton, Viviane élevant Lancelot avec Merlin à Comper, Merlin et son Tombeau à côté de la Fontaine de Jouvence... Autant de lieux stimulant l'imaginaire par la mise en scène de multiples légendes. J'avais ainsi trois cercles et je savais que le suivant était celui des forteresses. Pourtant je ne progressai plus assez vite à mon goût et mon séjour tirait à sa fin, je résolus de téléphoner à Fernand.

Lorsque je lui parlai de mon proche départ, Fernand insista pour qu'auparavant j'explore la partie ouest de Brocéliande afin de mieux comprendre les particularités de ce lieu justifiant selon lui l'implantation du mythe du Graal. Il me proposa de le rejoindre, il partait avec un groupe pour visiter Campénéac, Néant-sur-Yvel et en retournant vers Tréhorenteuc, le Jardin-aux-Moines. J'acceptai sa proposition, je n'avais rien de mieux à faire pour ce que je pensais être mon dernier jour dans cette région et j'espérai secrètement encore rencontrer Merlin.

Nous étions huit en tout, notre guide et chauffeur Bastien, un homme entre deux âges, très calme et bien organisé; deux couples d'amis touristes sexagénaires avec la panoplie appareil photo, bâtons de marche, vêtements et chaussures de baroudeur, sac à dos ventrus.
Je reconnus à peine Fernand tant il avait soigné son apparence. Etait-ce grâce à la présence de son amie Lor-re-key qu'il me nomma de nouveau en épelant son nom? Il s'était rendu compte que je ne l'avais pas bien compris. Elle était sobrement vêtue de vêtements masculins confortables qui ne mettaient pas vraiment en valeur sa féminité, mais ainsi on remarquait moins sa petite taille. Elle avait de grands yeux d'enfant, tour à tour curieux de ce qui l'entourait ou comme fixés sur un monde intérieur. Elle était silencieuse, souriait beaucoup et regardait avec une tendresse émouvante Fernand qui se montrait très prévenant envers elle.

Campénéac
Notre première excursion se déroula à Campénéac, une bourgade située au sud-ouest de la forêt de Paimpont, non loin de Ploërmel. La région garde la trace de nombreux vestiges mégalithiques. Son nom autrefois était Brénéan ou Bernéan. D'après Fernand cela pouvait se traduire par "colline du Ciel ou du Németon", on retrouvait la trace de ce fameux sanctuaire de Brocéliande évoqué là aussi tout comme à Néant.
Je lui fis remarquer qu'en terme de hauteur, la commune ne culminait pas bien haut! Il répondit en riant: "Tu verras tout à l'heure! En attendant, suivons le guide". Bastien se dirigeait alors vers l'église, suivi des deux couples. A peine entré, rapidement il nous dirigea vers la fameuse chaire soutenue par le diable à genoux. Les femmes, après des exclamations de surprise écoutèrent religieusement ses explications.

- L'église a été reconstruite fin XIX° sur les restes d'une ancienne église, la chaire date aussi de cette époque, et localement, devant cette représentation, on évoquait parfois Merlin, fils d'une vierge pieuse et du diable; le message était alors clair, l'église avait triomphé du diable et … de Merlin!
Un homme réagit vivement : "Nous avons déjà vu des statues de diables dans l'église ailleurs, en Italie ou en France et personne ne nous parlait de Merlin".

Fernand m'attira à part et me dit: "ce diable a en effet un rapport avec Merlin, mais ce n'est pas celui-là. Ce diable est Asmodée, gardien de trésors de surcroît et je t'en parlerai plus tard".

Il fallait suivre Bastien qui sortait au pas de charge, Fernand se précipita vers lui et lui demanda de nous emmener vers la chapelle Saint-Jean. Un peu agacé, Bastien répondit que c'était bien son intention puis il nous dit que sur la commune de nombreux mégalithes avaient été érigés dont une allée couverte, une sorte de dolmen d'environ 10 mètres de long, détruite pour le passage d'une route.

Vers Saint-Jean, après la Butte de Tiot, l'endroit était effectivement situé plus haut à 180 mètres environ tandis que l'altitude moyenne du village était de 80 m en moyenne. Juste à l'ouest de Saint-Jean, on atteignait même 236 m, là on pouvait effectivement parler de "haut-lieu" de Campénéac.

La chapelle Saint-Jean de Campénéac avait été fondée par les chevaliers de l'Ordre Templier avant d'être donnée aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Une fontaine coule tout près, c'est l'une des trois sources de l'Aff.

Le culte de la Saint-Jean d'été, le 24 juin, y était célébré autrefois. Bastien nous signala l'importance du culte de Saint Jean et même des deux Saints Jean pour les Templiers (en lien avec le solstice d'hiver et le solstice d'été).

Fernand me regarda avec un petit sourire et murmura près de moi : "Tu te souviens de Barenton"? J'acquiesçai en silence sous le regard énigmatique de Lorrekey qui manifestement ne nous comprenait pas. Pour moi effectivement, tout était réuni pour en faire un pendant de Barenton au solstice d'été: la hauteur, la fontaine, l'aspect de l'endroit avec ses grandes dalles de schiste…

Bastien nous apprit que la chapelle avait été construite sur l'emplacement d'un ermitage fondé au VI° siècle, soit à l'époque de la christianisation de la région par Saint Armel. Venu d'Irlande, il avait fondé Ploërmel, (Plou Armel: Paroisse d'Armel) non loin de là, à la lisière sud-ouest de la forêt. Et nul doute que la christianisation d'un culte de Saint Jean avait remplacé ici un culte païen des fontaines plus ancien.

Fernand se mit soudain à chantonner, Bastien se tourna vers lui et lui dit:
- Je croyais qu'on avait perdu l'air.
- Il faut croire que je l'ai retrouvé! répondit Fernand en entonnant un refrain où il était question de gars de Campénéac.
Bastien haussa les épaules et répondit aux interrogations des touristes.
- Il existe un vieux chant gallo - le langage d'ici qui est différent du breton, gallo/gaulois en quelque sorte - et ce chant dont on ne connaît pas l'air officiel s'appelle "Les gars de Campénéac", il aurait été chanté à la cour de Louis XIV qui aurait ainsi entendu parler de ce pays breton.
Lorrekey se mit alors à taper dans les mains et à esquisser quelques pas de danse et révérences autour de Fernand, cela fit sourire tout le monde et détendit Bastien avant de reprendre la route.
 

Néant-sur-Yvel

En arrivant à Néant, nous avions une vue superbe sur la forêt de Brocéliande étendue sur les collines de la Haute-forêt et notre première escale en ce lieu nous fit découvrir le point haut, la butte Saint-Michel, on y découvrait le panorama entre les arbres, presque à 360°. Une grotte "imitation de Lourdes" était au pied de la butte, mais Bastien nous conduisit au sommet pour admirer la croix monolithe de schiste rouge. On racontait que là encore, se tenait un lieu de culte païen avant la christianisation.

L'actuelle commune de Mauron et celle de Néant formaient autrefois un même territoire dont le bourg principal était Kernéan. Une forteresse féodale au château du Bois-de-la-Roche en surplomb du val du Livet, défendait toute cette partie ouest de Brocéliande, de Campénéac à Saint-Brieuc-de-Mauron. Et le nom de Néan surgissait un peu partout (Brénéan, Kernéan, Pertuis-Néanti, …).
Si c'était la trace toponymique du sanctuaire antique, le németon comme le pensaient les Questeurs de Brocéliande, où était le lieu central symbolique qui le justifiait? Lorsque je lui posai la question, Fernand eut simplement un petit sourire et se tourna vers Lorrekey qui le regardait avidement comme si elle attendait aussi cette révélation, mais il resta silencieux.

Bastien nous emmena voir l'église du XV° siècle bien restaurée, légèrement en contrebas de la butte Saint-Michel. Dès l'entrée, le tombeau de marbre de la sainte locale du XVII° siècle, Anne-Toussainte de Volvire, née au château du Bois-de-la-Roche, nous surprit par son volume inhabituel. Bastien attira notre attention sur la mosaïque du grand cerf blanc au sol devant l'autel et sur celle du Saint Graal qui remplaçait un vitrail. Ces oeuvres des débuts des années 1970 étaient dues à Xavier de Langlais, artiste et romancier breton.

Bastien nous dit que pour ce choix décoratif, le conseiller de l'abbé Rouxel alors recteur de Néant et de Tréhorenteuc, était également l'abbé Gillard, son ami jusqu'à son décès en 1979. Et la mosaïque du Graal lui devait beaucoup, elle représentait probablement sa vision personnelle du Graal ou pour le moins, une autre de ses apparences par ailleurs figurées dans "sa" chapelle du Graal, l'église Sainte-Onenne de Tréhorenteuc.

Lorrekey s'approcha de Bastien et tenta d'obtenir des détails, il se contenta de citer les propos de l'abbé décrivant ce que nous avions sous les yeux, (ce qui se retrouvait dans certains romans du Graal): "Tous les vendredis saints, une colombe, venue du ciel, dépose une hostie sur le Saint Graal…"
Elle sembla déçue et se tourna vers Fernand qui murmura "plus tard". Il était temps de finir notre tour dans cette charmante église et de repartir. En sortant un groupe arrivait, je fus surprise et enchantée d'y voir Clarance. Elle était leur guide et lorsqu'elle m'aperçut, elle vint m'embrasser avec joie. Hélas, nos programmes étaient déjà établis, nous devions chacune poursuivre notre route. 

Le Jardin-aux-Moines
Nous sommes rentrés dans la forêt et tout près de Tréhorenteuc, nous nous sommes arrêtés sur un petit parking en plein bois. Il n'y avait pas d'indication, mais Bastien connaissait bien les lieux, il négligea les chemins de randonnée les plus évidents pour nous engager sur un minuscule sentier. Au bout de quelques mètres, dans une clairière, le Jardin-aux-Moines s'étalait en une sorte de rectangle d'environ 25 mètres par 6, formé d'une alternance de pierres dressées de grès ou de poudingue blanc et de schiste rouge.

Au XIX° siècle, enfoui dans le sol du sous-bois, il était décrit comme une "chaussée bordée de menhirs". Il n'a été fouillé qu'en 1983, c'était en fait un tertre tumulaire de type armoricain, mais cependant très original. Il date de 3000 environ avant notre ère, avec une extension et une réutilisation ultérieure. Son plan est simple, une sorte de grand rectangle orienté du nord-est au sud-ouest comportant deux séparations internes.

C'était notre dernière étape en groupe, Fernand nous proposa de rester un peu plus longtemps sur les lieux et de rejoindre Tréhorenteuc par le sentier de randonnée. Bastien accepta et repartit avec ses touristes. Fernand sortit de son sac des lampes spéciales à faisceau étroit et coloré dont il déplia les trépieds. Puis il déploya un plan du quadrilatère néolithique que nous avions sous les yeux, l'orienta et plaça ses lampes sur des points précis. Lorrekey était fascinée, elle suivait tous ses gestes avec attention et restait près du plan en se demandant ce qu'il représentait.

Il se servait aussi d'une croix de type Saint-André comme celle-ci:

Croix St-André

Lorsque Fernand eut fini, des faisceaux lumineux habillaient le quadrilatère de différentes couleurs. Avec un petit sourire mystérieux, il nous expliqua ce que nous avions sous les yeux. Il avait matérialisé les lignes principales des trajets lunaires et solaires aux moments clés de l'année qui apparemment commandaient les lignes principales du monument mégalithique du Jardin-aux-Moines. Il nous en révéla le détail.

Schéma-jardin-aux-Moines

Nous étions loin de l'hypothèse légendaire des moines ripailleurs transformés en pierres!

Et je compris l'intérêt de sa croix de Saint-André:

Croix-lunistices-solstices

Elle correspondait à la Croix des solstices et lunistices pour une latitude de 48°.

(LM: Lunistice maxima, Lm: Lunistice minima, S: Soleil aux solstices).

Je restai médusée, mais Lorrekey se mit soudain à danser, puis comme en transe, elle commença à chanter dans un dialecte étrange. Fernand la regardait fasciné et réjoui en se balançant sur place à son rythme. Je reculai un peu pour ne pas les troubler. Lorrekey finit par s'asseoir et Fernand s'approcha de moi. Je lui demandai ce qui arrivait à Lorrekey.
- Elle a manifestement retrouvé un souvenir important de sa vie d'avant, répondit-il.
- C'est l'effet des pierres de ce sanctuaire?
- Et de la matérialisation des trajets célestes. Elle s'est probablement souvenue du schéma de base de ses croyances.


Je ne comprenais pas vraiment ce qu'il voulait dire, mais il ne me révéla rien de plus malgré ma curiosité. Lorrekey revint bientôt vers nous, elle dit simplement "Je crois que j'y suis presque". Fernand lui prit la main et y déposa un baiser.
Le jour diminuait, il était temps de quitter l'endroit pour passer sur la Butte aux Tombes toute proche, là où subsistaient quelques ruines de tumulus néolithiques, avant de retourner à Tréhorenteuc.
Lorrekey nous imposa une halte à la Fontaine Sainte-Onenne où elle descendit pour prélever un peu d'eau. Fernand me confirma que nous étions près de l'ancien temple gallo-romain dédié à Vénus. Par ailleurs, Onenne aurait vécu ici, peut-être à l'emplacement du château Mazerin. A l'énoncé de ce nom, Lorrekey demanda à Fernand si c'était le château de Marzin, un des noms de Merlin. Fernand répondit que c'était peu probable, mais Lorrekey soudainement inspirée se dirigea aussitôt vers un arbre au tronc majestueux.

Fernand me proposa de m'asseoir et d'attendre. Lorrekey tournoyait autour de l'arbre en psalmodiant lorsque soudain je crus voir Merlin venir à sa rencontre. Je voulus les rejoindre, mais Fernand me dit : "Pas maintenant, bientôt" et avec un doigt sur la bouche pour que je me taise, il m'entraîna vers le village.
J'étais frustrée, moi qui n'avait pour but que de rencontrer Merlin afin de mieux comprendre le personnage et faire la part du mythe, voilà que de nouveau il m'échappait! Fernand compatit, mais il me dit que je n'étais pas encore prête pour cela. Je lui demandai ce que je devais faire pour l'être et il me demanda "encore un peu de patience"! En attendant nous devions parler de certaines choses pour lesquelles l'apport de notre ami Abdul serait le bienvenu.

Le défi de Merlin

Le soir même un dîner nous réunissait, Fernand, Abdul et moi. Lorrekey nous rejoignit après le plat principal. Elle semblait bouleversée et demanda à parler à Fernand qui s'éclipsa pour satisfaire sa demande. J'en profitais pour raconter à ma manière notre exploration des "Néan" de la partie occidentale de Brocéliande à la recherche du fameux sanctuaire. 

Abdul confirma mon sentiment qu'il fallait comprendre la notion de németon comme un ensemble de lieux géographiques marqués d'une connotation à la fois temporelle (les différents temps importants de l'année dont les solstices et les équinoxes étaient les plus marquants), spatiale selon les grandes orientations des points cardinaux, enfin spirituelle dans la dévotion aux esprits des ancêtres, aux héros civilisateurs et aux influences spirituelles transcendantes ou divines.

Nos deux amis revinrent avec la mine grave et Fernand tenta de nous traduire le discours de Lorrekey. Elle avait effectivement rencontré Merlin qui lui avait rappelé les conditions de son retour dans l'Autre Monde dont elle se languissait malgré tous les efforts de Fernand pour la retenir près de lui.
L'émotion lui mit soudain des sanglots dans la voix et il prit la main de Lorrekey avant de poursuivre. Il nous dit que pour sa part, il respectait plus que tout la liberté de son amie si chère et qu'il ferait tous les efforts nécessaires pour lui permettre d'accomplir son choix même si cela impliquait d'être privé de sa présence.

Elle était donc sortie de son Monde en raison de son attitude insolente. Elle s'était moquée de Merlin et de son Graal dont elle ne voyait plus l'intérêt tant elle était habituée à en bénéficier sans se poser de question et sans en avoir jamais été privée.
Elle avait déjà fait des incursions dans notre monde, mais c'était de courte durée et elle ne s'était pas rendu compte de l'état de conscience qui correspondait à la vie de la majorité de ses habitants. Merlin lui avait imposé un séjour loin des siens et cet exil était assorti de l'oubli de tout ce qui nourrissait alors la moindre de ses pensées naturellement reliées au Centre Eternel du Monde, ce qui lui fournissait auparavant tout ce dont elle avait besoin pour mener une vie harmonieuse avec ses congénères. Ici elle souffrait d'un vide intérieur qui l'affaiblissait peu à peu et la condamnait à terme.

Fernand s'interrompit et regarda Lorrekey en silence. Il semblait navré de ne pouvoir subvenir à ses besoins profonds, elle lui sourit tristement et l'encouragea à poursuivre.
Merlin avait posé des conditions pour son retour : elle devait rencontrer une personne en quête de Merlin ou du Graal, de préférence un être de même sexe (ou du moins ne pas user de séduction) et le jour où cet être, en sa présence verrait le Graal, elle retrouverait son état antérieur.
Je compris que malgré son immense désir de combler Lorrekey, Fernand ne pouvait l'aider! Tous me regardaient en attendant ma réponse.
Je dis:
- Je crois que je suis la seule personne que vous ayez à disposition, mais avant de m'engager, je dois m'organiser pour que cela soit possible.
- Bien sûr, me dit Fernand soulagé.
- Et moi, je suis prêt à t'aider dans ta quête afin que tu puisses aider Lorrekey efficacement, ajouta Abdul.
- Merci, conclut sobrement Lorrekey, les deux mains prises par Fernand qui l'assurait qu'elle y parviendrait. Elle lui glissa quelques mots à l'oreille.
- Ah, je dois préciser une dernière condition transmise ce jour par Merlin: le moment venu, afin de permettre le passage de Lorrekey dans l'Autre Monde, trois doivent devenir douze là où la Terre s'unit au Ciel...

Je regardai Abdul incrédule, je ne comprenais rien. Comme si cela ne suffisait pas de tenter la quête la plus longue d'Occident qui tenait en haleine ou égarait un nombre incroyable de personnes dans chaque génération, il fallait en plus une condition énigmatique!
Abdul me rassura:
- Nous sommes dans le même bateau, notre seule chance est de rester unis dans cette aventure et il n'y a que Lorrekey pour laquelle l'enjeu est vital.
C'était justement pour cette raison que je m'inquiétais, mais je préférais ne pas renforcer leur angoisse par mes doutes. Nous devions en effet tout tenter et les lamentations n'auraient été qu'une perte de temps supplémentaire.

Les neuf cercles de Merlin

Si j'avais été un moment tentée de renoncer à ma quête de Merlin tandis que je me savais près du but, il n'en était plus question, la libération de Lorrekey et donc son "salut" en dépendait. Je ne savais pas par quoi commencer, mais heureusement Abdul avait les idées claires, il me demanda:

- Te souviens-tu où tu peux trouver Merlin?

- Au sein des neuf cercles?

- Les as-tu déterminés?

- J'ai bien avancé, mais il m'en manque encore.

- Alors au boulot!

Je lui montrai ce que j'avais découvert: le cercle de l'eau, du bois, des lieux et personnages sacrés… Il m'aida à les compléter.

Le cercle des Mégalithes se situait autour de la forêt de Paimpont avec en particulier de nombreuses allées couvertes. Les mégalithes étaient effectivement implantés sur une circonférence entourant les hauteurs de Brocéliande vers 100 à 150 m d'altitude et en grande majorité sur les secteurs de schiste rouge. Etait-ce en raison de l'association symbolique de la couleur rouge à la vie (le sang) dans la terre (la déesse-mère)?

J'en dressai les contours: des alignements de menhirs ont été découverts non loin du château de Comper. On y trouve aussi le Tombeau de Merlin… Près d'Iffendic, à côté de l'ancienne forteresse médiévale, un ensemble mégalithique important a été mis à jour. Près de Plélan-le-Grand, la Pierre droite à Maxent témoigne de l'implantation mégalithique en ce lieu. Nous avons déjà parlé des mégalithes du côté de Augan, de Campénéac, Tréhorenteuc et bien sûr de Néant/Yvel.

Le cercle des châteaux-forteresses regroupait de nombreux sites autour de la forêt de Brocéliande, ainsi défendue de tous côtés. Au Nord, le Château de Comper, (Concoret), était attribué à Viviane. À l'origine c'était un château fort médiéval protégé par son immense étang et la forêt. Il aurait été une des résidences de Salomon, roi de Bretagne au IX° siècle.

Au Nord-est, le Château de Boutavent à Iffendic est en ruines. Construit au Moyen-âge sur un éperon rocheux, il était aussi entouré de la forêt et d'un étang de Boutavent. Le château aurait été une des résidences de Judicaël, roi de Domnonée au VIIe siècle. C'était une époque de grand trouble (invasions, pillages) où ce territoire avec son château sur son promontoire, loin des villes importantes et des grandes routes profitait d'une situation privilégiée. Il a été détruit au XIV° siècle (par Du Guesclin).

Au sud-est, le Château à motte de Salomon à Plélan-le-Grand dont il ne subsiste que de rares vestiges était au Moyen-âge un des châteaux du roi Judicaël, il aurait aussi été occupé par le roi Salomon, d'où son nom. Il permettait d'assurer la défense du Gué qui était un des accès importants au territoire de Brocéliande, en particulier vers Paimpont et ses forges.

Au Sud, le Château du Bois-du-Loup (Route de Beignon, Augan) (château de Koat-Louh en dialecte local) se situait sur un coteau du val du ruisseau et de l'étang de Volubo. Construit au XIV° siècle, il est implanté sur un secteur occupé de longue date par l'homme, on a retrouvé des mégalithes dans les environs qui sont maintenant plus ou moins détruits. Après avoir été reconstruit plusieurs fois jusqu'au XIX° siècle, il a été incorporé au Camp de Coetquidan (Ecole et Camp militaire), il est maintenant ruiné.

Au Sud-ouest, le Château de Trécesson sur le territoire de Campénéac a conservé son aspect médiéval, c'est l'un des plus impressionnants châteaux de Bretagne. Il était déjà mentionné comme demeure des seigneurs de Ploërmel et Campénéac dès le VIII° siècle.

A l'Ouest, le Château du Bois-de-la-Roche à Néant-sur-Yvel ou forteresse de Koad Ar Roc'h, qui domine le val du Livet, a été construit fin XV° siècle, ses hommes d'armes défendaient toute la partie ouest de Brocéliande.

Au Nord-Ouest, le Château Ponthus ou de Barenton a été détruit au XIV° siècle par Du Guesclin. Sur ses ruines se dresse le magnifique hêtre Ponthus. Selon la légende, le chevalier Ponthus ancêtre des rois de Bretagne, venu de Galice en Espagne épousa ici la fille du seigneur de Gaël, au V° siècle.

Comper, Boutavent, Plélan, Trécesson et Ponthus sont les plus anciens châteaux de Brocéliande, (probablement les cinq de la légende arthurienne).

Le cercle des portes de Brocéliande regroupe les passages vers le territoire de la forêt, soit en passant l'eau (les gués), des points stratégiques ou d'accès vers le sanctuaire ou nemeton. On trouve en partant du Nord, Pertuis-du-Faux (faux pour fagus, hêtre) entre Concoret et Comper; Iffendic qui est la Porte Nord-est de la forêt de Brocéliande, le bourg et l'église d'Iffendic ont été incendiés par les Normands au Xème siècle, l'église primitive était sur les bords du Meu; Gué-de-Plélan; Pont de la Lande sur l'Aff, près de Beignon, c'était autrefois le Gué-de-la-Lande; Pertuis-Néanti (Porte du Ciel!) près de Tréhorenteuc.

J'étais soulagée, le schéma des cercles de Merlin se précisait peu à peu, mais ce stade, il en manquait encore et je restai bloquée. Abdul me conseilla de commencer par y remettre de l'ordre. Il m'assura qu'un schéma directeur organisait l'ensemble des cercles. On pouvait les regrouper par éléments (Terre, Feu,…)

EAU, 1° cercle de la Mer (qui cernait le territoire lorsque la Bretagne était une île), 2° cercle des Rivières

TERRE, 3° cercle des Pierres-Mégalithes, 4° cercle des Pierres-châteaux-forteresses

FEU, 5° cercle des Portes de Brocéliande, 6° cercle des Lieux sacrés, (fontaines, hauts lieux)

AIR, 7° cercle des Personnages et lieux légendaires, 8° cercle d'une Prison d'air ou de verre grâce aux points remarquables de la course du soleil, des astres et de leurs cycles. En effet au Moyen-âge, on imaginait que les astres se déplaçaient sur des sphères cristallines (ou de "verre") concentriques à la terre.

BOIS, 9° cercle des Limites de la forêt, des bois

De cercle en cercle, lorsque je découvris enfin le territoire de Brocéliande sous un aspect sacré de cosmogramme ou mandala, j'étais enthousiaste, mais je me rendis compte qu'il me manquait une donnée essentielle et je demandai à Abdul:

- Si je comprends bien, c'est au coeur du bois que je peux trouver Merlin, mais à quel endroit?

- Je ne connais pas la réponse, mais tu es près du but, sois attentive et tu sauras.

Fernand qui venait d'entrer ajouta:

- Utilise le langage des oiseaux.

- Comme si les oiseaux allaient me dire où trouver Merlin et le Graal!

- Il faut jouer le jeu, me répondit-il sur le même ton. C'est pour Lorrekey et elle, elle connaît le langage des oiseaux…

- J'espère alors que je la comprendrai, mais de quel jeu parles-tu?

- Ben, le Jeu du Moulin pardi! me dit-il en écartant les bras comme si je ne comprenais décidément rien.

- Ok, donc retour à la case "Merlin", conclut Abdul, on continue le travail avant de se prendre la tête. Je vous rappelle que le temps presse.

- Et oui la roue tourne! s'exclama Fernand.

Je me remis au travail et j'étais occupée depuis un bon moment déjà à trouver une correspondance entre les lieux qui nous avaient permis de définir les cercles de Brocéliande et une figure caractéristique qui nous donnerait accès à un lieu de rencontre possible avec Merlin.
Je traçais des cercles, des intersections, des étoiles…, soudain Lorrekey que je n'avais pas entendu entrer me dit d'une voix douce:
- Tu peux tracer et parcourir autant de lignes, de cercles et de figures que tu veux, mais n'oublie pas de ramener tout au centre, dans le coeur, pour passer au niveau supérieur.

Elle avait fait beaucoup de progrès pour s'exprimer seule, mais elle énonçait une évidence. Si j'avais la représentation d'un cosmogramme de neuf éléments et je savais maintenant que le sanctuaire-németon se situait à l'ouest de Brocéliande, il nous restait à déterminer l'endroit précis du passage possible vers l'Autre Monde, là où la Terre s'unit au Ciel au coeur du bois. Je formulais l'hypothèse que ce lieu correspondait au quadrilatère mégalithique du Jardin-aux-Moines, mais je ne savais pas comment le prouver afin de le proposer aux autres.

Fernand s'approcha alors et dit:
- Merlin te dirait que pour passer de la Terre au Ciel et inversement, quand tu as le cercle, il faut penser au carré.
- Passer du cercle au carré…, murmura Lorrekey qui était bien pâle et fatiguée, mais manifestement très attentive.
- Ok, et je fais comment?

Fernand me désigna alors le calendrier où la fête du jour était marquée d'une croix imprimée en rouge. Je vis Saint André, l'apôtre auquel est associé la croix qui porte son nom: X, et dont la date de fête (30 novembre) marque le début ou la fin de l'année liturgique.
Mais bien sûr, la croix pour passer du cercle au carré!

Je vous passe les détails sur la manière dont nous avons procédé, avec Abdul qui nous avait rejoint, nous avons sorti les cartes, repris nos schémas, fait des essais et des erreurs, les idées se bousculèrent tandis que nous étions tous concentrés sur la même tâche. Nous avons finalement abouti à cette hypothèse:
Le coeur-centre-cosmogramme que nous cherchions était en correspondance avec le territoire de la forêt de Brocéliande.
Les points solaires remarquables nous avaient fourni des points de repère : Saint Jean de Campénéac et Barenton pour le lever du soleil aux solstices.
Nous avions trouvé ces points au cours de la détermination de la croix-chrisme du chemin de croix de l'Abbé Gillard à Tréhorenteuc. le modèle du Chrisme était un cosmogramme sacré avant même sa récupération par le christianisme.
En utilisant la figure de la croix de saint-André, nous devions chercher les points hauts correspondants au coucher du soleil lors des solstices à l'ouest de Brocéliande.

La croix géographique des solstices

De façon symétrique par rapport à Barenton, nous avons d'abord repéré Kernéant près du Château du Bois-de-la-Roche. C'était une évidence: un point haut surplombant l'Yvel et ses affluents à cet endroit et surtout c'était le bourg primitif de tout ce secteur de Mauron et de Néant.

Au sud, en symétrique par rapport à Saint-Jean, Fernand nous désigna Quily, il connaissait bien la région et nous parla d'un Roc-Saint-André dominant la rivière au-dessus de l'Oust traversé par un vieux pont du XVIII° siècle au niveau du bourg du même nom. Des mégalithes avaient été identifiés localement avec un tumulus et des vestiges de dolmen.

Sur ce territoire, on trouvait aussi un Manoir du Val-Néant et ce détail acheva de nous convaincre!

Lorrekey était épuisée, mais heureuse de voir à quel point nous étions mobilisés pour l'aider. Fernand la soutenait de son mieux et lui proposa de l'accompagner pour qu'elle se repose. En partant elle nous dit:
- Il faut que trois deviennent douze.
- Et concrètement? demandais-je.
- Centre sur la Terre, centre du Ciel, centre de l'être, répondit-elle en posant la main sur son coeur avec un petit sourire.

J'ai regardé Abdul, il était grave, concentré et hochait la tête comme si cela lui semblait clair, c'était rassurant, mais une fois seuls, je lui demandai:
- Tu sais comment faire?
- Nous allons trouver et Merlin nous aidera, affirma-t-il.
- J'ai l'impression qu'il nous manque encore l'essentiel, lui dis-je.
- Ce n'est pas le moment de douter, si nous posons les bonnes questions, nous aurons les réponses.

 

 

 

3 mars 2013

CHRISMES ET COSMOGRAMMES

Chapitre IV du Roman du Graal dévoilé

Les monogrammes de la Sainte Famille

Après le départ de Clarance, je quittai l'église et rejoignis Abdul au relais des Questeurs. Il était en compagnie d'un conteur local, un grand costaud moustachu et jovial, Florian.

Ils m'accueillirent simplement et continuèrent leur conversation. Florian participait à un spectacle concernant le chevalier au cygne, Lohengrin, fils de Parzifal et il souhaitait mettre en valeur les racines archaïques du personnage, le cygne étant l'animal symbolisant l'hiver et le Nord entre autres. Abdul lui dit que le nom même du chevalier - dérivé des vieux noms du gui-loranthus et du soleil-grannos - le désignait comme une figure archaïque d'un rituel du solstice d'hiver. Par ailleurs le gui était une figuration de l'Irminsul, pilier ou arbre du monde nordique. Puis il se tourna vers moi et me demanda où j'en étais, je lui répondis simplement que j'avais ouvert la porte du Chemin de croix. Florian regarda Abdul qui se contenta de hocher la tête comme pour le rassurer sur ma démarche. Florian dit:

- C'est la grande Porte, mais la porte ouverte sur les courants d'air.

Et il se mit à rire. Je me contentai de lui sourire, je ne comprenais pas ce qui était drôle. Abdul resta sérieux et dit:

- C'est sûr, il vaut mieux passer par la porte étroite.

Florian ouvrit grands les yeux et demanda:

- On y va?

Abdul remit ses lunettes, alla chercher des cartes du territoire de Tréhorenteuc et les étala sur la table. Il me proposa de vérifier les lieux indiqués par l'abbé Gillard dans les tableaux de son Chemin de croix.

 

Nous étions en plein travail lorsque Fernand nous rejoignit, accompagné de son amie de petite taille qui semblait le suivre régulièrement depuis la réunion des Questeurs. Il la présenta comme une jeune femme passionnée par la légende du Graal, elle s'appelait Lorrikey. Elle était brune aux cheveux mi-longs bouclés, elle avait un visage rond d'enfant aux belles joues rouges et son sourire dévoilait de petites dents bien blanches. Après quelques échanges sympathiques sur nos projets, elle nous quitta rapidement.

Je découvris d'abord ce qui me sembla être une forme d'oeuf et cela fut l'occasion de rire grâce à Fernand d'un éventuel « oeuf cosmique des druides » caché à Tréhorenteuc! Puis comme la forme ronde avait un prolongement axial vers le Nord, je pensai à une clé. Florian dit que ma « clé du Nord » conviendrait bien mieux à Arthur. Abdul le calma en lui disant que ce n'était pas le moment et je finis par reconstituer grâce à leurs indications une sorte de chrisme partiel retourné comme dans un miroir. Je me souvins que le N du parcours des vitraux de Sainte Onenne dans l'église de Tréhorenteuc semblait aussi retourné et je demandai à Abdul si ces inversions avaient un sens particulier.

 

Fernand se moquait de ces élucubrations intellectuelles, mais Abdul semblait vouloir que je continue à explorer ces données. Lorsque je décidai d'y consacrer encore un peu d'attention, Fernand haussa les épaules en maugréant que je perdais mon temps. Il me recommanda de ne pas perdre de vue les racines bretonnes locales et nous quitta de mauvaise humeur suivi par Florian que la situation amusait franchement. De même, Abdul se réjouit, pour une fois qu'il rencontrait une personne assez curieuse pour le suivre sur son terrain! Notre recherche se poursuivit avec enthousiasme.

Nous avions donc dans la partie ouest de l'église ou chapelle du Graal, l'évocation de deux figures qui se superposaient, le monogramme de la Vierge et le monogramme du Christ ou Chrisme. Jusqu'à quel point étaient-elles liées? Il fallait les examiner de plus près.

 

Le monogramme A V M peut être tracé à partir de deux chrismes tournés d'un quart et juxtaposés.

Cette figure est aussi le monogramme de Jésus Marie Joseph unissant les trois personnes de la Sainte Famille (Monogramme de compagnons ou des Sulpiciens), I M A I avec I pour Jésus, MA pour Marie, I pour Joseph.

Le monogramme de l'Ave Maria sous sa forme des lettres AV accolées forme un N. Abdul me dit alors que le N inversé était bien connu en milieu chrétien, on le retrouvait par exemple sur l'inscription INRI du Titulus de la croix de crucifixion du Christ. Il signalerait un aspect de tradition ancienne cachée aux profanes ou aux "non curieux". On le retrouvait aussi sur certaines cartes de tarot anciennes.

Pour moi, je vis deux indications possibles fournies par ce signe. La première me disait : "Retourne en toi" et c'était une invitation à méditer, c'est-à-dire "se mettre au milieu" : avec Fernand j'avais vécu la méditation du corps qui conduit à l'âme, avec Abdul je vivais la méditation de l'esprit, y avait-il un autre point d'accès?

La seconde proposait : "Retourne à l'origine", la tradition hébraïque, et en effet le Aleph hébreu ressemble à un N. Je passai en revue ses principales significations:
. Un (Yahvé), le point supérieur où l'unité se fait,
. Boeuf et le joug des boeufs, le joug représentant l'union de la créature au Créateur, (je pensai aussi à la station V du chemin de croix de Tréhorenteuc et aux boeufs tournant autour de la polaire),
. Maître, enseignement,
. Silence.

 

Abdul ajouta avec une émotion de poète que l'Aleph est le point où l'espace et le temps disparaissent dans l'unité primordiale, origine divine de toute la création. C'est le Principe, l'énergie primordiale d'où proviennent toutes choses et en tant que symbole, Aleph est la première des lettres de l'alphabet hébreu, à la fois voyelle et consonne contenant elle-même toutes les lettres! L'Aleph était le mystère des mystères et le but suprême...

Le silence s'installa. Silence indispensable pour la méditation. Mais soudain j'entendis le MURMURE... de la Salutation. Ave Maria (AM ou AVM), c'était le salut de l'Ange à Marie en tant que future mère du Christ, du VERBE (Logos). Ave Maria correspond en grec à la formule "Réjouis-toi" Marie.
Réjouis-toi s'écrit XAIPE et se prononce caïré puisque le P est le rho grec, R. Mais en fait Xaipo signifie "être en bonne santé".
Cette formule se voit sur des tombeaux de pythagoriciens. C'est un VOEU de Salut (Salus en latin), il est parfois associé à la formule "Porte-toi bien", Hygeia ou Ugeia, traduite en latin par Vale, formule qui concluait les lettres des auteurs classiques.

Xaipe (prononcé Caire) est en fait un Salut, le salut à la Lumière matinale. C'est un voeu de retour à la lumière naissante assimilée à la "renaissance", c'est donc au figuré un voeu de Salut au sens de "se sauver", être sauvé, (les pythagoriciens croyaient en une forme de réincarnation).

Et notre salut, ce banal bonjour auquel personne ne prête attention est du même ordre : c'est saluer en chaque personne la Lumière de ce jour nouveau qui nous est donné ici et maintenant et lui offrir un voeu de salut (de l'âme et ... du corps).
Se souhaiter le Bon Jour, quand on sait que en indo-européen Diew réunit un concept de temps et d'espace particulier: « jour du ciel clair », c'est bien saluer l'aspect divin lumineux en l'autre!
Abdul me signala que dans des cultures traditionnelles ce rituel existait toujours: ainsi en Inde, le salut au soleil se retrouve dans le yoga (qui a le sens de joug, symbole d'union!) et dans le salut rituel appelé Namasté: les mains jointes à plat au-dessus de la tête, on salue Dieu, les mains devant le visage, on salue le guide spirituel en l'autre et avec les mains devant la poitrine, on salue nos semblables.

Abdul joignit aussitôt le geste à la parole et ce fut un moment magique entre nous, une communion des âmes à partir du coeur et hors du temps! Une pause divine!

Mais il fallait revenir aux grecs. Le voeu pythagoricien associé à XAIPE était UGEIA, assimilée à une déesse de l'Hygiène au sens de bonne santé. C'était un symbole de Vie souvent représenté par l'étoile pythagoricienne à cinq branches, les cinq lettres U-G-E-I-A représentant chacune un aspect du cosmos sur chaque pointe.

Abdul m'encouragea à dessiner les lettres grecques de chaque mot, Xaipe et Ugeia, les unes sur les autres. J'en fus stupéfaite, chacun pouvait se représenter sous forme d'un chrisme!

Abdul rit de ma réaction et me dit:

- Pour le Xaipe, cela n'a rien d'étonnant puisque le chrisme était un symbole associé à la Lumière (du soleil en particulier) avant d'être attribué à Constantin par le Labarum puis au Christ par le Chrisme. D'ailleurs les consonnes qui forment la structure du mot, X P, sont les deux lettres principales du Chrisme! On sait que le Labarum était gravé sur les boucliers des soldats, comme un talisman pour leur salut, tu comprends pourquoi! Et si maintenant tu superposais les deux chrismes de l'église de Tréhorenteuc?

- Comment?

Abdul précisa:

- Le chemin de croix nous révèle un demi-chrisme inversé vertical. Sur le second vitrail de la vie de sainte Onenne dans l'église (le baiser de la Vierge), on voit un demi-Chrisme horizontal. Place-les sur le plan de l'église là où tu as perçu l'AVM.

Je fis le schéma correspondant, ce que j'avais identifié comme un oeuf hypothétique, la boucle du P, se trouvait dans la lumière de la porte sud. Je n'osai rien en dire. Abdul commenta:

- Traditionnellement, dans le chrisme, la boucle du P représente le soleil né au sommet de l’axe du monde. C'est la porte étroite, la porte du soleil par laquelle s’effectue la sortie du cosmos grâce au Christ. Le Chrisme est la Porte du Ciel, la Porte du Salut.

- C'est sûr qu'on est loin de l'oeuf, c'est plus une forme évoquant un losange, quant aux racines bretonnes de Fernand..., dis-je.

- Nous n'en sommes peut-être pas si loin, répondit Abdul d'un ton rêveur.

- Comment ça? Demandai-je.

Abdul hésita un moment, puis il répondit:

- Je ne sais pas si tu vas me suivre dans mes interprétations, mais voici mon hypothèse. Tu as remarqué la forme en chrisme des lettres des deux mots grecs, Xaipe et Ugeia, comme si cette forme était une sorte de matrice alphabétique.

''On constate le même phénomène pour une rune particulière de l'alphabet runique nordique: la Hagal ou Hagalaz, nommée la Rune mère. Elle aussi est parfois représentée sous forme de chrisme, de fleur ou d'étoile à six pointes, mais sous son autre aspect, elle ressemble à un N inversé! Sous sa forme de fleur, c'était la Rose de Wotan ou Odin surnommée le signe des sorcières par l'église, et pourtant on la retrouve souvent dans l'art roman. Dans le symbolisme du Nord, cette rune mère était l'oeuf de glace primordial de la Création qui contenait le premier homme et la première femme...

Abdul se tut, le regard dans le vide, absorbé par ses considérations métaphysiques. Puis il me regarda et sembla se souvenir de ce qu'il tenait à me dire:

- Le chrisme était un symbole de la Grande Déesse avant d'être celui des dieux solaires. Et tu te souviens de l'oeuf des druides, il était nommé, oeuf d'Ingwi, du nom du dieu nordique de la fertilité. Cela devint l'oeuf d'anguille, l'ovus anguinum de Pline. La rune associée au dieu Ingwi et à sa parèdre était Ing, avec une forme en losange évoquant la Vulve sacrée qui deviendra en milieu chrétien la mandorle de l'art roman. L'autre nom du dieu Ingwi était Freyr et sa parèdre la Grande Déesse Freya, l'équivalent de Vénus, autant dire un avatar de la Grande déesse-mère.

- Et Brocéliande serait le Mont de l'anguille! ajoutai-je.

- Tu saisis le lien avec la tradition bretonne médiévale, confirma Abdul, si tu sais que l'alphabet runique était utilisé en même temps que l'alphabet latin par les anglo-saxons (bretons et germains) jusqu'au XI° siècle.

- Mais je croyais que le Chrisme avait été vu dans le ciel par Constantin pour lui annoncer sa victoire dans une bataille décisive contre ses concurrents au titre d'Empereur romain.

- Constantin, l'empereur qui a donné au christianisme sa dimension politique! remarqua Abdul. L'ancêtre du chrisme de Constantin était utilisé bien avant y compris des romains, plus sous sa forme étoilée composée de trois axes donc six directions. Mais lui connaissait bien les tribus des Germains et leurs talismans leur garantissaient un mental très avantageux dans les combats. Excellente récupération assortie d'une légende fabuleuse!

- Et que représentait le chrisme pour ces tribus? demandai-je.

- Tiens regarde, répondit Abdul en me tendant un dépliant, ça tombe bien, nous proposons une conférence sur ce thème le mois prochain et j'y travaille actuellement avec Clarance. Nous t'y invitons.

- C'est gentil, mais je ne peux pas rester aussi longtemps.

- C'est vrai, dit Abdul, j'oublie que tu n'es pas d'ici. Tu vas donc repartir bientôt?

- Oui, mais je reviendrai, cet endroit me fascine.

- Je te comprends, regarde-moi, dit Abdul en écartant les bras d'une façon comique, je devais juste faire un stage d'étude et j'y ai pris racine. Bon, revenons à notre chrisme. Comme tu vois ici il en existe différentes représentations.

Il se déplaça vers un panneau où étaient punaisées des photos.

- La structure minimale est toujours une croix en X et un axe vertical au moins dans la partie supérieure, un I ou un P. Certaines représentations de Chrisme correspondent à la représentation du ciel centrée sur la Rune en forme de X, Gebo, à une période particulière de l'année: l'équinoxe d'automne en début de nuit et pour une latitude plus au nord. L'étoile polaire était alors proche de la constellation du Cygne (aussi nommée Croix du Nord) au Néolithique, d'où sa schématisation en position centrale sous l'aspect de Gebo.

- Tu veux dire que c'était une image du ciel? demandai-je.

- Ces chrismes étaient une représentation du Monde et même du Centre du Monde, confirma Abdul. Ce sont des images de l'ordre cosmique au regard de l'éternité, organisé à partir du pôle, des cosmogrammes.

- Mais tu me parlais de runes, quel rapport?

- Les runes sont un système symbolique à plusieurs dimensions, elles forment un alphabet, mais elles représentent aussi des constellations, des dieux et d'autres concepts de valeur. Les images plus anciennes, mais de même structure que le chrisme sont composées de runes liées, elles étaient utilisées comme des talismans, de puissants remèdes à la confusion de l'homme vivant dans cette époque dangereuse. Cela lui évitait de se perdre dans l'absurdité apparente des événements de sa vie et donnait une ligne directrice solide à ses actes au quotidien.

Je pensai alors aux techniques modernes de préparation mentale des champions. Je dis:

- Un véritable outil de coaching mental comme chez nos sportifs ou militaires.

- D'où son intérêt pour les guerriers, confirma Abdul. Ce symbole d'Ordre supérieur représentant le divin était considéré comme le talisman le plus puissant. Ils avaient ainsi le ciel et les dieux avec eux: dans la vie ils avaient l'assurance de la Protection et de la Victoire; dans la mort, ils détenaient un passeport pour la Vie éternelle. Leur « chrisme » était la Porte du Ciel, la Porte du Salut au sens du Salut pythagoricien, Xaipe.

- Et pour les chrétiens? demandai-je

- Le Chrisme chrétien est le symbole sacré du nom du Jésus-Christ. Il a dit "Je suis la porte" (Jean 10) et pour les chrétiens, il est la Porte du Salut. La Porte vers l'Eternité en Dieu. Nous retrouvons cette notion de repère divin universel, promesse de vie éternelle et de Salut.

- Et que représente-t-il dans le ciel?

- C'est une figure polaire et solaire. Polaire d'abord, le X de Gebo représente le centre du ciel ou pôle comme nous l'avons dit, le point fixe de référence sous la forme de la Constellation du Cygne ou Croix du Nord et d'autre part le P correspondant au Rho ou R de Raido symbolise la constellation la plus repérable qui tourne inlassablement (le Chariot).

''C'est aussi une représentation solaire et plus précisément des trajets du soleil, X correspondant aux lignes de visée solsticiales qui se resserrent avec la latitude jusqu'à devenir comme un I au pôle Nord.
Par ailleurs tout cela est contenu dans un cercle, symbole de totalité, du Dieu (ou de la déesse selon les époques) suprême créateur de l'Univers dans son ensemble. On peut dire que sur le chrisme le plus simple, nous avons une représentation globale du grand Moulin cosmique aussi bien sous sa version polaire avec les constellations du pôle céleste, que solaire avec les bornes extrêmes de son trajet. Associés à d'autres chrismes nous voyons parfois des représentations évoquant le pilier du monde, un axe avec au sommet une sorte de feuille de chaque côté, l'Irminsul. Mais restons-en aux chrismes les plus simples.

- Je sais que ce symbole était utilisé par les combattants romains de Constantin, mais qu'en est-il des chevaliers d'Arthur?

- Intéressante question à laquelle je ne vais pas répondre directement, répondit Abdul, le lien est plus subtil. Dans l'alphabet nordique nommé Futhark, du nom des six premières, les runes sont une référence à l'ordre cosmique et plus encore lorsqu'elles sont liées entre elles. Mais elles sont aussi chargées de valeur, elles sont un repère de vie, une sorte de code d'honneur grâce auquel l'humain qui s'y conforme se relie aux dieux qu'elles représentent. L'homme nordique tenait à se mettre en ordre lui-même, en harmonie avec cet Ordre céleste figuré par les concepts sacrés des "lettres" runiques.
Le symbole fait des runes liées qui deviendra le Chrisme chrétien, emblème du Christ, était le plus important symbole de cet accord du ciel avec soi en toute circonstance, dans la vie comme dans la mort. Pensons de même au Labaron Gaulois associé à la croix de Taranis sous forme d'une croix dite de Saint-André, un X. D'autant que labar signifie parole, Verbe.

- Labaron, labarum de Constantin, dis-je faisant soudain le lien. Et le Christ représente le Verbe selon Saint Jean.

- Tout à fait, approuva Abdul. Mais reprenons, il découle donc de cette conception nordique une forme de code d'honneur de type "chevaleresque", code qui se retrouvera secondairement en contexte chrétien avec la Chevalerie du Moyen-âge centrée sur la quête du Graal.
- On retrouve ce code dans les romans du Moyen-âge?

- D'une certaine façon, confirma Abdul, dans les chansons de Geste qui ont inspiré ensuite les romans. C'est un des axes du travail de Florian sur Lohengrin. C'est la geste de Garin le Loherain devenu le Lorrain qui aurait inspiré ensuite Wolfram von Eschenbach pour son personnage. Et tu ne seras pas étonnée maintenant si je te dis que ces cycles épiques héroïques et sanglants appelés Matière de France se retrouvent également en vieux norrois jusqu'en Norvège.

- La boucle est bouclée, dis-je. Mais Matière de France et Matière de Bretagne, c'est la même chose?

- Non, même si elles ont échangé des personnages parfois, la Matière de Bretagne garde la trace des anciens rites païens et correspond plus à la tradition celtique, qui je te le rappelle n'avait pas de tradition écrite à proprement parler. Ainsi on ne peut leur attribuer les runes, ils utilisaient probablement un système qui y ressemble un peu, les oghams. Mais je m'égare, la Matière de France et l'apologie de ses moeurs héroïques guerrières viennent des traditions franques, donc des anciens germains.

- On comprend ces liens nordiques, remarquai-je. Et ce code de chevalerie que je qualifierai de runique, qu'est-il devenu chez nos chevaliers?

- Tu as de la suite dans les idées, remarqua Abdul en souriant. Reprenons les points communs entre les différents chrismes et leurs ancêtres runiques. Nous avons donc un symbole du Tout incluant comme nous l'avons vu le temps, l'espace, le Salut divin, un code de vie et de connaissances, les formes abstraites d'un alphabet. Par ailleurs la fine fleur de la chevalerie va se retrouver dans l'Ordre du Temple. Le temple dont la définition est justement au départ l'espace du ciel pris comme référence de l'ordre cosmique et ensuite, le lieu sacré établi sur terre à l'image de cet ordre cosmique!

- C'est le Temple de Salomon, dis-je, et on s'éloigne des conceptions des hommes du Nord.

Abdul haussa les épaules et reprit:

- Les premiers chevaliers de la croisade ont pour bagage les origines franques, les rites chrétiens qui ont recouvert les traditions païennes. En Orient, ils vont aller à la source des connaissances antiques conservées par les arabes qui comme tu le sais sont à l'origine grâce à ce savoir, du développement des mathématiques en général, de l'astronomie et autres sciences ainsi que de la médecine. Au contraire, en Occident les invasions barbares après l'effondrement de l'Empire romain avaient coupé ces prodigieuses racines.

Je sentis une immense fierté dans ses propos, c'était ses propres racines qu'il exaltait ainsi, lui un arabe breton comme il se plaisait à le dire! Je le laissais poursuivre.

- Il vont découvrir des trésors de culture littéraires et philosophiques, une sagesse inconnue, les racines hébraïques de leur religion, mais aussi des rituels magiques, talismaniques sur lesquels je ne m'étendrai pas et qui sont souvent associés au Roi Salomon dans les récits qui nous sont parvenus. Bref, au XII° siècle, au début de la présence en Orient des chevaliers, un Pape donne un symbole aux Templiers, la Croix des huit Béatitudes plus connue sous le nom ultérieur de Croix de Malte. La croix symbolise la Protection la plus puissante conférée par Dieu en tout point de l'espace et en tout temps, c'est une référence cosmique et donc au Dieu créateur de l'Univers. Et les huit béatitudes évangéliques sont le code de l'idéal chrétien fondé sur l'Amour, la compassion, l'humilité, la clémence (capacité à pardonner).

- Tiens, remarquai-je, ça me rappelle quelque chose, Amour, Humilité et Pardon sont les bases fondamentales de pratiques spirituelles et des approches plus modernes pour "une vie heureuse"!

- L'homme est toujours un homme, répliqua Abdul et la quête de joie est une valeur sûre. D'ailleurs dans l'intitulé de chaque béatitude on retrouve le terme « béni » ou « heureux » en français, mais en fait le terme grec évoque la Joie au sens sacré, divin du terme! La Joie au Moyen-âge était aussi un concept plus fort que dans son acception moderne, elle était évoquée en particulier dans le cri de guerre "Monjoie Saint-Denis" et bien sûr par les troubadours (la Gioïa), or ce sont les troubadours qui créaient les chansons de gestes...

Soudain une sonnerie retentit, Abdul regarda son écran de téléphone et me dit:

- Je vais devoir te quitter, j'ai été très heureux d'évoquer tout cela avec toi, mais je n'ai plus le temps de poursuivre. Pour conclure, je peux te dire qu'avec la croix de Malte, on a les mêmes concepts imbriqués (géométrie, alphabet codé et autres connaissances) que dans le modèle nordique runique, puis sur le Chrisme chrétien, mais que nous ne savons plus regarder selon cet aspect transcendant et … global.

 

Lorsque je quittai Abdul, je ne savais plus très bien où j'en étais. Il avait ouvert devant moi des pans entiers de connaissance qui pourraient remplir toute une vie de recherche. Mais je devais me recentrer. Quel était mon objectif?

Je ne voulais pas rentrer aussitôt et je cherchais une crêperie ouverte dans le village voisin. J'eus la surprise de voir Florian attablé avec un ami. Il m'invita à les rejoindre bien qu'ils en soient au dessert. En attendant l'arrivée de ma galette du chef, il me présenta son ami Kevin, chargé de l'éclairage pour leur spectacle. L'homme était jeune, la tête rasée, il semblait préoccupé et gardait la tête baissée dans son assiette. Il refusa le café que lui proposait Florian et nous quitta rapidement lorsque ma galette arriva.

Florian m'écouta exposer mes doutes et mes espoirs. J'étais venu à Brocéliande pour Merlin et ses mystères, dont le plus important était le Graal associé à son nom depuis le début du mythe. J'avais certes aperçu l'homme qui se faisait appeler ainsi à plusieurs reprises et il m'avait permis de vivre un moment fantastique dans l'église de Tréhorenteuc. Hélas, j'avais questionné Fernand qui ne voulait pas m'en dire plus à son sujet et je ne savais plus où me diriger. Puisque j'avais déjà eu la chance de vivre toute cette aventure, je devais peut-être m'en contenter et rentrer chez moi.

Florian me dit que j'étais libre, mais que la clé dont nous avions parlé avec Abdul ouvrait peut-être une autre porte, celle des racines bretonnes sur lesquelles Fernand avait attiré mon attention. Je lui demandai:

- Que dois-je faire de cette clé?

- Le mot clé en breton signifie Nord, répondit Florian, or Arthur est le roi du Pôle assimilé au Nord céleste. Et la Table ronde est une figuration des constellations circumpolaires...

- Et les chevaliers représentent le zodiaque, complétai-je.

- Tu vois que tu le sais, me dit Florian, et qu'est-ce qui est posé au milieu de la Table du roi Arthur?

Je pensai au tableau dans l'église de Tréhorenteuc et je dis:

- Le Graal.

- Et voilà le travail, conclut Florian.

Il avait l'air si content de lui que je ne voulus pas le décevoir et lui dire que je ne voyais pas où cela menait. Il me laissa et je rentrai rapidement me coucher. Je dormis d'un sommeil peuplé de rêves dans lesquels Merlin m'appelait, mais neuf cercles nous séparaient...

Publicité
1 mars 2013

LES QUESTEURS DE BROCELIANDE

Chapitre III du Roman du Graal dévoilé

A l'heure dite, Fernand m'attendait devant le local où avait lieu la réunion. Je retrouvai là quelques-uns des membres de ce petit groupe de passionnés de Brocéliande plus ou moins érudits ou franchement mystiques pour certains d'entre eux comme me l'avait dit Clarance. Ils avaient l'habitude de faire le point sur différents thèmes et en faisaient ensuite le compte rendu sous forme de plaquettes archivées. Merlin y faisait quelques apparitions, mais en général de courte durée et je ne l'ai pas vu ce soir là. J'y revis par contre Abdul, notre premier guide, érudit breton d'origine arabe par sa culture parentale, passionné de mythologie et d'histoire des religions. Fernand me procura quelques plaquettes en rapport avec les thèmes abordés. Je lui fis part de l'intérêt de Clarance pour cette soirée, il me dit que je pouvais partager ces connaissances avec elle et même qu'elle pourrait m'aider à y voir plus clair.

Le zodiaque, Tréhorenteuc

Le lendemain, je retrouvai Clarance dans son bureau. Après quelques banalités d'usage, elle consulta rapidement les plaquettes et alla droit au but:

- Je sais qu'ils sont fascinés par le zodiaque et que celui de l'abbé Gillard caché dans la sacristie a beaucoup d'importance pour eux. C'est vrai que dans toutes les civilisations antiques et en Europe au Moyen-âge ou à la Renaissance, le zodiaque était une figure centrale de la transmission du savoir. Qu'as-tu compris avec eux?

- Le zodiaque représentait le temps cyclique, ses travaux saisonniers et ses fêtes traditionnelles. Le christianisme nous en a détaché en instituant une lecture du temps linéaire, focalisée sur l'histoire de Jésus, Dieu fait homme. Cela s'est fait peu à peu, le Christ cosmique est d'abord apparu au centre du zodiaque en particulier au tympan des églises romanes. Puis il en est sorti, il s'est dissocié du cosmos et peu à peu le chemin de croix centré sur sa Passion (sa mort et résurrection) - donc un événement certes fondamental pour les chrétiens, mais très court dans le temps- est devenu l'élément incontournable de la décoration intérieure des églises.

- Intéressant, ainsi il y aurait peut-être un lien entre le zodiaque des conceptions du temps cyclique ancien et le chemin de croix du temps linéaire chrétien et moderne, en attente de sa fin, de la fin des temps avant le retour du Christ.

Clarance avait synthétisé en quelques mots à la fois les apports de Questeurs et mes propres questions, j'étais impressionnée. Elle perçut mon état d'esprit, mais sans attendre que je trouve les mots pour le lui exprimer, elle préféra poursuivre l'examen des sujets de la soirée. Elle me demanda:
- Et pour Tréhorenteuc?
- Localement on dit que ce nom de Tréhorenteuc signifierait Trois chemins ou Trois voies. Tréhorenteuc pourrait être le peuple des trois orients. Oran(t) ou orent pour les prières dans les trois directions de l'orient délimitant le parcours du soleil, les deux solstices et l'axe des équinoxes.

- Ils ont évoqué les indo-européens?

- Ils ont cité les trois pas de Vishnou, dieu solaire en Inde, ses trois pas correspondent aussi à la répartition de l'année en deux tiers clairs et un tiers sombre l'hiver. Et en effet, le même symbolisme existait chez les celtes qui étaient de culture indo-européenne.

- Et le point de rencontre de ces trois voies serait à Tréhorenteuc?

- Si l'on situe le németon ou temple astronomique de plein air des gaulois dans les bois vers Néant qui est très proche de Tréhorenteuc et dont le nom signifie németon, lieu où la terre rencontre le ciel, nous découvrons la butte Saint-Michel d'une centaine de mètres, point d'observation idéal vers l'est. A partir de ce lieu, Tréhorenteuc qui est à la latitude de 48°, est alors sur la ligne des équinoxes, comme nous l'indiquent Sainte Onenne et la déesse celtique de l'équinoxe la précédant, Onionna.
La ligne du solstice d'été se dirige vers la Butte aux Tombes (146 m) près du Pertuis-Néanti et se prolonge jusqu'à la fontaine de Barenton, autrefois Belenton, évoquant le dieu solaire Bélénos christianisé en Saint Jean.
La ligne du solstice d'hiver se dirige vers les hauteurs du Val sans Retour, donc vers le siège de Merlin d'où il observait les astres et se prolonge vers la Butte de Tiot (190 m) près de Saint-Jean, sa chapelle et sa fontaine.
- Tu as dit que Sainte Onenne remplaçait une déesse celtique de l'équinoxe?

- Il existait une déesse gauloise, Onniona, son nom associait un arbuste, Onn l'Ajonc et un arbre Nion, le Frêne. Or le jaune solaire des ajoncs éclaire les landes bretonnes lors du mois celtique du Frêne, vers l'équinoxe de printemps. L'Ajonc était particulièrement associé à l'équinoxe de printemps .

- Elle était aussi accompagnée par des oies?

- L'histoire ne le dit pas, mais l'Oie était un des oiseaux de la déesse Vénus. La planète est étroitement liée au soleil et l'oeuf d'oie était un symbole solaire. Par ailleurs Némésis était la déesse grecque de la Loi morale assurant la juste mesure et la vengeance divine contre les abus. Pour échapper à Zeus, elle prit l'aspect d'une oie.

- Ah oui, s'exclama Clarance, d'où les contes de ma Mère l'Oye, mère Loi, amère loi... L'Oie évoque l'ordre cosmique sacré primordial. Il fallait bien un oiseau dont la plume servait d'ailleurs à l'écriture en occident, pour symboliser cet ordre autrefois représenté en Egypte par la plume de Maât...
- Toujours est-il que selon les Questeurs, Onenne était probablement un avatar de Onniona, une déesse du printemps associée au frêne et à la fontaine. Le frêne pour les celtes est l'arbre cosmique représentant le Macrocosme. En Europe du Nord, Yggdrasil le grand frêne est l'arbre des mondes et le dieu Yggr ou Odin l'aurait dérobé à la Triple déesse qui rendait la justice en lien avec l'ordre cosmique bien sûr, la vieille Loi, au pied de cet arbre près de la fontaine.

- Onenne ou la déesse du printemps, moi je veux bien, s'étonna Clarance, mais selon la plaque apposée sur l'autel de l'église de Tréhorenteuc, sa fête est le 1° octobre.

- Ah oui, c'est vrai et c'est étrange, car en fait Saint Eutrope et Sainte Onenne étaient officiellement fêtés le 30 avril selon le calendrier des saints, or cette date correspond à la nuit de Beltaine, la grande fête du printemps et de la fécondité du 1° mai.

- Pourquoi l'abbé Gillard a-t-il fait inscrire cette date?

- Peut-être pour lutter contre les cultes archaïques de fécondité?

- C'est vrai que l'abbé avait fait retirer la statue de la sainte qui avait un gros ventre, remarqua Clarance, il avait été choqué parce qu'elle drainait la dévotion de jeunes filles ou femmes aux moeurs trop libres... Passons, quand tu parlais des 48° de latitude, je me souviens que c'était une fierté de certains habitants, c'est important pour le németon de Brocéliande?

- Les Questeurs disent que Chartres a la même latitude ainsi qu'un important complexe de mégalithes de la côte ouest, d'ailleurs c'est à Plouharnel que se tient un festival du solstice d'été! Ce serait en raison du "rectangle solsticial", déterminé par des lignes en X, correspondant à partir d'un point central à la visée des levers et couchers solaires lors des deux solstices. Ce rectangle présente une géométrie particulière selon les latitudes. En remontant vers le Nord, le X tend vers le I, les deux lignes se confondent sur l'Axe du monde. En descendant vers le Sud le X devient un trait horizontal sur l'équateur.
- Oui, remarqua Clarance en ouvrant une des plaquettes, j'ai vu ça ici. A Jérusalem, environ 32° de latitude, le rectangle solsticial est quasiment de 1 par 2, c'est un double carré. En Irlande, plus de 55° de latitude, cela devient un carré. Et sur le 48° parallèle, la différence entre les deux lignes des solstices est de 72° qui est l'angle principal du pentagone, figure fondamentale liée au Nombre d'or et à la grande Déesse. Par ailleurs, entre la ligne d'un solstice et celle de l'équinoxe on observe le Triangle sacré ou Triangle 3-4-5 ou Equerre des charpentiers. Un vrai cours de géométrie grâce au soleil!

- Et le pentagone est le symbole de Vénus.

- Exact, me dit Clarance, mais je ne m'aventurerai pas sur ce terrain. En tout cas je te remercie et je te souhaite de poursuivre tes découvertes dans notre belle région. J'espère que nous aurons l'occasion de nous revoir de temps à autre. Je serai heureuse de t'aider dans tes recherches, c'est passionnant.

Elle m'embrassa gentiment et me laissa, elle devait partir pour rejoindre un groupe de touristes.

L'église de Tréhorenteuc, vitraux de Sainte Onenne

L'après-midi même, je retrouvais Fernand sur la place de l'église de Tréhorenteuc sans que nous ayons convenu d'un rendez-vous. Il avait une apparence décontractée plus présentable que la veille. Il était accompagné d'une femme de très petite taille qui le faisait paraître d'autant plus grand. Elle s'éclipsa dès qu'il me repéra en faisant un grand signe de la main pour que je vienne le voir.

Je lui confirmais mon désir d'accéder à certains de leurs documents, aussi sans perdre de temps, il me conduisit dans la maison relais des Questeurs de Brocéliande et par un escalier un peu raide me fit accéder à une pièce cernée de rayonnages couverts de livres, dossiers et cahiers soigneusement étiquetés. Chaque espace était occupé par des documents, au-dessus de la porte, sous la fenêtre, autour du radiateur, c'était manifestement un lieu de stockage, mais aussi un lieu de travail solitaire possible : une planche de bois nue posée sur tréteaux et un siège de secrétaire à roulettes occupaient le milieu de la pièce. Un escabeau et un solide pupitre complétaient l'équipement.

Fernand me guida dans la découverte des secrets de Sainte Onenne basés sur l'observation des éléments de décor de l'église qui l'évoquaient. Cette omniprésence d'une soi-disant sainte, plus en rapport avec un culte ancien d'une fête de printemps qu'avec une tradition chrétienne, m'intriguait.
Après avoir sélectionné le dossier correspondant, Fernand m'accompagna dans l'église. Une partie des bancs avaient été retirés du côté ouest. Je me mis au travail alternant la lecture des documents et l'observation directe de ces vitraux voulus par l'abbé Gillard pour offrir l'exemple d'une vie chrétienne exemplaire au-delà même de l'histoire personnelle d'Onenne.

Je remarquai l'ordre particulier des six vitraux, sur le mur du Sud, les deux premiers des six vitraux racontant la vie de la sainte encadrent l'entrée habituelle, le suivant est dans la partie ouest isolée de la nef par une paroi percée de trois ouvertures, le narthex. Pour la suite, il faut revenir dans la nef et reprendre sur le mur Nord en symétrie par rapport au trois premiers. Le dernier, l'enterrement considéré comme l'entrée dans l'autre monde chrétien ou Paradis, est donc aussi dans le narthex.

Fernand me fit remarquer la présence de signes zodiacaux sous forme symbolique dans le cadre décoratif des vitraux, chacun apparaissant dans deux vitraux, puis il me laissa continuer seule. Il devait revenir un peu plus tard.

________________________________________________________________________________

On y voit deux signes cardinaux (c'est-à-dire d'entrée dans les saisons, les quatre étant représentés sur la croix des points cardinaux), Bélier et Cancer; et un signe fixe, le Verseau, (signe de milieu de saison, appartenant à la croix des fixes).

Le signe du Bélier est sur l'axe des équinoxes avec à l'autre extrémité, le signe de la Balance.

Le signe du Cancer est selon la Tradition (ou Lore), la porte des hommes (qui correspond au solstice d'été) sur l'axe zodiacal des solstices. C'est l'une des deux portes cosmiques de cet axe et c'est la porte des humains ordinaires. L'autre étant le signe du Capricorne ou porte des dieux qui correspond au solstice d'hiver.

Par ailleurs, je vis en faisant le tour de l'église un vitrail rond dans la chapelle latérale, des tableaux et une statue évoquant Sainte Onenne. En reportant sur un plan le trajet que tous ces éléments me proposaient, je constatai que les lettres O-N pour Onenne se dessinaient dans l'église confirmant sa dédicace! Je me souvins que le nom de la déesse gauloise correspondante était Onniona : Onn l'Ajonc et Nion, le Frêne, l'ajonc désignant le jour de l'équinoxe de printemps (environ le 20 mars actuellement).

Soudain j'eus une intuition. Et si ce O N de la nef signalait aussi son orientation? En effet la date de la fête signalée par l'abbé Gillard sur l'autel, le 1° octobre, qui ne correspondait pas au calendrier officiel, attira mon attention. En raison du décalage des dates liées au changement de calendrier (julien à grégorien), cette date dans le calendrier actuel correspond à la date de l'équinoxe d'automne au moment de la dédicace de la première église construite sur un bâtiment du VII° siècle. Or les équinoxes de printemps et d'automne sont sur le même axe.

Une mesure de l'orientation réelle donne un azimut de 77°, ce qui la rattache selon les géobiologistes aux édifices bénéficiant de « l'onde d'Isis » caractérisant des édifices sacrés très anciens consacrés à la Grande Déesse mère, qu'elle soit nommée Isis, Vénus, Cybèle ou autre, avant d'être réutilisés ou transformés en église. Les connaissances associées se seraient perdues vers le XIII°, XIV° siècle. Les géobiologistes actuels disent que dans ces églises, sur cette ligne d'orientation, le biochamp d'un humain serait plus augmenté que pour toute autre orientation.
C'était des lieux bénéfiques pour la santé et la fécondité en particulier des femmes. Or on disait que la résidence de Onenne était installée sur un ancien temple de Vénus et l'abbé Gillard avait fait disparaître l'ancienne statue qui était trop vénérée par les femmes et jeunes filles...



Le labyrinthe et le monogramme de la Vierge

Lorsque j'eus fini, je sortis sur la place, encore perdue dans mes pensées, soudain je vis comme dans un rêve Merlin immobile à quelques mètres de moi. Il marcha à grandes enjambées vers la partie ouest de l'église. Je le suivis, il s'arrêta devant la rampe d'accès, la porte était maintenant ouverte. L'imitant, je marchais à pas lents vers l'entrée, il se mit à gauche près du portail d'accès au cimetière sur lequel se détachaient les lettres alpha et oméga.

D'un geste de la main il m'arrêta à quelques pas du seuil puis traçant un grand cercle avec ses bras, il me signala la totalité de l'espace qui nous entourait et je le perçus de tous mes sens comme un concentré de vie quotidienne. Puis il me montra l'ensemble de la façade de l'église. J'étais à bonne distance pour la voir en entier, mais rien n'attira spécialement mon regard.

Lorsqu'il me guida d'un signe sur le seuil, j'eus l'impression de rentrer dans un autre monde. Le narthex qui me séparait de la nef était éclairé par l'ouverture et les vitraux latéraux. De l'autre côté la porte d'entrée sud était fermée, les vitraux illuminaient la nef grâce à un franc soleil au zénith. Je regardais le zodiaque inversé, queue de poisson - tête de bélier à ma gauche. J'avais quitté le temps des minutes, des horaires, des rendez-vous et des contraintes, j'étais dans le temps immuable des cycles de vie toujours renouvelés.
Lorsque Merlin resté sur le seuil tapa dans ses mains, je me concentrai sur les jeux de lumière émanant des vitraux et du narthex qui dessinaient devant moi une sorte de quadrillage de trois par trois avec une forme plus ronde orangée au centre correspondant à la projection du demi Chrisme du deuxième vitrail à ma droite au sud.

Merlin murmura : "trois pas", j'avançai donc devant la porte intérieure et l'inscription sur l'autel attira mon attention comme un aimant:
"Dans l'emplacement de cette église
élevée en son honneur
a été enterrée Sainte Onenne
Vierge"
Fête le 1° Octobre"

Merlin avait disparu après m'avoir dit "voici le temps du dieu" et comme en état second, je parcourus la moitié de la nef avant de me retourner.

________________________________________________________________________________

Je connaissais maintenant les thèmes des différents vitraux et j'eus alors l'image d'une relation entre eux plus complexe que je ne l'avais perçue par l'analyse:

 

Carré de Neuf

Carré de Neuf et monogramme de la Vierge

Cela formait un carré de trois fois trois cases. 1 est le lieu de ma vision de l'inscription sur l'autel. 2, 3, 4 sont les trois premiers vitraux de Sainte Onenne au sud; 5, 6, 7, les trois derniers au nord. 9 est l'emplacement de ma vision du demi-oeuf-chrisme. 8 est le seuil de l'entrée ouest.

Les cases 1, 4, 7 déterminent un triangle de sainteté: 1, sur l'autel, c'est l'affirmation de la sainteté de Sainte Onenne pour les siècles après sa mort. Le vitrail 4, représente son voeu de religion (face à Saint Elocan!) et donc sa mort à la vie civile. Le vitrail 7 montre son enterrement, son entrée dans la vie éternelle à sa mort.

Les cases 2, 5, 8 déterminent le triangle de vie en Dieu: Le vitrail 2 met en scène le choix d'une vie simple contre sa vie de princesse, elle échange ses vêtements avec une pauvresse. Le vitrail 5 montre la Providence divine venant à son secours sous la forme des oies alertant les soldats qui viennent la défendre contre l'homme qui en « voulait à sa vertu ». Le seuil en 8 est l'entrée dans l'église, espace sacré conçu comme espace d'entrée dans un autre monde et donc en rapport avec le divin comme le rappelle l'inscription sur ce mur intérieur au-dessus de la porte.

Les cases 3, 6, 9, déterminent une ligne de vie sainte avec plusieurs moments clés.
Le vitrail 3 met en scène le baiser de la Vierge qui la prédestine à une vie sainte. Le vitrail 6 expose le moment où elle fait don de ses biens pour s'en remettre à Dieu.
La case centrale 9 symbolise l'accomplissement. Dans ce centre c'est le Neuf où se projette l'Oeuf contenant le symbole du Chrisme représentant le Christ.

Après cette analyse, il était soudain évident pour moi que cet "exemple d'une vie chrétienne" cachait sous une histoire à priori dramatique, celle du personnage Onenne, le plan d'une progression spirituelle. Je remarquai alors que l'ordre de ces nombres sur le carré dessinaient une figure : le monogramme de la Vierge, A M ou A V M qui signifie Ave Marie et évoque la Salutation à la Vierge. Or cette Salutation correspond à un moment précis de l'année, le 25 mars, jour de fête de l'Annonciation de l'Incarnation du Verbe par l'archange Gabriel qui apparaît à la Vierge. C'était encore lié à l'équinoxe de printemps selon la Tradition. Ce jour-là, Gabriel annonça à la Vierge Marie qu'elle était enceinte de Jésus-Christ dont la naissance eut lieu neuf mois plus tard à Noël au solstice d'hiver.

Fernand me rejoignit alors dans la nef de l'église, il me regarda intensément comme pour comprendre où j'en étais. Sans un mot il me prit par la main, nous plaça sur la forme en Oeuf de projection du Chrisme face à l'autel et fit prendre à nos corps une forme de X. Nous étions devenus le symbole de la Vierge, le Monogramme, féminin à gauche (côté nord), masculin à droite (côté sud), ancrés dans la terre, tendus vers le ciel, baignés de lumière et traversés par des énergies invisibles jusqu'à nous ressentir comme des vibrations dans un univers entièrement vibratoire!

Lorsque Fernand baissa les bras, il garda ma main et m'entraîna dans un parcours au sol reproduisant d'un seul trait la figure de l'AVM, comme une sorte de forme de lemniscate ou de huit plus complexe.

J'eus en un espace restreint une impression physique ressemblant à celle que l'on a en parcourant un labyrinthe, (qui autrefois se situait à ce niveau dans les églises, comme celui de Chartres), le corps changeant d'orientation à plusieurs reprises sur le parcours de ces figures! Cela me sembla une façon d'augmenter mon énergie, de m'accorder à celle du lieu et d'induire une forme de transe permettant l'accès à d'autres réalités subtiles ou spirituelles.

Mais lorsque je voulus un peu plus tard refaire cette expérience, je n'y parvins pas. J'en parlais à Fernand qui me dit: "c'était un instant d'éternité". Il vit ma perplexité et comprit mon besoin de mettre des mots sur ce qui pourtant ne pouvait se décrire avec le langage, aussi il me proposa d'aller voir Abdul le conteur que je connaissais déjà, "arabe breton" et grand érudit.

A ma grande surprise, Abdul fut très heureux de nous recevoir et à la fin d'une soirée passée à parler de choses et d'autres, je pus enfin lui demander son avis.
Il me cita d'abord quelques mots extraits des Upanishads, texte sacré originaire de l'Inde:
"Aussi vaste que l'espace qu'embrasse notre regard est cet espace à l'intérieur de notre coeur. L'un et l'autre, le ciel et la terre y sont réunis, le feu et l'air, le soleil et la lune. Tout cela y est réuni."

Devant mon air perplexe, il me dit que j'avais connu un état de conscience modifiée qui m'avait donné accès à une perception différente du temps. C'était ce que Merlin avait nommé les trois pas. Et les grecs anciens avaient donné des noms de dieux à ces perceptions de temps différents:
Chronos pour le temps chronologique, celui dans lequel nous vivons le plus souvent et qui nous dévore. (Chronos est représenté dévorant ses enfants).

Aïon pour le temps cyclique (souvent représenté avec un serpent).

Kaïros pour le temps du dieu fugace (il porte des ailes aux talons) qu'il faut savoir saisir lorsqu'il se présente, un moment plus tard ou plus tôt et il n'est plus là! C'est un instant d'éternité qui s'ouvre dans notre vie. C'est aussi un moment où se manifeste la synchronicité.

Par ailleurs selon lui, j'avais perçu une figure, le carré de trois qui s'apparentait à un carré de fondation mais aussi au schéma traditionnel de la cité idéale de Jérusalem, centre du monde céleste chrétien. Il pouvait également être vu comme un ennéagramme (neuf éléments) ou un octogramme centré (figure davantage celtique ou templière), mais peu importait le nom, l'essentiel était d'expérimenter l'énergie du lieu par mes allées et venues dans cet espace.

Je remerciais Fernand et en pensée Merlin, qui m'avaient permis de vivre cela et j'écoutais le conseil d'Abdul : pour vivre le temps du dieu, il n'est pas besoin de venir dans la chapelle du Graal, de nombreuses vieilles églises ou autres lieux sacrés, voire naturels de notre environnement peuvent le permettre, le plus important est notre disposition intérieure, notre attention et notre respect pour ce temps particulier.
L'essentiel ne se voit qu'avec le coeur disait le Petit Prince de Saint-Exupéry, mais pour voir avec le coeur - ou entendre -, il faut le libérer de tout ce qui entrave son ouverture sur l'amour universel et cela aussi toutes les traditions de sagesse le disent à leur manière. Pour atteindre la ''béatitude'', il faut devenir béants, ouverts d'une certaine manière!


L'abbé Gillard nourri par le Graal

Deux jours plus tard je revis Clarance, j'avais beaucoup de choses à lui raconter. Je n'avais pas perdu mon temps, grâce à l'aide des Questeurs, j'étais partie sur les traces laissées par l'abbé Gillard dans la très riche décoration symbolique de son église devenue pour tous la « Chapelle du Graal », mais aussi dans quelques-uns des écrits qu'il avait fait publier pour alimenter les fonds nécessaires à son fabuleux projet.

Clarance était curieuse et j'avais besoin d'elle pour débrouiller les fils de cette exploration complexe, aussi elle m'invita à passer la soirée chez elle et à y dormir. Son compagnon travaillait de nuit et nous aurions tout notre temps. Je l'aperçus à peine dans sa voiture lorsque j'arrivais, il partait et me salua d'un vague signe de la main avant de démarrer. Clarance était sur le pas de la porte et me dit qu'il était déjà en retard. Elle me fit entrer dans son salon et asseoir sur un canapé en rotin aux coussins confortables avant de s'installer près de moi. Je sortis des documents de mon sac et les étalai sur le plateau en verre de la table basse.

Elle connaissait bien l'histoire officielle de l'abbé Gillard liée à son oeuvre et elle partageait l'avis des Questeurs, elle était un élément clé pour comprendre Merlin et le Graal dans ce lieu mythique de Brocéliande.

________________________________________________________________________________

Cette histoire commence pendant la guerre, lorsqu'il est démobilisé en 1940 vers Rodez, il a alors 38 ans. Dans une France en débâcle, occupée par endroits, il attend de reprendre son ministère en Bretagne. Intéressé par les légendes du Saint-Graal, il visite en particulier Montségur, château cathare "du Graal" et Rennes-le-château où il découvre les travaux de l'abbé Saunière réalisés fin XIX°, début XX° siècle (il est décédé en 1917).

Déjà connu pour des idées originales mal vues par sa hiérarchie, l'abbé Gillard est enfin nommé dans la plus petite commune du diocèse, en Morbihan, Tréhorenteuc. Il sait que c'est une sanction, mais il va relever le défi comme l'avait fait aussi en son temps l'abbé Saunière nommé en charge d'une église presque ruinée.

Dès son arrivée en 1942, l'abbé Gillard décide de faire de sa petite église une oeuvre d'art et de réflexion symbolique autour des légendes du Graal sur ce territoire magique de Brocéliande qui n'est pourtant pas encore le haut-lieu qu'il deviendra en grande partie grâce à lui.

Il était lié à des bretons intellectuels ou artistes inspirés eux aussi par les traditions celtiques, il connaissait entre autres, Xavier de Langlais, artiste, écrivain passionné par la matière de Bretagne et professeur aux Beaux-Arts de Rennes. A cette époque, il rencontre un jeune homme qui vient en vacances chez sa grand-mère bretonne et sera connu sous le nom de Jean Markale, écrivain apprécié du grand public pour ses ouvrages sur le celtisme, ses mythes et la "matière de Bretagne". Ce dernier restera en contact tout au long de sa vie avec l'abbé Gillard à qui il doit en partie sa vocation.

Sans tarder, l'abbé Gillard engage toute son énergie et ses faibles moyens dans la réalisation de son oeuvre, il fait appel à sa centaine de paroissiens hélas très pauvres, et il élargit son cercle au fur et à mesure que son projet avance.
En 1945, il démarche un camp de prisonniers de guerre allemands dans la Marne, il ramène un ébéniste, Peter Wissdorf et un peintre, Karl Rezabeck. Ils partagent un ordinaire spartiate, une passion pour l'art et leur foi qu'ils mettent au service de la restauration et de l'embellissement de l'église.

L'abbé Gillard leur fait découvrir les lieux et récits de la légende arthurienne. Karl Razebeck réalise les tableaux du chemin de croix, de la vie de Sainte Onenne et des légendes de Brocéliande sous l'inspiration et l'enseignement de l'abbé Gillard qui veut un sanctuaire de fraternité et de tolérance entre les hommes, unissant les traditions celtes, bretonnes et le christianisme. Karl Razebeck reste jusqu'en 1947, année où il est libéré de captivité sur la recommandation de l'abbé Gillard et retourne en Allemagne.

A partir de 1948, l'abbé fait éditer des guides sur Brocéliande et ses légendes, sur Tréhorenteuc. Suivront des écrits sur le symbolisme, le zodiaque, les nombres... Les bénéfices contribuent aux travaux et à la renommée de son église. Peu à peu les vitraux sont installés, le choeur pavé, et enfin la mosaïque du cerf aux quatre lions est finalisée vers 1955.

La réputation du sanctuaire s'étend, des gens célèbres, intellectuels et artistes s'y rendent, ainsi André Breton le maître du surréalisme qui cherche son inspiration dans les racines mythiques de l'inconscient. Mais les supérieurs de l'abbé voient cette renommée d'un mauvais oeil. Finalement accablé par les mauvaises langues qui se déchaînent, il quitte son église en 1962, mais il n'a pas d'autre lieu pour exercer son ministère, et malgré l'appui de paroissiens et d'élus, l'évêché lui interdit de reprendre son exercice à Tréhorenteuc.

Pourtant il revient vivre en Brocéliande dans la commune voisine, Néant-sur-Yvel grâce à l'abbé Rouxel qui poursuit son oeuvre et l'accueille. A sa mort en 1979, il est inhumé dans ce qui restera son église dans les mémoires. Sa statue accueille le pèlerin devant la porte d'accès au sud de l'église.



Clarance conclut sur ces mots:

- On peut dire que l'abbé Gillard a été "nourri" par le Graal presque concrètement étant donné les conditions dans lesquelles il a vécu et il lui a voué sa vie jusqu'au bout. Le Graal pour lui était clairement associé au Christ, mais aussi à un fond celtique ancien et c'est ce qui donne autant force à son oeuvre.

La Chapelle du Graal, Saint Eutrope, Sainte Onenne

Puis nous avons comparé notre façon de voir le décor de la Chapelle du Graal qu'elle faisait régulièrement visiter en s'en tenant à la version officiellement admise. Les Questeurs eux n'avaient pas à s'embarrasser de considérations de bienséance... Mais je la sentais très réticente face à ce qui dépassait certaines limites rationnelles, aussi je préférai ne pas lui parler de mon expérience vécue avec Merlin et Fernand sur le monogramme de la Vierge.

Elle savait qu'en Bretagne encore plus qu'ailleurs en France, les saints ont remplacé des divinités locales et que les caractéristiques de leur vie ou de leur mort permettent de substituer au culte païen une dévotion et des rites plus chrétiens. La plupart des lieux de culte anciens sont associés à une fontaine ou un puits, Tréhorenteuc n'échappe pas à la règle, la fontaine locale dite de Sainte Onenne attirait autrefois de nombreux pèlerins.

________________________________________________________________________________

L'église était primitivement dédiée à Saint Eutrope, mais il avait été remplacé par Sainte Onenne.

Il a pourtant une chapelle dédiée dans l'église, la chapelle latérale sud aussi appelée chapelle du Saint-Sacrement. Le fond de cette minuscule chapelle est couvert d'une mosaïque rouge, le rouge évoquant l'amour (ou caritas chrétienne mal traduite par charité). La grille fermant cet espace est particulièrement travaillée, on y voit des esses sur les côtés, des triskèles en partie supérieure et les deux vantaux latéraux sont ornés de poissons entrecroisés, cinq entiers et la moitié caudale d'un autre sur les côtés en partie inférieure (comme dans le zodiaque inversé du baptistère que nous avions vu lors de la visite faite avec Clarance).

Cette chapelle pourrait tout aussi bien s'appeler chapelle du Graal. En effet l
a filiation entre Graal en tant que symbole du calice contenant le sang du Christ et le Saint-Sacrement assimilé à l'Eucharistie est évidente. Le nom moderne de la fête est d'ailleurs parlant, c'est la "Fête du Corps et du sang du Christ".


Le poisson est bien sûr le symbole du Christ chez les premiers chrétiens et leur signe de reconnaissance.
Ichtys (ou ichtus) en grec signifie poisson et c'est l'acrostiche du nom de Jésus.

Pour les celtes, le poisson est principalement le saumon, c'est un symbole de connaissance, de sagesse et parce qu'il remonte à la source, il symbolise aussi l'illumination et la résurrection.

Clarance ne connaissait pas la légende irlandaise selon laquelle un héros en quête de sagesse apprend qu'il faut boire aussi bien à la source, Fontaine de Sagesse et lieu de vie de cinq saumons, qu'aux cinq courants qui représentent les cinq sens humains. Ceux qui accèdent à la Connaissance boivent à tous.
- Cette fontaine, remarqua Clarance, se présente comme un mandala ou modèle de représentation synthétique, et comme un lieu d'accès à l'Autre monde par la connaissance.

J'étais contente qu'elle parvienne aussi bien à synthétiser ces éléments. A sa demande, j'enchaînai sur Saint Eutrope.

C'est un saint pour le moins mystérieux, son tombeau a été retrouvé quelques siècles après sa mort, authentifié par la trace du coup de hache qui lui avait fendu le crâne et un songe où il apparut pour confirmer son martyr! Sa vie appartient à la légende et se présente sous différentes versions.

L'une d'elle en fait le "treizième apôtre" arrivé en Gaule en même temps que des chrétiens, dont
Joseph d'Arimathie le porteur du Graal, il accostera avec Marthe et Marie-Madeleine aux Saintes-Maries-de-la-Mer. On peut donc dire que dans ce cas il a vu le Graal, ou du moins il sait ce qu'il en est étant un témoin très proche.
Une autre version en fait un disciple de Saint Denis au III° siècle, il aurait été le premier évêque de Saintes, là où a été retrouvé son sarcophage (la ville est au sud de la Rochelle et c'est une étape du Chemin de Compostelle). Furieux qu'il ait converti sa fille, le gouverneur de la région ordonna qu'on lui fende le crâne avec une cognée. C'était une époque violente, mais héroïque, son maître Saint Denis mourut décapité et porta sa tête en marchant avant de s'écrouler...

Saint Eutrope est invoqué pour soulager les migraines et les maux de têtes (ce qui selon l'expression populaire "casse la tête"!), mais aussi l'hydropisie (ou mal de Saint Eutrope) qui est un nom ancien pour les oedèmes, que ce soient ceux qui donnent un gros ventre, (c'était à l'époque principalement dû à l'alcoolisme) ou ceux qui font gonfler les articulations (et sont alors associés à des rhumatismes).
En Bretagne, on prend l'eau de la fontaine qui lui est dédiée pour mouiller l'endroit atteint et ainsi se soulager. Ailleurs en France, Saint Eutrope est aussi fréquemment associé à des fontaines.
D'après les Questeurs de Brocéliande, il existait un lien entre le culte des têtes et les fontaines.

- Oui, confirma Clarance, je connais les légendes de nombreux saints qui lavent leur tête coupée à la fontaine ou bien une fontaine surgit là où ils l'ont déposée. C'est peut-être le reflet d'un ancien culte des têtes que le christianisme a récupéré à défaut de pouvoir le faire disparaître.

''Mais selon la légende, Saint Eutrope a eu le crâne fendu. Comment ne pas penser au fameux "coup de merlin" bien connu en Bretagne et dont nous a parlé Fernand. Le Mel Beniged était une pierre polie ou une hache néolithique utilisée dans une chapelle selon un rituel christianisé -pose de la hache sur le crâne et accompagnement par des prières- pour libérer les mourants. C'était une pratique attestée en Morbihan au XIX°.

- Les Questeurs disent que Merlin peut être associé au dieu gaulois Sucellos dont le maillet tue ou ressuscite. On pourrait dire qu'il fait passer dans l'Autre monde ou donne une nouvelle naissance, autrement dit une prise de conscience ou même une initiation. La valeur du sommet de la tête s'intègre dans une conception traditionnelle du corps qui voit dans la fontanelle (espace entre les sutures du crâne qui se referme dans les premiers mois de vie), la porte du ciel ou porte de l'âme, franchie au moment de la mort.
''Elle est aussi appelé la
"porte étroite" ou dixième porte, elle met en correspondance la conscience humaine et le cosmos (en tant que conscience cosmique), c'est l'ouverture vers l'Autre monde au sens symbolique ou l'Au-delà après la mort.
''Et dans les légendes celtiques, le
symbole du saumon est parfois associé à une tête coupée, dans une même référence à la connaissance, science sacrée.

 

 

Clarance résuma:

-Saint Eutrope est donc un saint bénéficiaire d'un culte des têtes puisqu'il a eu le crâne fendu comme par un coup de merlin, associé à une fontaine et à la fête de Beltaine. Cela aurait pu effectivement lui permettre de s'implanter dans ce village du Morbihan, mais en fait la greffe de l'évêque de Saintonges n'a pas bien pris et c'est Sainte Onenne qui l'a emporté. La fontaine locale lui est dédiée, l'église porte son nom et c'est sûrement la seule en France, car ce n'est pas non plus une sainte très "catholique"! Tu connais son histoire officielle?

- Dans les grandes lignes, mais j'aime bien quand tu racontes, je t'écoute.

- Son nom est d'origine celtique, Onn(Gw)enn : Onn signifie frêne, Gwenn signifie blanc, brillant. Ce nom pourrait aussi être associé à l'eau: en Indo-Européen -onna- ou -anna- désigne l'eau qui coule, eaux vives, eaux courantes, rivières. Née vers la fin du VI° siècle, elle serait la dernière d'une fratrie de 22 enfants, fille du roi Judhaël et soeur du roi de Domnonée, Judicaël. Pour le reste, les épisodes de sa vie sont mis en scène dans l'église. J'aime tout particulièrement sa bénédiction par Saint Elocan! Eloquent n'est-ce pas? Onenne était accompagné par des oies comme tu le sais.
Et l'oie est l'oiseau qui nous invite à parler une autre langue, la langue des oiseaux. C'était parfois un "jargon" d'initiés, (le jars étant le mâle de l'oie) qui portaient la patte d'oie de tissu rouge, tels certains constructeurs de cathédrale du Moyen-âge. Le mot peut s'associer à l'ouïe et c'est une invitation à entendre autre chose, pour favoriser "l'entendement".

Elle fit une pause et je ne dis rien, elle en connaissait manifestement plus que ce qu'elle disait lors de ses animations de groupe et je comprenais mieux l'accueil qu'elle avait réservé à Fernand... Elle reprit sur un ton léger:

- Bien sûr, en tant que chrétienne, Onenne était un exemple de jeune fille qui ayant renoncé à sa vie de princesse recherchait la pauvreté et a su par dévotion à la Vierge rester pure (elle est morte à 26 ans). Passons à autre chose. Au dessus de la porte ouest de l'église, près des fonts baptismaux, as-tu remarqué l'inscription?

- "Enfant souviens-toi si ce monde est à toi l'autre monde est à Dieu", récitai-je. C'est éclairé par le vitrail de l'enterrement de Sainte Onenne qui évoque l'entrée dans l'Autre Monde de l'âme. Avec le fameux zodiaque inversé juste dessous.
- Queue de poisson et tête de bélier.

Je lui posai la question des Questeurs:
- Et quel est le signe du zodiaque qui comporte une queue de poisson et une tête à cornes?
- Le Capricorne, répondit-elle avec un petit sourire, signe du Capricorne qui selon la tradition est une des portes du cycle zodiacal du soleil, celle du solstice d'hiver, l
a Porte des dieux. Et comme nous l'avons vu, l'autre porte, celle du solstice d'été, dans le signe du Cancer était la Porte des hommes.
- Oui et cela confirme l'interprétation de l'entrée dans l'Autre Monde qui pour l'homme profane a lieu lors de sa mort (par la porte des hommes symbolisée par le Cancer). Mais pour le chercheur initié, c'est la Porte des dieux.
- Que veux-tu dire par initié?
- Selon les Questeurs, c'est l'être qui travaille sur lui-même afin de se mettre à l'écoute de sa sagesse intérieure jusqu'à ce qu'il entre en relation avec une dimension spatio-temporelle différente qui selon son niveau d'évolution spirituelle élève ses facultés pour une compréhension directe de la vie. C'est l'étape fondamentale du "connais-toi toi-même et tu connaîtras le monde et les dieux" de la Sagesse grecque puis universelle.
L'initiation permet d'installer un lien conscient entre la conscience humaine "intellectuelle" et la conscience supérieure dans ses différents niveaux "spirituels".
- Les anciens, ajouta Clarance, disaient que par la "Porte des dieux", l'âme retourne au divin. Et si l'on comprend ce que tu viens de dire à propos de l'initié, comme l'a écrit l'abbé Gillard, alors effectivement la "Porte est en dedans". Mais le zodiaque en lui-même qui fascinait tant l'abbé, qu'en disent tes Questeurs?

Du zodiaque au chemin de croix

Je sentis une légère ironie dans ses propos, mais je passais outre, le sujet était trop fascinant. Je répondis:

- Effectivement, pour l'abbé Gillard, le Zodiaque était un élément symbolique très important. Il avait fait des études classiques et à l'époque on étudiait encore les anciens auteurs latins ou grecs qui en exploitaient la tradition. Dans toutes les civilisations antiques et en Europe au Moyen-âge ou à la Renaissance, le zodiaque était une figure centrale de la transmission du savoir. Il figurait au porche ou même en médaillons intérieurs dans les églises et cathédrales. La médecine établissait des correspondances entre les constellations, les planètes - le cosmos en tant que Macrocosme - et les organes de l'homme considéré traditionnellement comme Microcosme.

- Oui, je me souviens, ajouta Clarance, et le Zodiaque était aussi un support de connaissance et de mémoire. Giordano Bruno lui-même, condamné au bûcher par l'Eglise pour avoir soutenu les idées de Copernic sur l'héliocentrisme qui remettaient en question la position centrale de la Terre (géocentrisme), élabora un "art de mémoire", à partir du Zodiaque et des constellations. Il l'avait conçu comme un système encyclopédique en accord avec l'ordre cosmique.

J'étais contente de partager sa culture et enthousiaste, je repris:

- Au Moyen-âge, l'église utilisait aussi le zodiaque, le plus souvent associé au Christ. Il y apparaît comme dominant le temps et l'espace à l'époque romane. Il en est le maître ou il assure une médiation entre les différents niveaux d'organisation aussi bien célestes que terrestres.
Et en tant que modèle universel, le zodiaque organisait aussi l'occupation du territoire dans la société traditionnelle pré-chrétienne si l'on en croit la disposition des lieux sacrés.

Elle eut une moue dubitative et dit:

- N'est-ce pas une interprétation? Ce qui est sûr, c'est que le zodiaque est utilisé dans de nombreuses sociétés et ce de façon très ancienne.
- C'est vrai, les premiers modèles de zodiaques connus datent de l'Antiquité, en particulier en Egypte.

- Comme le fabuleux Zodiaque de Dendérah, reprit Clarance, avec son symbolisme astral mêlé au mythe d'Isis et Osiris, les principaux dieux d'Egypte. Tu connais la légende bien sûr.

Je lui souris pour l'encourager à poursuivre, ce qu'elle fit sans se faire prier.

- Selon la légende, Osiris démembré en 14 morceaux (ou plus selon les versions) est réparti dans toute l'Egypte. Mais il est aussi le Nil et l'inondation recrée pour un temps son unité sur le territoire. De même que les fonctions du corps humain ont leurs correspondances avec les constellations, le sol d'Egypte par l'intermédiaire des "nomes", systèmes d'organisation administrative, est donc organisé à l'image du ciel. Par ailleurs une correspondance étroite entre les épisodes de la mort et résurrection d'Osiris était établie avec la configuration du ciel à différentes périodes de l'année.

- C'est tout à fait ça, dis-je, pour les égyptiens dans l'Antiquité, Osiris était l'Homme cosmique assimilé au zodiaque et ce zodiaque était projeté sur le sol égyptien en tant que modèle d'harmonisation du territoire avec le cosmos.

- D'accord, c'est ce que tu évoquais, dit Clarance, et en effet, les égyptiens dénombraient 14 constellations, celle de la Cuisse (la Grande Ourse) et du Dragon complétaient les 12 constellations de nos zodiaques classiques.
- Oui, de même, dans de nombreuses sociétés traditionnelles, il existait une organisation spatiale intégrant le zodiaque dans le paysage telle une géographie sacrée en harmonie avec le ciel, les astres et les constellations. C'est vrai que c'est une interprétation particulière, mais qui se rattache à un modèle très ancien: de nombreux territoires en France possèdent une histoire de zodiaque implanté sur leur sol. Nancy, Rennes-le-Château, le Verdon...
''Ce concept peut sembler étrange à nos mentalités modernes, mais c'était une nécessité rituelle pour l'homme d'autrefois. Ce concept l'aidait à s'installer sur une nouvelle terre dans des conditions souvent difficiles : périodes glaciaires, concurrence avec des animaux dangereux, dépendance étroite des conditions climatiques pour la survie, et jusqu'au XIX° siècle, les menaces de famine était une réalité pour tous. L'homme avait un besoin vital de se sentir en harmonie avec ce qu'il comprenait des lois du monde représentées par des dieux qu'il fallait se concilier.

- OK, vu comme ça, je comprends mieux, dit Clarance. Mais pourquoi ce modèle du zodiaque a-t-il été abandonné par l'église?

- Ce n'est pas la façon dont les Questeurs envisagent les choses, c'est peut-être plus lié à un changement de façon de penser qu'à un choix délibéré. L'évolution des connaissances, en particulier scientifiques, fait évoluer la notion même du temps. On passe de la conception d'un temps cyclique avec une périodicité reproduisant les mêmes faits, à la conception d'un temps linéaire qui a un début, une fin et permet d'écrire une histoire sur une longue durée.

- C'est vrai, ajouta Clarance, le zodiaque symbolisait l'éternel retour des tâches quotidiennes et des événements astronomiques, donc des dieux qui leur étaient associés. Avec l'église, c'est la vie du Christ qui est importante. Il est d'abord cosmique comme Osiris dans la mythologie égyptienne, c'est le Christ Pantocrator qui règne sur le Monde et figure au centre du zodiaque roman. Puis il est mythique, c'est Jésus-Christ, le guide à suivre pour le salut de l'âme et la vie éternelle. Et enfin il est devenu un personnage historique dans notre époque obsédée par la preuve matérielle de la vie ou des restes d'un homme, Jésus. Et donc où se situe le chemin de Croix dans cette histoire?

C'était effectivement une bonne question, je dis prudemment:

- Il faudrait s'intéresser à l'élaboration de ces monuments de la foi et à leur contexte historique.

- Pour ce que j'en sais, affirma Clarance, c'est surtout à partir du XIX° siècle que se sont développés les chemins de croix dans les églises. Mais pour leur représentation, la "tradition" régionale a longtemps prévalu malgré les efforts des papes d'imposer les coutumes romaines. Le nombre des stations était d'ailleurs variable jusqu'à la fin du XIX° siècle puis la norme romaine de 14 stations s'est répandue, parfois une 15° est ajoutée. Est-ce que ce chemin est inspiré de l'histoire d'Osiris? Mais comment concilier un événement de la vie d'un homme-dieu qui s'est déroulé sur un temps si court et la vie d'Osiris répondant aux cycles du temps et des astres...

Elle resta rêveuse, puis elle s'anima pour me dire:

- Nous avons assez parlé pour l'instant, si nous mangions un peu avant de faire une petite visite privée à la Chapelle du Graal.

Nous étions tout près, la soirée ne faisait que commencer et j'étais loin d'avoir découvert toutes les richesses de ce sanctuaire! J'acceptai donc avec le même enthousiasme. Après un en-cas rapide, je pris mes notes et les fascicules des Questeurs et je suivis Clarance jusqu'à l'église. Elle avait la clé de la porte extérieure, mais pas celle de la sacristie où l'abbé Gillard avait fait mettre le vitrail d'un superbe zodiaque ainsi difficilement accessible, probablement pour ne pas heurter davantage les autorités ecclésiastiques qui n'en voulaient plus dans leurs lieux de culte.

Visite de la chapelle du Graal

Avec la lumière, les proportions et donc les perceptions changeaient, j'eus l'impression de redécouvrir cette petite église. Clarance était aussi différente, comme apaisée, elle parlait à voix basse et marchait doucement. Elle me demanda:

- Par quoi veux-tu que nous commençions?

- Par le Graal, si tu le veux bien.

Elle se mit à rire et dit:

- Il n'est pas ici, tu penses bien! Mais soyons sérieuses, seuls les ignorants et certains enfants croient encore qu'il s'agit d'un objet. Voyons comment notre bon abbé Gillard l'a mis en scène. Le Graal est évoqué dans les vitraux du choeur et les tableaux arthuriens de la nef.

________________________________________________________________________________

Et elle me conduisit vers le vitrail de l'Action de Grâces. Jésus auréolé d'un cercle divisé par une croix rouge, préside la table de la Cène, entouré de ses onze apôtres. Un siège est vacant au premier plan. Le Graal est posé au centre de la table vide qui forme un carré de quatre. Clarance dit:
- Ici, le Graal est un calice vert, il a été taillé dans une émeraude selon la légende. Dieu auréolé d'un cercle divisé en trois, (donc en Y) bénit la scène au sommet et une colombe (symbole du Saint-Esprit) s'envole. Des rayons émanent de Dieu et se dirigent vers les convives de la Cène. Remarque les triskèles aux coins inférieurs.

Elle se déplaça jusqu'au suivant:

- Ici, nous avons le vitrail de l'Apparition du Saint Graal. C'est la table du Roi Arthur, il est entouré de dix chevaliers, la table est servie en pain et en vin. Deux anges portent le Graal au-dessus des convives qui le regardent. Le Christ en croix rayonne au sommet et un flot rouge se déverse de son côté droit dans le Graal qui rayonne aussi mais plus discrètement. En périphérie, on retrouve sensiblement les mêmes motifs que sur celui de l'Action de Grâces, sauf au sommet où l'on voit une croix celtique verte.

Elle contourna l'autel pour se mettre face au grand vitrail du choeur, celui du Saint-Graal. Juste en dessous, je vis l'inscription "Jésus le Seigneur dieu maître de tout" peinte sur une banderole dont les deux extrémités étaient enroulées comme un parchemin, mais en forme de roses rouges. Elle me proposa de lire le riche décor de ce vitrail du Graal de bas en haut et de gauche à droite.

- Au premier niveau, tu vois l'écusson divisé en cinq parties parsemées d'hermines évoquant les cinq départements bretons. A côté un lièvre debout qui place sa patte comme pour transmettre un secret: est-ce l'illustration de l'expression "lever un lièvre"? Face à ce lièvre, on voit un autre léporidé de trois couleurs (roux, rouge, brun). De façon générale, le lapin est un animal lunaire (d'où les trois couleurs pour les trois phases?). Pour les alchimistes, il représente la materia prima. Le lièvre en particulier est le guide de la quête spirituelle de l'apprenti sous la terre, c'est-à-dire dans son inconscient.

Au milieu des deux personnages évoquant les donateurs, on distingue le tronc d'un chêne qui va s'étendre dans tout le vitrail sous forme de bouquets de feuilles et de glands. Le chêne est bien sûr l'arbre druidique par excellence, arbre du monde et de connaissance. Il assure la communication entre le ciel et la terre. Près du centre, une oie rouge picore. L'oie est un symbole solaire et de l'illumination par l'esprit. Le rouge est symbole de Vie et d'amour. Pour l'Eglise, c'est la couleur de l'Esprit; en alchimie, l'oeuvre au rouge est l'aboutissement du Grand Oeuvre, l'entière réalisation de l'Homme. C'est la couleur de la Connaissance ésotérique.

Dressé au-dessus de l'oie, s'élève un chardon qui est pour l'Eglise un symbole de la douleur du Christ et de la Vierge. En alchimie, le chardon symbolise le gardien de la Rosée, produite par l'Arbre de Vie (représenté ici par le chêne), qu'il garde entre ses feuilles. A l'extrémité droite, un phénix rouge aux serres et au bec bleus étend ses ailes sur un fond de flammes. Il symbolise la résurrection et l'immortalité de l'âme.

Au second niveau, le Lion évoque Saint Marc, au milieu les donateurs sont agenouillés devant une colombe comme celle du Saint-Esprit. A droite le Taureau représente Saint Luc.

Au troisième niveau, on voit de façon symétrique des branches de chêne et des colombes. Au centre, Joseph d'Arimathie est agenouillé devant le Christ auréolé d'un cercle divisé par une croix celtique, ils sont sur un damier aux carrés ornés de motifs géométriques. Grâce au Graal selon Robert de Boron, Joseph d'Arimathie s'est maintenu en vie quarante ans en prison avant de venir en Europe. Lui aussi s'est « nourri » concrètement du Graal afin d'accomplir sa vie.

Au quatrième niveau, l'Aigle représente Saint Jean, un écusson porte la croix de l'Ordre du Saint Sépulcre, croix "potencée, cantonnée de quatre croisettes". Les cinq croix au total évoquent les cinq plaies du Christ. Le Graal rayonne à hauteur de la tête du Christ au-dessus de la tête de Joseph d'Arimathie. L'ange à droite représente Saint Mathieu.

- Je vois, dis-je, les quatre évangélistes sont au complet autour du Christ, l'aigle c'est Saint Jean; l'ange, Mathieu; le lion, Saint Marc; le taureau, Saint Luc. Ils se tiennent aux quatre points cardinaux et aux changements des quatre saisons. Ils constituent le Tétramorphe et c'est une vision traditionnellement liée au Zodiaque.

Clarance se contenta de sourire et pointa son doigt vers le haut.
- Regarde, au-dessus du Graal à droite, se tient un écureuil. Comment ne pas penser à l'écureuil de l'arbre du monde nordique qui assure traditionnellement la communication entre le haut céleste et le bas, la terre où s'enfoncent les racines.

 

- Connais-tu, demandai-je, l'importance de la Croix de l'Ordre du Saint Sépulcre pour l'abbé Gillard?

- C'est vrai, répondit-elle, qu'on la trouve non seulement dans le grand vitrail du Graal, mais aussi sur le sol en dessous du vitrail de l'Action de Grâces et peut-être ailleurs, mais le carrelage est détérioré. Manifestement l'abbé tenait à se relier à l'Ordre de chevalerie du Saint-Sépulcre de Jérusalem. Qu'en disent les Questeurs?

Je sortis mes notes et lui dis:

- Selon eux, il faut reprendre l'histoire en amont. Le Saint Sépulcre, appelé parfois à tort le Tombeau du Christ, à Jérusalem est la grotte où le corps de Jésus fut déposé après la descente de la croix et avant la Résurrection, fait qui explique la disparition du corps et fonde la religion chrétienne.
C'est là où Joseph d'Arimathie avait préparé son futur tombeau. L'empereur Constantin aidé par sa mère Hélène "découvrit" ce lieu saint. Ils y firent détruire le temple de Vénus implanté par les romains et construire le Saint Sépulcre.

- Constantin, remarqua Clarance, c'est lui dont le nom reste accolé au Labarum ou Chrisme autrement appelé Monogramme du Christ.

- Tout à fait, mais en fait le Chrisme était un symbole bénéfique beaucoup plus ancien.

- Encore une récupération chrétienne d'une croyance païenne, reprit Clarance, il aurait vu ce symbole dans le ciel, assorti d'une promesse de victoire et cela me rappelle le Graal..., mais revenons à la Croix de l'abbé. Tu disais?

- Lors de la première croisade, après la prise de Jérusalem, Godefroy de Bouillon refuse la couronne de Roi de Jérusalem pour créer l’ordre du Saint-Sépulcre en 1099, premier ordre religieux de CHEVALERIE. C'est vingt ans environ avant que ne soit créé l'ordre du Temple, ordre militaire avec une dimension religieuse. L'ordre du Saint Sépulcre devient propriétaire ou gardien de nombreux lieux saints en Terre sainte et essaime en Europe.
Mais après la
perte de Saint Jean d'Acre (1291), c'est la fin du royaume franc d'Orient et la fin de l'épopée des croisades qui a duré presque deux siècles.

- Eh oui, dit Clarance, les Templiers doivent rentrer en Europe, leur mission principale de défense des accès aux lieux saints n'a plus lieu d'être et c'est ce tournant de leur histoire qui les conduira à leur perte.

- C'est probable, dis-je, à l'époque l'Ordre du Sépulcre se replie aussi en France, mais les franciscains prennent la relève en tant que seuls gardiens encore tolérés des lieux saints. Au XIV° siècle la chevalerie se développe, aussi ils poursuivent la mission de l'Ordre quant à la Chevalerie et procèdent à l'adoubement de chevalier pour les nobles pèlerins. Leur référence n'est pas la chevalerie militaire, mais un idéal de chevalerie. Et c'est dans cet esprit que sera créé au XIX° siècle l'ordre équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem, pour perpétuer cette référence aux lieux saints et poursuivre l'adoubement de chevaliers.

- D'accord, s'exclama Clarance avec un grand geste des bras désignant tout l'espace, dans la chapelle du Graal de Tréhorenteuc, cette croix prend valeur d'attachement à une chevalerie "célestielle" dans la droite ligne des romans arthuriens du cycle du Graal.

- Justement, tu devais me parler des tableaux arthuriens de l'abbé Gillard réalisés par son peintre allemand.

- Commençons par La Table Ronde et le Graal. Ici, chevaliers et têtes couronnées sont assis autour de la Table Ronde présidée par le Roi Arthur, les mets sont copieux et le Graal rayonne au milieu de la table, porté par deux anges, tel un plat distribuant à chacun la nourriture qu'il désire en abondance. C'est une des fonctions traditionnelles du Graal celtique qui le rapproche du chaudron mythique pourvoyeur de nourriture. Dans ce cas, c'est à une autre forme de nourriture qu'il faut penser, non plus terrestre, mais divine.

Elle passa au tableau suivant.

- Celui-ci est Le Val sans Retour. Les chevaliers sont prisonniers des sortilèges suggérés au-delà d'une barrière de feu. En arrière-plan on y voit les dragons rouge et blanc qui s'affrontent sous la forteresse de Vortigen, c'est le premier épisode des aventures de Merlin alors enfant. Un géant avec sa massue combat un chevalier de la quête arthurienne du Graal. Dans le Val sans retour, infidèles à leur amour de la Dame et donc leur idéal selon les règles de la chevalerie, les chevaliers ont tout oublié. Ils profitent des plaisirs concoctés par Morgane qui figure en robe rouge au premier plan et fait face à Lancelot. Le chevalier fidèle à son amour pour la Reine va vaincre les sortilèges et ainsi libérer ses compagnons. La table est bien garnie et les coupes se remplissent de boissons alcoolisées. On est dans le domaine de l'illusion, le faux graal sous son aspect de plaisirs d'une vie matérialiste. Mais on voit l'église de Tréhorenteuc à proximité du Val.

- Ouf, le salut n'est pas loin!

Toute à son rôle de guide, Clarance poursuivit la visite.

- Voici la Fontaine de Barenton. Le tableau se présente en quatre parties séparées par des formes courbes dessinant une coupe évoquant le Graal. Les quatre coins sont marqués de triskèles, le fameux symbole solaire celtique. De chaque côté de la forme du vase, les scènes sont dans des tons passés. A gauche de la coupe, on voit Eon de l'Etoile, personnage local du XII° siècle, moine hérétique devenu une légende et plus ou moins associé au personnage de Merlin (il est considéré parfois comme le dernier druide ou du moins leur héritier). Il est somptueusement vêtu d'une chasuble sacerdotale et porte une épée comme un chevalier. Il se tient debout près de la table où sont étalés ses trésors d'or et de victuailles. L'église de son monastère est en arrière-plan surmontée d'une étoile.
Eon remettait en cause l'église et ses abus, il dérobait aux puissants pour distribuer aux pauvres, mais il était aussi maître de l'illusion, il invitait parfois pour des repas somptueux, pourtant les convives avaient faim dès leur départ, ils n'avaient rien mangé! Il a deux étoiles dans la main gauc
he et une au-dessus de la tête. Ce personnage mystérieux était d'origine noble, son blason comportait trois étoiles.

Mais avant tout, il utilisait ses dons pour propager ses idées. Assimilé à un prophète par ses disciples, l'église finit par s'émouvoir de son succès (en Bretagne et jusqu'en Gascogne) craignant une nouvelle hérésie.
Il se dit "fils de Dieu", juge des vivants et des morts et maître du monde, faut-il entendre mètre, c'est-à-dire mesure du monde par rapport aux normes cosmiques - la vieille Loi-? En effet, interrogé sur son bâton fourchu en Y, il répondit que ses deux pointes vers le ciel signifiaient que Dieu, maître des deux tiers du monde lui laissait le tiers. Tourné vers le bas, c'était lui qui disposait des deux tiers. Cela se référait à sa doctrine et aux pouvoirs temporel, spirituel et céleste revendiqués par l'Eglise.

- Comment ne pas penser à l'inscription de l'abbé Gillard dans le baptistère: "souviens-toi si ce monde est à toi l'autre monde est à Dieu"?

Clarance était emportée par son talent d'orateur, elle enchaîna:
- Considéré comme fou par le tribunal ecclésiastique qui le juge, il échappe au bûcher mais il meurt rapidement en prison. Ces étoiles dans la main d'Eon représentent une autre richesse que celle des bijoux et de l'or qu'il brandit. Richesse spirituelle d'une ancienne tradition celtique et gnostique bien implantée localement et dont le Graal est le trésor symbolique transmis pour notre époque.
Regarde maintenant à droite de la coupe, Merlin jeune (d'une éternelle jeunesse?) alangui au pied d'un arbre regarde Viviane telle une apparition qui l'enchante. Une étoile brille au-dessus d'elle, elle est la Fée inséparable de Merlin, son "autre" face à lui et elle le garde dans un amour sans fin. Une écharpe transparente serpente sur son bras.

A la base de la coupe, Ponthus combat un cavalier pour l'amour de la belle Sidoine dont il est séparé par la jalousie d'un rival malgré leur amour réciproque. Les couleurs sont grises sans paysage précis, on est là dans le passé d'un chevalier donné en modèle.
L'histoire d
e Ponthus et Sidoine est une adaptation au XV° siècle d'un poème anglo-normand de Horn écrit à la fin du XII° siècle. Ponthus, fils de roi de Galice, est en exil après avoir été victime des sarrasins. A la cour du Roi de Bretagne il se fait honorablement remarquer et la fille du roi, Sidoine est séduite. Mais victime d'un rival, Ponthus va affronter de longues épreuves qui séparent les amoureux. Ponthus exprime en actes un idéal de chevalier au service de la dame de ses pensées, il se construit en se confrontant aux épreuves qui lui sont imposées sans jamais se dérober. Son destin bascule à plusieurs reprises de façon dramatique (la roue du destin), mais il reconquiert amour et pouvoir au terme d'aventures épiques.
Enfin, au sommet, dans la coupe même, l'univers de la clairière de la fontaine de Barenton est représenté avec des couleurs vives et une perspective qui rendent la scène très vivante. Le chevalier Yvain qui connaît les prédictions associées à ce lieu, brandit le gobelet ou bassin d'or attaché par une chaîne au-dessus du perron de la fontaine pour y renverser l'eau. Ce geste va déclencher une tempête et faire basculer Yvain dans l'Autre monde, monde féerique où il fait beau, de nombreux oiseaux chantent... Mais l
e chevalier gardien de la "merveille" -c'est-à-dire selon le langage de l'époque, qui procure crainte et fascination- vient chasser Yvain qui le combat jusqu'à la mort. Yvain rencontre alors sa femme devenue veuve par sa faute, la fée Laudine et l'épouse. Au terme d'un éloignement imposé, il retrouve Laudine et garde à son tour la fontaine...
Profitant d'un répit, j'ajoutai:

- Selon les Questeurs, dans la littérature du Moyen Age, Yvain présente des éléments d'anciens mythes de la végétation: le jeune dieu doit remplacer le vieux dieu de la nature auprès de la puissante déesse de la Terre. Il personnifie le renouveau du printemps qui règne sur la terre.

- En tout cas, reprit Clarance, Yvain est le chevalier qui passe dans l'Autre monde à Barenton, ce lieu magique où se côtoient les contraires, merveilleux et périlleux et lui est capable de passer d'un monde à l'autre. Il accède à la Connaissance de l'Autre monde et à l'issue des épreuves, il devient le gardien de son seuil magique, la fontaine et son perron ou passage périlleux. Son amour pour Laudine est un élément important de cet univers et de ce voyage à double sens, ce qui est aussi le cas de Merlin représenté à droite du tableau.

- Yvain et Laudine, Merlin et Viviane, murmurai-je.

Clarance était en pleine forme, elle me proposa:

- Continuons dans l'univers des légendes et passons à la mosaïque du Cerf blanc aux quatre lions. C'est rare dans une église, un tel décor de mosaïque qui s'étend sur toute la partie haute à l'ouest de la nef. Il date de 1955, il a été réalisé par Jean Delpech sur commande de l'abbé Gillard. Cette scène évoque la vision de Galaad, fils de Lancelot et chevalier au coeur pur qui au cours de la quête du Graal, dans la forêt Gaste, rencontre cette "merveille". Avec ses deux compagnons, ils suivent le cerf et les lions dans une chapelle où un vieux prêtre commence une messe, ils découvrent que le Cerf est le Christ et les lions sont les quatre évangélistes.

- Ainsi, dis-je, on retrouve sous une autre forme le Christ au centre du Tétramorphe qui est un condensé du Zodiaque.

- Tout à fait, confirma Clarance, dans le roman de Lancelot, cette scène est annoncée par Lancelot qui aperçoit aussi le cerf, une prédiction lui révèle ensuite que seul son fils connaîtra le sens de cette apparition. Les Questeurs ont parlé du symbolisme du Cerf blanc?

Je cherchai aussitôt dans mes documents et je lui lus ce qui s'y rapportait:

- Effectivement, le cerf blanc apparaît à plusieurs reprises dans les récits de la Table Ronde. Il est le prélude à des aventures auxquelles sont confrontés les chevaliers, il représente la quête du dieu mystérieux, caché sous des apparences animales, le Christ. De même, dans les mythes celtes, il est le messager de l'Autre monde qui fait basculer le destin de ceux qui le rencontrent. Il est aussi un animal psychopompe: il conduit les âmes vers leur dernière demeure.

________________________________________________________________________________

Le cerf est en rapport avec l'ouest, le coucher (ou mort) du soleil, le pays des morts et l'automne. Il est en effet associé à la mort et à la résurrection du fait de ses changements cycliques de ramure. Pour les celtes, c'est un animal solaire, dont les transformations symbolisent les saisons. Il est au maximum de son développement et de ses capacités reproductives en automne, avec des bois triomphants alors que la terre se dépouille de sa végétation qui doit mourir avant de renaître.

Il était représenté dans la constellation du Cerf regroupant l'ensemble de la Balance et du Scorpion actuel et le soleil entrait dans ce Signe lors de la fête de Samain, grande fête celtique de fin-début d'année.

Les traditions celtes en rapport avec le cerf sont riches, surtout autour du dieu Cernunnos: le Cornu arborant des bois de cerf, le chaudron de résurrection. Arthur lors du rituel de Beltaine assume le rôle du dieu-cerf qui épouse rituellement la déesse (rôle tenu par Morgane sa demi-soeur). Merlin lui-même apparaît parfois monté sur un cerf ou se transforme en cerf.

En alchimie, le cerf blanc désigne le premier mercure de l'oeuvre au blanc, le servus fugitivus (esclave fugitif) par analogie avec le cervus fugitivus (cerf fugitif).
C'est le mental ou âme psychique des anciens qui menace toujours de s'échapper, de nous entraîner dans les aventures de l'inconscient et surtout qui résiste à l'intégration dans la conscience.
- Passionnant, et pour les lions? demanda Clarance.

- Attends, je viens de le voir... Le lion est un symbole de courage et de noblesse, c'est aussi un symbole solaire et il est associé à la résurrection, on disait au Moyen-âge que les lionceaux naissaient morts et qu'ils étaient ramenés à la vie au troisième jour par leur père. En alchimie, le lion rouge est associé au Mercure philosophique qui représente le lien entre le monde de la matière et celui de l'âme prenant conscience du processus d'intégration sur son chemin vers le centre caché. Quant à cette mosaïque, les Questeurs de Brocéliande disent qu'il relie la quête du Graal christianisée et la quête païenne oubliée.

- Oui, dit Clarance, regardons plus attentivement: le cerf porte une croix d'or, il a une auréole tout comme les lions. Mais dans son auréole figure une croix et ses bois finissant en Y sont orientés pour suggérer la possibilité d'une figure à 8 branches. L'étoile au-dessus de sa tête comporte sept pointes. Au premier plan on distingue le perron de la fontaine de Barenton. L'eau prend une forme de croissant de lune. Les arbres représentent la clairière.

Nous avons vu dans un des tableaux arthuriens de l'église que le chevalier au lion, Yvain qui figure dans la partie "coupe-graal" du tableau, est le gardien de la Fontaine de Barenton. Le croissant de lune associé à l'eau est un symbole de la Déesse.

 

Dans mes documents, un passage évoquait la royauté et la chasse au cerf. Je le lus à Clarance:
- L'épisode chrétien de la chasse au cerf concernait Galaad, mais Chrétien de Troyes dans son premier roman Erec et Enide, qui est aussi un des premiers romans courtois, parle d'u
ne chasse au cerf tout à fait déterminante puisqu'elle est le préalable au choix du chevalier qui épousera la femme représentant la souveraineté du pays et la déesse, (il s'agit donc d'un mariage sacré ou hiérogamie), on y apprend aussi la façon dont le brave chevalier Yvain est devenu le chevalier au lion. Enfin, la « chasse au blanc cerf » y est clairement établi comme un rituel de royauté sacrée, le héros désigné avait droit au morceau royal, la hanche de cerf.
Selon les Questeurs de Brocéliande, cela avait un rapport avec le Graal. Dans le roman Perceval ou le conte du Graal de Chrétien de Troyes, lors de l'apparition du Graal dans le château du Roi pêcheur, le premier mets servi est de la hanche de cerf au poivre. Perceval en ne participant pas au rituel qui se joue devant lui se dérobe en fait à cette hiérogamie qui n'a plus lieu d'être dans un contexte devenu chrétien. Il refuse de jouer le jeu selon les règles des anciens rites païens.
- Si je comprends bien, dit Clarance, le cerf blanc qui était considéré dans l'optique païenne comme le messager de l'autre monde (et de la déesse) désignant le roi aux yeux de tous est maintenant le Christ lui-même et c'est lui qui oriente les aventures des chevaliers chrétiens engagés dans la quête du Graal avec leur idéal de chevalerie célestielle.

On ne pouvait mieux résumer, je n'ajoutai rien. Soudain Clarance frissonna, elle dit:

- Finalement nous avons passé toute la soirée ici, il fait froid maintenant, il est temps de rentrer.

En quelques minutes nous étions chez elle bien au chaud avec une tasse d'infusion parfumée pour clore la soirée. Nous étions fatiguées après cette journée bien remplie et elle me montra rapidement la chambre d'amis. Je ne tardai pas à sombrer dans un sommeil animé de rêves où Merlin tenait le premier rôle.

Je fus heureuse de retrouver Clarance au petit déjeuner. Son compagnon était déjà parti se coucher à peine rentré de son travail. Nous avions peu de temps, mais elle me demanda:

- Je me pose une question, la latitude de 48° de Tréhorenteuc semblait importante pour l'abbé Gillard et nous savons que c'est celle de Chartres, nous avons parlé du rectangle solsticial qui détermine une géométrie particulière. Donnerait-il la mesure?
- Je me souviens que le premier sanctuaire de Chartres était dédiée à la Grande Déesse-mère puis à la Vierge noire. La coudée est localement déterminée par référence à la
"géométrie solaire", le rectangle solsticial étant subdivisé en coudées (avec un nombre rond pour faciliter les calculs, la coudée est la longueur d'environ un avant-bras). Ainsi on peut effectivement dire que le 48° parallèle détermine sa mesure.

- OK, dit Clarance, c'est vrai que pour nos ancêtres tout était en cohérence, les oeuvres de l'homme devaient se mettre en harmonie avec le cosmos et comme le rappelle Fernand, tout est relié par le Nombre, le poids et la mesure.

Me souvenant de mes notes, j'ajoutai:

- Les Questeurs ont dit: le Nombre définit l'harmonie et relie les proportions. La Mesure est en rapport avec les astres et en particulier le soleil. Et pour les anciens, le Poids lui-même était lié à la mesure par référence à une unité fonctionnelle: combien de grains de blé mesurant tant de longueur sont-ils nécessaires pour faire tel produit.
- Magnifique! s'exclama Clarance, notre défi actuel est de relier intellectuellement la connaissance mythique et traditionnelle à la pensée basée sur l'expérience et l'intuition des phénomènes naturels. Que l'esprit de Merlin nous guide sur le chemin de
la connaissance unifiée, seule à même de nous donner une représentation globale qui nous réconcilie avec le monde et notre place en son sein. Sur ce, je dois revenir à des occupations plus concrètes. J'ai un groupe à balader.

J'avais la même façon de voir les choses à ce stade, j'approuvai et filai rassembler mes affaires. Je fus prête en quelques minutes et je la quittai pour retourner au relais des Questeurs. En s'éloignant elle se retourna, me salua de la main et dit:

- La prochaine fois tu me parleras du chemin de croix. A bientôt.

Les heures suivantes passèrent très vite, partagées entre la plongée dans les documents et les discussions fructueuses avec Abdul afin d'approfondir les notions complexes que je découvrais.

Le chemin de croix, chemin de vie

Je voulus revoir le chemin de croix de l'église de Tréhorenteuc en fin d'après-midi et je fus agréablement surprise lorsque Clarance m'y rejoignit. Elle me dit:

- Je t'ai vu entrer juste au moment où les derniers participants de la journée partaient. Je ne te dérange pas?

- Pas du tout, mais je n'ai pas fini, ça va peut-être t'ennuyer?

- Je peux éventuellement t'aider et si tu veux bien partager...

- Volontiers, nous pourrions reprendre les éléments d'histoire qui nous permettront de mieux comprendre le message de l'abbé Gillard.

- C'est une bonne idée, répondit Clarance, ça commence au moment des croisades si je me souviens bien.

- A la fin, répondis-je, lorsqu'elles se soldent par un échec tel que seuls les franciscains sont autorisés par les vainqueurs turcs à rester. Ils gardent alors le Saint Sépulcre et la Via Dolorosa ou itinéraire de la Passion du Christ. Inspirés des traditions de l'Eglise Orthodoxe et de l'exemple de leur saint fondateur, Saint François, qui avait édifié la première crèche pour offrir une représentation propre à susciter la piété populaire, ils conçurent les étapes de la Passion du Christ pour les pèlerins empêchés de venir sur les lieux saints à Jérusalem. Le but était de se recueillir au souvenir des étapes de la Passion du Christ vécue pour la rédemption de tous, mais aussi de vivre un chemin spirituel chrétien sous une nouvelle forme toujours ancrée dans la tradition.

- Comme l'ont toujours fait les chrétiens, remarqua Clarance, champions du recyclage religieux! Et le temps de finaliser l'ensemble, il faudra attendre le début du XX° siècle pour que s'impose le modèle des chemins de croix visibles maintenant dans toutes les églises. Mais comment retrouver la tradition préalable sous cette histoire dramatique d'un Jésus mort sur la croix?

- Tu caricatures, lui dis-je en riant, il est ressuscité! Plus sérieusement, c'est l'abbé Gillard qui nous donne la clé! Il explique ainsi la démarche conduisant à la conception des étapes du chemin de croix: on part des douze nombres sacrés représentant des idées ou des qualités en rapport avec le système traditionnel du Zodiaque. Il était totalement intégré à la pratique de l'église avant la période moderne. Ces données selon un ordre précis, sont mises en rapport avec une scène de la Passion exprimant sous cette forme nouvelle les idées anciennes. Il déclare : "IL EN EST AINSI DE TOUS LES CHEMINS DE CROIX,... il importe que ce soit connu".

- OK, dit Clarance intriguée, le zodiaque de l'abbé Gillard nous donnerait la clé. Comment se fait-il que personne n'en parle?

- Je me suis posé la même question et avec l'aide d'un Questeur féru en histoire des religions, Abdul, nous avons cherché de quel enseignement il avait pu s'inspirer. Nous avons suivi la piste de l'église Gallicane, celle de l'ancienne église d'avant 1870, l'église des Gaules qui se référait aux anciens rites en particulier de l'Eglise Orthodoxe. Nous avons même trouvé la trace d'une Eglise celtique orthodoxe datant de la fin du XIX° siècle, dans le Morbihan même, qui se dit "héritière d'une antique Église celtique fondée par saint Joseph d'Arimathie".

- Je comprends, s'exclama Clarance, les croix du Saint Sépulcre du choeur de l'église de Tréhorenteuc en serait peut-être le signe? Et alors?

- Abdul m'a expliqué que douze croix étaient nécessaires lors de la consécration d'une église et cinq pour l'autel. Lors de cette cérémonie, l'église de la terre se joint alors à l'Eglise du ciel. 
Selon les orthodoxes toujours très attachés au symbolisme traditionnel, ces douze croix sont le symbole des douze portes de la Jérusalem céleste représentées aussi par douze pierres précieuses et en rapport avec les douze signes du zodiaque ou douze apôtres. LA CORRESPONDANCE ENTRE LES DOUZE APÔTRES ET LES DOUZE SIGNES ZODIACAUX EST UNE TRADITION CHRÉTIENNE MÉDIÉVALE PRÉSENTE DANS L'ART ROMAN.


- Finalement, dit Clarance, le travail de l'Abbé Gillard se rattache à une tradition chrétienne authentique, mais cette filiation s'est obscurcie au fil du temps dans l'église moderne qui néglige le symbolisme si riche des siècles précédents au profit d'une vision rationnelle historique.


- On ne saurait mieux le formuler, dis-je avec admiration. Or l'abbé Gillard enseignait une méthode de lecture visuelle basée sur la notion d'idéogrammes, tradition en vigueur dans l'église médiévale et en particulier dans l'art roman.
La représentation figurative n'est donc pas à entendre selon un sens littéral, elle exprime une ou des idées abstraites, comme une allégorie.


- Oui, confirma Clarance, ainsi par exemple le sang qui coule du flanc du Christ mort n'est pas du sang, il représente le flot abondant des mérites du Christ. Cette lecture est symbolique.
 En tant que guide, nous savons que ce cadre de référence est fondamental pour comprendre la démarche qui a présidé à la réalisation de chaque élément "décoratif" de la Chapelle du Graal. Mais la tradition a été abandonnée, on est passé du visuel au littéral. Autre temps, autre mode d'expression.

Je repris mes notes pour lui dire:

- En effet, cette représentation ou écriture idéographique supposait un mode de vision traditionnel. L'être humain était mis en état de réceptivité sensorielle afin qu'il accède au niveau de Connaissance autorisé par ses capacités présentes et ce par la compréhension symbolique directe. Le symbole permet différents niveaux de lecture selon l'évolution intérieure de la personne. Au contraire, notre vision moderne est basée sur le cartésianisme exclusif (l'homme accède au savoir par la raison). 
Pour en revenir à la CLÉ de l'abbé Gillard, le zodiaque est le recueil traditionnel occidental d'idéogrammes.

- Et la serrure serait son chemin de croix? dit Clarance avec une pointe d'ironie. Je demande à voir.

Je lui montrai alors le tableau des équivalences symboliques que nous avions établies en suivant les indications données par l'Abbé Gillard. Nous avions une grille de lecture du symbolisme du chemin de croix associant à ses stations les Nombres, des qualités ou vertus, des péchés, trois couleurs.

Correspondance Zodiaque-Gillard



Clarance le regarda attentivement et commenta:

- Espérance, Charité, Foi sont les trois Vertus théologales. Orgueil, Avarice, Luxure sont les trois principaux péchés capitaux. L'Orgueil est le premier d'où découlent les autres, c'est le péché du plus beau des anges, Lucifer, ce qui a entraîné sa chute. 
Mais comment concilier les douze signes et les quatorze stations...

Je l'interrompis:

- Abdul m'a expliqué: les chemins de croix ont 14 ou 15 stations, la dernière suggère alors la résurrection. Mais à partir de la XII°, sa vie terrestre se termine.

- D'accord, acquiesça Clarance, et comment retrouver les données traditionnelles sous la forme des scènes de la Passion? Plutôt que de les renouveler, elles y sont tellement enfouies qu'elles ont disparu!

Je souris, je ne savais plus si elle doutait, prête à rire de vaines recherches ou si au contraire, elle en savait plus qu'elle ne le disait et me poussait à en exposer le cheminement aussi ardu soit-il. Je repris:

- Selon la théologie orthodoxe, nous avons « douze croix, symbole des douze portes de la Jérusalem céleste, douze signes du zodiaque sanctifiés par les douze Apôtres, douze pierres précieuses."
 Nous avons cherché la liste des douze pierres précieuses correspondant au Zodiaque et c'était la bonne voie, la clé s'est mise à tourner dans la serrure! Sur le cercle de douze éléments du Zodiaque, un ensemble encyclopédique se déclinait, remontant à la tradition hébraïque d'où émergent les religions monothéistes.
 La source la plus détaillée en était le Sepher Yetsirah, Livre de la Formation ou de la Création dans lequel sont exposées les correspondances entre les lettres hébraïques, les directions dans l'espace, le zodiaque, les planètes, les organes du corps...

- Fabuleux! s'exclama Clarance. Le savoir encodé à partir d'un modèle structuré qui explique l'Univers! Et dans les tableaux mêmes, y-a-t-il une symbolique évocatrice?

Elle se déplaça aussitôt pour venir devant la I° station située du côté nord. Je répondis:

- D'après notre étude réalisée avec les Questeurs, on peut en effet retrouver des correspondances, mais c'est très complexe.

Je parcourus du regard les treize autres tableaux qui ceinturaient la partie ouest, les deux derniers encadrant la porte sud. Clarance savait bien sûr que tout comme celui de Rennes-le-Château visité par l'abbé Gillard avant sa nomination à Tréhorenteuc, ce chemin de croix, de façon très inhabituelle, avait pour décor certains paysages locaux et elle me confirma que son sens correspondait à celui de la plupart des églises. Je tentai de la faire parler le plus possible, mais elle ne se laissa pas entraîner et insista pour avoir une idée de ce que les Questeurs voyaient dans ces tableaux. Je lui proposai d'essayer de le formuler en m'aidant de mes notes au moins pour la I° station sous nos yeux.

- Ce tableau représente la condamnation à mort de Jésus. L'abbé Gillard y voit une correspondance avec le signe zodiacal des Poissons dont le symbolisme exprime l'union du Créateur et de la créature. Dans le Sepher Yetsirah cela nous donne un lien avec l'Améthyste, la lettre 
Qof, le nombre 100. Qof est symboliquemement la porte étroite (le chas de l'aiguille), celle qui débouche sur la Pensée du Créateur, la Sagesse et mène à la déification, aboutissement du processus Créateur avant le retour à Dieu. Un autre lien s'établit avec la sephira Yesod de l'Arbre des sephirot ou Arbre de Vie, Yesod est le Fondement, la base de création pour l'homme dans son rôle de créateur (ou créatif).

- Oui, dans la tradition chrétienne, ajouta Clarance, le poisson en grec ancien, ichtus, est l'acronyme et le symbole de Jésus-Christ, ça colle. Et que dis-tu du décor?

- Et toi? lui demandai-je.

Elle sourit, hésita, puis elle se lança:

- Le décor est à Jérusalem et non dans un lieu de Brocéliande comme sur presque tous les autres tableaux. Tu vois S P Q R sur le fronton? Ce sont les initiales de Senatus PopulusQue Romanus pour Sénat et Peuple Romain. Pilate se lave les mains, Jésus est habillé en rouge, au fond un homme brandit un calice vert évoquant le Graal. Je pense à la légende dans laquelle le héros Perceval est privé de la vision du Graal parce qu'il ne pose pas de question sur ce qu'il voit lors du défilé au château du Roi-Pêcheur qui par ailleurs attrape le poisson nourrissant toute la table du Graal. Poser la question... Pilate a posé une question à Jésus: "Qu'est-ce que la vérité?", Jésus venait de lui dire: "Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix" (Jean 18,37). Pilate n'attend pas la réponse, Jésus va en répondre sur sa vie avec le Chemin de Croix.

- Le Chemin de Croix est la réponse? demandai-je.

- D'une certaine façon, le Christ a dit "Je suis le chemin, la vérité et la vie" (Jean 14:6). Poser la question est la vocation même de l'homme. Dans la tradition hébraïque, le mot adam désignant l'humain a la même valeur numérique que "ma" signifiant quoi. "L'homme est un "quoi", en questionnement dynamique" dit Marc-Alain Ouaknin, dans son livre Mystères de la Kabbale, or ce que tu me dis ouvre la porte sur cette tradition dont le plus beau symbole est l'Arbre de Vie ou Arbre des sephirot. Et selon Jean, Jésus a aussi dit "C'est moi qui suis la porte. Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé" (Jean 10:9)

Je lui montrai alors un schéma de l'Arbre des sephirot en correspondance avec les étapes du chemin de croix de l'abbé Gillard.

Chemin-Croix-Gillard-ArbreA

Chemin-Croix-Gillard-ArbreB

Chemin-Croix-Gillard-ArbreC





- Tu vois, lui dis-je, on retrouve avec ce schéma un écho de la tradition chrétienne assimilant la croix du Christ à l'arbre de vie, les deux donnent vie à l'humanité au sens symbolique, la Vie en Dieu. Contrairement à ce que ressentent les chrétiens modernes coupés de ces racines spirituelles, le Chemin de Croix n'est pas un chemin de mort, c'est un chemin de remontée dans les sphères d'énergie de l'Arbre de vie.

- Et concrètement? demanda Clarance.

- Le modèle archétype de la Création selon la Kabbale hébraïque est cet Arbre des sephirot ou des sphères qui est aussi une représentation de l'archétype de l'Homme primordial cosmique, l'Anthropos. Chaque sephira le composant est un vase, un contenant. Elle est à la fois féminine, c'est-à-dire qu'elle reçoit et masculine, elle donne. Pour créer le monde, Dieu a envoyé la Lumière représentant l'ensemble des éléments du plan divin. Or, les vases ou sephirot furent brisés car ils refusèrent d'accueillir la Lumière.

''Mais Dieu désire toujours établir sa lumière en l'homme qui doit auparavant restaurer en lui les vases ou sephirot pour l'accueillir.
 Le Féminin de l'être est la dimension verticale reliée au Divin en nous-même.
 Lorsqu'elle est restaurée, Dieu s'y établit en Présence. Lors de sa vie puis de sa Passion qui finit sur la Croix, le Christ nous montre le chemin et sur ce schéma, on voit qu'il accomplit la restauration des sephirot entre Yesod et Kether.

- D'où la Quête, dit Clarance, la Coupe est au centre de l'Arbre de Vie et c'est en Tipheret, que l'ouverture du cœur doit se réaliser avant de recevoir la lumière.

Je ne m'étais pas trompée, elle connaissait cette tradition! Elle me fit un petit clin d'oeil comme pour confirmer mon intuition et elle enchaîna:

- Et que disent les Questeurs sur la disposition en marches du tableau?

Je cherchai dans mes notes pour lui dire:

- Les personnages sont disposés sur une sorte d'escalier, de bas en haut nous voyons un demi hexagone, une marche droite, quatre marches avec angle, trois marches classiques soit Neuf étapes horizontales ou paliers. Or les chrétiens le disent, pendant les 9/10ème de sa vie sur terre, le Christ a vécu dans une famille juive pieuse une vie simple et de labeur, il travaillait de ses mains comme son père charpentier jusqu'à ses trente ans.

Par le parcours spirituel du chemin de Croix, les neuf sephiroth restaurées sont comme des degrés descendus par la Présence divine qui va s'établir en Malkut, la dixième sephira, en tant que Schekina (c'est le terme hébreu pour Présence divine).
 Malkut est le niveau le plus bas de l'Arbre, celui où l'on rend l'âme, mais avec la Shekinah le plus bas devient comme le plus élevé, Malkuth devient le Royaume!
 Selon René Guénon, la Shekinah est la synthèse des Sephirot.
 Or le Christ mort (muté) et ressuscité peut être assimilé à la Présence divine manifestée pour l'humanité.


- Intéressant, commenta Clarance, maintenant j'aimerais que tu me parles du tableau qui se situe au passage du 48° parallèle sur la commune de Tréhorenteuc.

Et elle se déplaça aussitôt vers la V° station du Chemin de Croix, où Simon de Cyrène aide le Christ à porter sa croix. Je lui dis:

- Jésus a déjà chuté sous le poids de sa croix à la III° station. Ici un soldat romain oblige un homme qui revient de son travail aux champs à exécuter un nouveau labeur, porter la croix. A droite du tableau deux boeufs liés par un joug sont conduits par un bouvier ou laboureur.

- Labeur, labour, j'entends bien, remarqua Clarance, l'abbé Gillard associe le travail manuel à cette station.

- Oui, selon la tradition hébraïque, Adam a reçu l'ordre divin de labourer la terre, symboliquement de travailler ses terres intérieures ou champs de conscience. C'est son véritable travail d'humanisation pour accueillir la Présence divine à la fin. Dans le travail manuel, la main est le premier outil de l'homme prolongé ou non par un objet matériel, elle représente sa capacité d'action sur le plan terrestre. En hébreu, la main se dit « iad », elle contient la lettre Yod assimilée au germe divin.

- Et chez les chrétiens? demanda Clarance.

- Le Labour est aussi un symbole fort: l'homme doit préparer sa terre en profondeur afin que la Parole de Dieu y prospère. Sur le plan de la Tradition en particulier romaine, l'acte de labourer était un acte sacré, pensons au tracé du sillon déterminant l'enceinte sacrée d'une ville. C'est un acte d'organisation, de structuration de l'espace pour le mettre en ordre par rapport au chaos extérieur. C'est le roi lui-même qui trace ce trait, il sacralise ainsi l'espace de la future ville en le mettant en harmonie avec le cosmos et donc le ciel.

- Mais Simon de Cyrène n'est pas un roi, remarqua Clarance avec un petit sourire moqueur.

- Non, on ne sait pas grand chose de lui. Mais son nom en hébreu signifie « Yahvé m'a entendu ». Jésus souffre et voilà que Simon se présente et vient l'aider. En grec, Cyrène se dit Kurênê, rayonner. En hébreu QRN évoque la Corne symbole du rayonnement divin, mais aussi le Crâne, or la Croix est dressée au lieu du Crâne: le Golgotha. Par ailleurs Simon en hébreu se dit aussi chemen, l'huile, l'aliment sacré par excellence d'autant plus qu'il fournit aussi la lumière dans les lampes...

- Bon j'ai compris, me dit Clarance, dans la tradition hébraïque tout a un sens et permet une méditation sans fin.

Je ne savais pas si elle en avait assez ou si elle estimait que j'avais restitué l'essentiel. Je restai sans rien dire à la regarder. Elle reprit:

- Y a-t-il un lien entre le 48° parallèle et les boeufs?

Cela semblait une obsession chez elle ce 48° parallèle, mais elle avait sûrement de bonnes raisons, je répondis prudemment:

- Tout ce que je peux dire c'est que cette scène de boeufs sous le joug pourrait être une évocation de la constellation du Bouvier qui conduit les sept boeufs -à l'origine du mot Septentrion signifiant Nord- de la constellation du Chariot. Ces constellations tournent autour de la Polaire, axe du monde. En grec les Boukoloï sont les gardiens des boeufs, mais aussi sur un plan symbolique les gardiens du Pôle et donc de l'organisation cosmique symbolisée par le Temple, comme l'étaient les Templiers qui rappelons-le adoraient la Croix, mais pas le Crucifié.

- Dans cette représentation de la V° station, nous retrouvons donc l'évocation d'un modèle d'harmonie cosmique, remarqua Clarance. Et si j'ai bien compris, dans le système révélé par les Questeurs, la Clé est le tableau des correspondances de l'abbé Gillard basé sur les Nombres sacrés.

"Cette clé appliquée à la Serrure du Zodiaque ouvre la Porte du Christ en croix. N'a-t-il pas dit selon l'évangile de Jean « Je suis la Porte. Si quelqu'un entre en passant par moi, il sera sauvé » (Jean 10). Le Chemin de Croix est ainsi un chemin de Salut, de Vie éternelle. Il est greffé sur l'Arbre de Vie, la tradition de la Kabbale et ses spéculations métaphysiques. Et nous avons dit au début que le Chemin de Croix était peut-être la réponse à la question de Pilate sur le rapport entre Jésus et la vérité. Qu'en disent les Questeurs?

J'en étais maintenant sûre, Clarance me testait. Je ne comprenais pas bien son lien avec les Questeurs car si elle semblait réticente au sujet de certaines de leurs pratiques, manifestement elle partageait leurs connaissances, mais jusqu'à quel point? Comme Fernand m'avait encouragé à lui parler, je lui livrai leurs conclusions:

- Chemin en hébreu se dit Magal, mais c'est aussi le cercle du camp, la tranchée, ne peut-on y voir la notion du chemin-sillon du laboureur? Vérité en hébreu, se dit Emet et la mort se dit Met. La lettre Aleph qui se prononce E ici, symbolise la présence de Dieu. Met signifie aussi mutation. Jésus en prenant la croix montre à l'humain le chemin de la mutation.

"Muter en Dieu, c'est aller vers la Vérité. Par ailleurs les lettres du mot Emet sont Aleph, Mem, Tav. C'est-à-dire la première lettre de l'alphabet hébreu, alpha en grec; une lettre du milieu, la treizième, Mem, Matrice de vie ou de mort; la dernière Tav, correspond à l'Oméga grec. Ainsi "je suis vérité" et "je suis l'alpha et l'oméga" se répondent.

"Vie en hébreu se dit Havvah et c'est aussi le nom de Eve. La racine hébraïque de ce nom signifie Souffle de vie, Eve est dite Mère des Vivants.

- Profond mystère et belle démonstration, approuva Clarance. Ainsi compris dans son rapport à la tradition ancienne, le Chemin de croix serait donc entre autres la réponse du Christ à la question de Pilate, "Qu'est-ce que la vérité?" et la justification de son affirmation: "Je suis le chemin, la vérité, la vie" en tant que Christ cosmique. Je crois que cela suffit pour aujourd'hui. Je ne sais pas si tu seras là quand je reviendrai, je m'absente pour plusieurs jours de randonnée. En tout cas je te remercie de ton partage et je te souhaite bonne chance pour ta quête. Je la remerciai à mon tour.

 

Elle me tendit alors les bras et m'embrassa avec chaleur en me disant:

- Prends bien soin de toi, tu as ouvert la Porte, mais le Royaume est immense, on dit que 32 chemins le parcourent, il y a de quoi se perdre. Suis la Lumière...

- Le Graal, lui dis-je en désignant le grand vitrail où il rayonnait.

- Ça ne me rassure pas vraiment, mais c'est ton choix, bonne chance.

- Et toi, bon voyage.

  

 

27 février 2013

LES LIEUX DE LÉGENDE, BROCÉLIANDE

Chapitre II du Roman du Graal dévoilé.

Notre guide, une charmante jeune femme brune aux yeux bleus nommée Clarance, nous attendait au point de rendez-vous près d'un minibus d'une douzaine de places. Nous étions huit participants prêts pour vivre cette journée de découverte des lieux de la légende arthurienne.
Clarance nous fit monter dans le véhicule en cochant au fur et à mesure sa liste de préinscription. Soudain un homme courut vers nous en faisant de grands signes. Clarance partit à sa rencontre pendant que nous finissions de nous installer. Ils discutèrent à voix basse, j'entendis l'homme parler de Merlin à plusieurs reprises sans comprendre le fond de leur discussion. Il était grand et très négligé de sa personne avec des cheveux et une barbe en broussaille, des vêtements trop grands pour lui, élimés ou troués comme on n'en voit même plus sur les clochards modernes des villes maintenant vêtus par des organismes sociaux.
Clarance revint vers nous et nous dit :

- Voici Fernand, il connaît l'univers de Merlin mieux que personne, accueillez-le au mieux et vous ne serez pas déçus.

Une vague de murmures désapprobateurs parcourut l'assemblée, mais Fernand vint s'asseoir sans y prendre garde et le chauffeur démarra.

Gué-de-Plélan

Notre premier arrêt fut pour le Gué-de-Plélan près de Plélan-le-Grand, la porte Est de Brocéliande.

Clarance nous dit:

- Le village s'est constitué près du gué autour de la motte du château féodal dit Motte Salomon, il n'en subsiste qu'un espace circulaire de terre entouré d'arbres. Au Moyen-âge s'y élevait le château du roi Judicaël qui régnait au VII° siècle et de Salomon, roi de Bretagne au IX°siècle. Le gué est dans une zone riche en eau et autrefois marécageuse, non loin de la rivière Aff.

''Le gué était très important dans la vie de nos ancêtres, c'est le lieu de passage par excellence. Soit vers le lieu dont il défend l'accès et c'était alors souvent un lieu de combat, des fouilles ont mis à jour des armes de combattants au passage de gués importants. Soit il était aussi considéré comme lieu de passage vers l'autre Monde et les légendes racontent qu'on y fait parfois d'étranges rencontres. Des lavandières ou des dames blanches y lavent le linge de celui qui va mourir.

- Encore maintenant? demanda un jeune homme au visage enfantin et aux yeux rêveurs.

Cela fit rire ses voisins et Clarance dut les calmer. Le jeune homme devint rouge comme une pivoine, Clarance reprit:

- Notre jeune ami pose une bonne question. Des gens content encore ces histoires ici, mais je ne vous parlerai que des légendes traditionnelles concernant les gués.
D'abord, la Morrigane rencontre le Dagda au milieu du gué, c'est la Grande Déesse qui s'unit au Dieu Bon. Le lieu est appelé le Lit du Couple. Elle lui promet ensuite la victoire et la mort du roi des Fomoiré.
Puis Cuchulain lui-même, le héros irlandais, combat un à un les champions de la Reine Medb dans le gué qui forme frontière entre leurs territoires. Il y rencontre sous forme d'une jeune fille, la Morrigane qui lui offre son amour et son aide, mais sans savoir qui elle est, il la repousse. Elle va perturber ses combats sous la forme d'une anguille qui s'enroule autour de sa jambe, d'un loup qui bouscule le bétail au gué, puis d'une génisse rouge qui sème la débandade dans le troupeau. Cuchulain la blesse sous ces trois formes puis la guérit sans non plus la reconnaître sous les traits d'une vieille femme, enfin elle lui apparaîtra au jour de sa mort, lavant son armure sanglante dans l'eau du gué.
- Comme une lavandière! dit un gros homme d'un ton moqueur en se tournant vers le jeune homme qui tentait de se faire oublier.

Clarance, sans relever la remarque reprit:
- Avant d'être reconnu comme le meilleur des chevaliers, Lancelot aussi dans le cycle arthurien confirme sa valeur pour accéder à la chevalerie grâce à trois exploits (en rapport avec trois femmes) qui se déroulent au gué. Le gué est un lieu symbole de passage difficile, d’un monde à un autre, ou d’un état intérieur à un autre état. Il réunit le symbolisme de l’eau en tant que lieu des renaissances et celui des rivages opposés comme lieu des passages périlleux, des franchissements. C'est aussi un passage sacré pour le monde de la connaissance qui à partir du monde du temps linéaire de notre perception ordinaire peut faire passer dans le monde du temps cyclique éternel des mythes.

Un silence poli suivit cet exposé. Clarance nous avait emmené sur des hauteurs qui nous donnaient le vertige!

- Et Merlin? demanda l'un des participants au soulagement de tous.

Clarance commença à répondre, mais mon attention fut alors accaparée par Fernand qui dit sans élever la voix, comme pour lui-même:
- Par ici, on raconte que Merlin aurait à voir avec le Dagda lui-même ou Sucellos, le dieu au maillet qui d'un bout donne la vie, de l'autre donne la mort. Le merlin est d'ailleurs le nom d'un marteau et le Mel beniged breton est le marteau rituel qui permet à l'âme de passer dans l'Autre Monde sans risque de s'égarer à l'heure de la mort.

Clarance éleva la voix:
- Merlin est à la fois fils du diable et fils d'une vierge pieuse dans les romans du Graal, il est donc en contact avec le monde d'en haut et le monde d'en bas, et de même en effet, Sucellos est considéré comme un intercesseur, un médiateur entre les dieux et les humains.

Tout en l'écoutant, nous avons quitté le Gué-de-Plélan, combattu les fantômes du passé et ignoré les lavandières de la dernière heure. Nous sommes entrés dans le territoire où l'eau et la terre s'épousent intimement dans les marécages, les sources surgissent à même le sol, les ruisseaux émergent de la boue et les étangs reflètent les arbres et le ciel. Bref, nous étions vraiment passés dans le territoire de Brocéliande.

Forges de Paimpont

Nous sommes arrivés aux Forges dites de Paimpont qui sont en fait très proches de Plélan. Elles étaient appelées Forges de Brécilien au tout début de leur histoire à l'époque industrielle.

Nous avons laissé le minibus aux abords de l'immense étang bordé d'arbres qui avait fait tout l'intérêt du site. Nous avons remarqué la couleur particulière des roches : schistes pourpres à violet sombre. Notre guide nous apprit que cette couleur était due à leur richesse en fer. Devant nous s'étendait un village de travail déjà restauré en grande partie, qui était organisé pour extraire le fer de ce minerai de surface jusqu'au début du siècle dernier.

Pendant notre visite, Clarance nous expliqua:

- Dans toutes les sociétés antiques, le forgeron était un homme important souvent associé à la magie. Il transforme une matière apparemment vile, le minerai sous forme de terre ou de roche, en armes, en outils et ustensiles de toute sorte. Il procède à l'aide du feu, de l'eau, du bois, il utilise donc les quatre éléments fondamentaux constitutifs de la matière selon les anciens (eau, feu, air, terre) pour transformer l'un d'eux en métal dont l'importance est telle qu'il fonde les différentes civilisations ou âges (Age d'or, période du bronze, du fer...).

- C'est parfois un dieu, remarqua un homme encouragé par le regard admiratif de la femme à ses côtés.

- En effet, confirma Clarance, le forgeron apparaît dans les mythes comme un démiurge, un créateur de monde ou organisateur de l'univers déjà créé. Et dans de nombreuses mythologies c'est un dieu : Héphaïstos pour les grecs, fils de Héra, grande Déesse qui est l'épouse de Zeus le dieu des Dieux. C'est Vulcain pour les romains, fils de Junon épouse de Jupiter. C'est Goibniu pour les celtes, fils de la grande déesse Dana.
''Son continuateur chrétien est Saint Eloi, patron des métallurgistes et orfèvres entre autres, et la chapelle des Forges de Paimpont lui est d'ailleurs fort logiquement dédiée. Le site historique des Forges de Paimpont classé en 2001 évoque le passé industriel local. Créées au XVII° siècle au bord de l'étang du Pont du secret près de Plélan, elles ont été parmi les forges les plus importantes de Bretagne jusqu'à leur fermeture à la fin XIX° siècle, mais en fait l'histoire locale de la métallurgie est plus ancienne. Au XIII° siècle, des forges monastiques sont mentionnées dans les archives et des fouilles archéologiques ont mis à jour des sites de bas-fourneaux, des fours installés au sol datant du début de notre ère.

Fernand s'exclama soudain:
- C'est sûrement ici que le fameux chaudron magique de Merlin a été fabriqué. Et Merlin lui-même soit il était forgeron, soit il connaissait les meilleurs. Il a procuré au roi Arthur son armure et son épée.

Clarance ajouta:
- C'est vrai qu'ici, près de Plélan vivaient des forgerons très habiles pour forger en particulier des armes qui au XV° siècle étaient aussi réputées que celles d'Espagne.

Fernand s'installa sous un énorme chêne et mit alors à chanter. Clarance nous dit qu'il était sous le chêne dit d'Anatole Le Braz, le grand écrivain conteur breton et qu'il chantait la chanson des Filles des Forges. 

Pont-du-Secret

Notre étape suivante nous mena au Pont-du-Secret entre Plélan-le-Grand et Beignon,

Clarance nous dit:

- Le Pont-du-Secret enjambe la rivière Aff qui limite les départements d’Ille-et-Vilaine et du Morbihan. Il se situe tout près des Forges de Paimpont. N'oublions pas que l'étang des Forges s'appelait avant son extension l'étang du Pont-du-Secret. C'est là que l'on raconte l'histoire du début d'amours mythiques. En effet, en traversant la forêt de Brocéliande, au Pont-du-Secret, Lancelot déclara son amour à Guenièvre. Il l'escortait alors pour rejoindre la cour du Roi Arthur afin d'y célébrer ses noces avec Arthur.

Clarance avait les yeux humides et un sourire tendre. Elle ajouta:

- Chacun a sa version de ce grand moment, je me souviens de celle du film Lancelot de Jerry Zucker, avec Richard Gere et Julia Ormond, film dans lequel Sean Connery est le roi Arthur.
Dans les légendes arthuriennes, Lancelot est le héros des passages et en particulier des ponts. On le retrouve ainsi au Pont de l'Épée dans Lancelot ou le Chevalier de la charrette de Chrétien de Troyes. Cette épreuve terriblement difficile et douloureuse le conduit à sauver la reine Guenièvre. Le passage de ce pont est « plus tranchant qu’une faux » au dessus d’un gouffre.
Au Moyen-âge le pont en tant que point de passage des eaux est porteur d'une forte symbolique, c'est une antique tradition sacrée qui s'exprime encore dans la religion et apparaît dans les écrits profanes, les premiers "romans".

Fernand intervint:
- Moi aussi je verrai un jour ma bien-aimée venir à ma rencontre sur le pont fin comme un cheveu.

Et joignant le geste à la parole il s'avança vers Clarance les yeux plantés dans ses yeux, en lui tendant la main. Un instant décontenancée elle le laissa faire, il lui baisa la main et déclara à l'assemblée :

- Ne suis-je pas aussi beau que Richard Gere dans les yeux de ma bien-aimée.

Tous éclatèrent de rire, il salua et s'écarta de Clarance avec un immense sourire en tournant sur lui-même. Clarance sourit à son tour.
- Fernand vient de nous évoquer la tradition d'amour orientale qui a probablement inspiré les écrivains du Moyen-âge, celle du Pont-de-Cinvat où le héros rencontre son âme au Paradis sous la forme d'une belle jeune fille, sa bien-aimée ou daena qui se présente face à lui pour être à ses côtés en tant que représentation de ses bonnes actions et pensées.

Un homme âgé qui semblait perdu dans ses rêves dit :
- Comme dans la tradition hébraïque, Dieu donne pour compagne au premier homme Adam, "celle qui lui fait face", son autre "côté". Ce que la religion chrétienne a dévoyé en histoire de côte par une mauvaise traduction!
Une femme dit aussi d'un ton rêveur:
- Et Lancelot rencontre Guenièvre...
Fernand poursuivit sur le même ton:
- Son féminin sacré, sa soeur mystique, celle qui le conduit vers son âme pour le mariage alchimique.

Clarance nous ramena à notre environnement en désignant l'Aff à nos pieds.
- Cette rivière nous a aussi livré un trésor, on y a découvert à la fin du XIX°siècle tout près du Pont-du-Secret, une tasse en or datant du bronze final. Peut-être est-ce le genre de récipient évoqué dans la légende de la Fontaine de Barenton dont nous parlerons plus tard?

Fernand proposa au groupe:
- Allons voir le Rocher des amants.
Clarance demanda:
- Tu veux parler du rocher glissant de Beignon?
- Il n'y en a qu'un, en route pour l'extase!

Effectivement sur les pentes surplombant l'Aff apparaissait un affleurement rocheux plat, mais très incliné.

Fernand s'allongea et s'esclaffa:
- Qui veut me rejoindre sur cette noble couche, j'attends ma bien-aimée pour lui donner le baiser qui scellera notre amour à jamais.
Sans succès, il finit par se relever à grand-peine. Le rocher n'était pas convaincant en tant que lieu légendaire mais le point de vue sur la rivière en contrebas valait le détour.

Fernand s'éloigna en s'exclamant:

- Je suis donc le seul à croire encore à l'amour! J'aurais voulu vivre au temps de l'amour courtois en Europe ou encore mieux, connaître l'amour soufi qui l'a sûrement inspiré! Pauvre de moi!

Il adopta alors une mine si comique qu'il nous fit sourire tandis qu'il soupirait comme une âme en peine! Il nous suivit en marmonnant pour rejoindre Paimpont.

Paimpont

Là, nous étions maintenant au coeur de la forêt de Brocéliande. Un immense étang bordait les grands bâtiments de l'Abbaye de Paimpont. La rue principale du bourg avec ses belles maisons de pierre s'étirait entre la Rue de la Fée Morgane et celle du Roi Arthur. Nous étions dans le pays des légendes.

Clarance prit la parole:
- Le nom de Paimpont est diversement interprété: Pen-Ponthus, Tête ou "capitale" de Ponthus, ancêtre à priori mythique des Rois de Bretagne. Une autre étymologie à partir des textes latins évoque Panispontis, le "pain du pont" en souvenir du pain de charité distribué par les moines de l'abbaye, juste à l'entrée du bourg qui est aussi la "tête du Pont".

Une femme qui prenait des notes lui demanda:
- Et avant les moines, qu'y avait-il ici?
- Ce que l'on sait de façon certaine remonte au VII° siècle. Le Roi Judicaël avait un château et avec son ami Mewen devenu localement Saint Méen, il fonda un prieuré. Les moines étaient de grands défricheurs et savaient exploiter les territoires. Très tôt, ils établirent une digue pour former une vaste retenue d'eau alimentée par les nombreux ruisseaux venant de la Haute Forêt.

''Le prieuré fut détruit lors les invasions normandes au VIII° siècle, mais reconstruit, il se développa entraînant la construction du bourg qui s'est encore davantage étendu au XIX° siècle. Au XIII° siècle une abbaye fut fondée en remplacement du prieuré, elle accueillait des bénédictins. L'église fut l'une des premières de style gothique ou "ogival" de Bretagne qui par ailleurs adopta tardivement ce mode architectural.
- L'église est dédiée à Saint Judicaël ou Saint Méen? demanda un vieil homme.
- Ni l'un ni l'autre, répondit Clarance, ses fondateurs l'ont dédiée à Notre Dame.
- C'était plutôt rare au VII° siècle remarqua le même homme.

Clarance approuva:
- En effet, le culte de la Vierge Marie se développa surtout à partir du XI° siècle.
Une femme désigna l'immensité du site des bâtiments monastiques et dit:
- L'Abbaye devait être bien riche.

Clarance confirma:
- La richesse locale en minerai de fer de qualité et facilement exploitable permit en effet un développement de la commune et un peuplement rural remarquable par rapport aux autres communes du département. Il fallait exploiter la forêt, fabriquer le charbon de bois; extraire, raffiner puis transporter le minerai. Une partie de ce fer était utilisée localement en particulier pour la fabrication de clous et d'armes réputées.
''Les cendres abondantes favorisèrent l'établissement de blanchisseries locales comme au Cannée, village voisin où l'on blanchissait des toiles de lin ou de fil exposées au soleil dans les prés jusqu'à la concurrence de produits chimiques au XIX° siècle.

Fernand s'anima pour dire:
- Le Cannée comme le canard!
- C'est peut-être aussi le canet, dit Clarance, le roseau, qui devait être aussi abondant que le canard dans ces terres autrefois marécageuses. Maintenant allons visiter les bâtiments.

Clarance attira notre attention sur les différents éléments architecturaux datant du XIII° au XVII° selon les phases de construction. Dans la sacristie, le trésor de l'abbaye était exposé, je remarquai le christ en ivoire du XVII°, le bras reliquaire de Saint Judicaël du XIV° siècle et surtout l'exceptionnelle statue de bois du XV° siècle, Sainte Anne portant la Vierge qui porte elle-même l'enfant.

Fernand était subjugué par la statue, il murmura:
- Il y avait autrefois une chapelle Sainte Anne au milieu du cimetière. Sainte Anne, ... la mère de Marie, mais surtout notre Mère à tous, la transformation de la grande Déesse Ana.
Soudain, il sortit en disant:
- Je sais où tout a commencé!

Mes compagnons de visite haussèrent les épaules et restèrent près de Clarance. Je choisis de le suivre. Il longeait l'étang lorsque je le rattrapai. Il me conduisit devant une grotte fermée par une grille. Il dit:
- C'est là que se situe l'origine du culte de la Vierge de Paimpont. Dans les marécages, avant que l'étang ne soit réalisé par les moines, il existait déjà un lieu de culte très ancien de la déesse Mère. Voilà pourquoi l'église est dédiée à Notre-Dame. Les chrétiens ont raconté que Judicaël avait vu la Vierge apparaître ici et aurait donc décidé de construire le prieuré en son honneur. C'est ainsi que les cultes anciens sont récupérés.
''Quant à Sainte Anne, elle avait vraiment sa place au milieu du cimetière, en breton anaon désigne le peuple des trépassés autrement dit le peuple d'Ana. Ana ou Anan est la Vieille, mère des dieux et des hommes vivants ou morts.

Le groupe nous avait rejoint, une femme dit:
- Je connais une église à Vienne, près de Lyon, Notre-Dame-de-la-Vieille et ce serait une des plus anciennes églises dédiée à la Vierge. Elle a été rebaptisée Notre-Dame-de-la-Vie.

Fernand battit des mains avec enthousiasme:
- Chez nous, le Tombeau des géants est aussi appelé la Roche à la Vieille et...
Mais Clarance capta aussitôt l'attention du groupe:
- Cette grotte a été construite au XIX°siècle à l'imitation de celle de Lourdes. Elle a été fabriquée à partir de résidus de fonderie et vous pouvez voir en face la statue de Judicaël. Un pèlerinage y fut établi par ce Roi qui vit la Vierge ici tandis qu'une source miraculeuse jaillissait sous ses pieds. Le pèlerinage à Notre-Dame de Paimpont attirait beaucoup de monde au Moyen-âge pour guérir ou implorer protection. Le pèlerinage de la Pentecôte était encore fort réputé au XX° siècle.

Fernand s'exclama:
- L'eau miraculeuse de la Vierge, grande Déesse de toutes les douleurs et de toutes les peines, mais aussi de toutes les joies, Mère vieille des bretons et de tous les humains, ma Mère!
Et il se jeta à genoux sur le sol les bras en croix d'une façon si théâtrale qu'il déclencha l'hilarité parmi nous malgré sa dévotion.
- Riez autant que vous voulez. Vous êtes comme ceux qui croient que Morgane est la demi-soeur d'Arthur. Ce n'est pas pour rien que leurs rues les rassemblent ici. Morgane est la part d'ombre du Roi Arthur, celle de la culture païenne qui a été occultée dans son héritage. Morgane est la Grande Mère, la Grande Déesse dans l'un de ses nombreux aspects. J'ai dit.

Et balayant l'assemblée d'un regard étrangement pénétrant il fit semblant de se draper dans une cape avant de nous tourner le dos pour rejoindre notre véhicule.

Après un court trajet dans notre minibus, nous étions prêts pour faire une longue balade et découvrir le Val sans Retour. Tout près de Tréhorenteuc le circuit devait nous conduire jusqu'au sommet avant de redescendre dans la vallée du ruisseau, le Rauco.

Val sans retour

Le chemin de terre montait doucement à travers des pans de forêt privée. En passant près d'une sorte de tombe, Fernand s'écria:
- La voilà la Roche à la Vieille!
Clarance nous informa:
- Ce Tombeau du Géant est une sépulture datant de l'âge de Bronze, vers 1500 ans avant notre ère. Il a été réalisé en récupérant deux sur quatre des menhirs locaux. On raconte parfois que les chevaliers de la Table Ronde auraient enterré là un valeureux combattant géant, d'où son nom. Mais celui de Roche à la Vieille lui était donné depuis le XI° siècle. Et vous savez que ce nom est attribué à de nombreux endroits en Bretagne.
- Et ce n'est pas pour rien, ajouta Fernand. La Vieille ou la Groac'h, c'est la Terre Mère dans son aspect le plus primitif, sauvage, le sol pauvre et ses cailloux, les montagnes et leurs forêts qui lui étaient tous consacrés.
- Oui, précisa Clarance, c'était Cybèle pour les grecs et les romains, représentée initialement par une pierre, tandis que Déméter était la déesse de la terre cultivée et abondante.

- Ici, reprit Fernand, de nombreux mégalithes ou sites remarquables sont dédiés à la Vieille. On rencontre parfois aussi des sites dédiés à la princesse Ahès, une géante de Bretagne qui a des tombes ou surtout d'anciennes routes, des chaussées à son nom. Comprenne qui pourra...
''Et la Vieille a des jours bien à elle, les Jours de la Vieille, le plus souvent fin février, début mars. Ce sont des périodes de danger pour la végétation et les animaux, on y redoute une dernière offensive hivernale avant que le redoux ne l'emporte.

Sur les pas de Clarance, nous avions repris le chemin pour grimper encore. Au sommet de la colline, une échine de roche évoquait la silhouette fantastique d'un dragon. Nos esprits emplis de légendes et avides de mystères imaginaient déjà de nouvelles histoires lorsque notre guide nous arrêta non loin d'un ensemble de petites roches dressées sur un lit circulaire de pierres tapissant le sol herbeux.
- Nous arrivons à l'Hotié de Viviane, autrement dit la Maison de Viviane. On raconte qu'elle y recevait les enseignements de Merlin dont elle était une des disciples avec Morgane.

- Tu parles, s'exclama Fernand, elle en connaissait au moins autant que lui, elle est la grande déesse déchue! Dans la légende elle apparaît comme une élève pour mieux correspondre à l'image féminine dans une société patriarcale dominée par le christianisme qui n'a heureusement pas tout à fait réussi à éradiquer nos racines. Et Merlin, l'homme des bois et des arbres est pour toujours uni à Viviane, sa parèdre, déesse de l'Eau et des sommets.

Clarance désigna les pierres entourant un petit espace rectangulaire à ciel ouvert.
- Cette sépulture collective dont il ne reste plus que quelques éléments verticaux était appelée aussi Tombeau des druides. Elle date d'environ 2500 ans avant notre ère et lors des fouilles dans les années 80, on a établi qu'il s'agissait d'un cairn d'au moins dix mètres de diamètre fait de blocs de schiste comme on en trouve beaucoup sur ce sommet qui domine le Val sans retour.
- Là ça me convient, dit Fernand en contournant les blocs, les dolmens servaient parfois de sépultures, mais à priori pas pour tout le monde. Seuls quelques membres choisis de la communauté bénéficiaient de cette dernière demeure.
Un homme approuva:
- Tout à fait comme dans les premières églises où seuls les nobles et les dignitaires religieux avaient un tombeau dans l'édifice même.

Fernand s'élança vers l'échine de pierre à quelques mètres et les bras tendus vers le ciel, il cria:
- Oh Grande Déesse, sous ton aspect de Viviane, déesse terre des druides, ou de Morgane déesse primordiale du temps des mégalithes, je viens vers toi comme un nouveau Merlin.
Et en agitant les bras comme s'il s'envolait, il disparut.

Une des femmes s'avança pour aller voir pendant que le reste du groupe et Clarance souriaient d'un air entendu. Elle revint bientôt et nous dit:
- Il descend à travers bois, mais il n'y a pas de chemin.

Notre guide nous entraîna de l'autre côté et nous désigna un sentier annoncé par une pancarte de randonnée:
- Nous allons passer par l'itinéraire balisé, venez.

Nous descendions attentifs aux obstacles depuis quelques minutes lorsque soudain l'un d'entre nous se retourna et s'exclama:
- Regardez, là-haut c'est Merlin!

En effet, sur un éperon rocheux, se tenait un homme qui ressemblait à Merlin. J'étais prête à faire demi-tour pour tenter de le rejoindre, mais il disparut aussitôt, ce serait pour une prochaine fois!
Clarance nous dit:
- C'est en effet le siège de Merlin, on raconte qu'il venait regarder le soleil se coucher sur le val et en particulier sur le Miroir aux fées, l'étang aux eaux calmes qui reflète les astres et les étoiles. Mais descendons encore, nous entrons dans le Val sans Retour ou val périlleux ou encore val des faux amants. C'est selon la légende le domaine de Morgane, soeur d'Arthur et surtout disciple de Merlin.

- C'est quoi l'histoire de ce val? demanda une femme qui se tenait près de Clarance.
- Morgane aimait le chevalier Guyomart qui lui rendait son amour, mais un jour, dans ces bois, elle le vit avec une amante. Furieuse, elle utilisa ses pouvoirs pour les séparer et les fixer à quelques mètres l'un de l'autre.

''En souvenir, on voit le Rocher des Faux Amants sous forme d'un cœur cassé en deux. Puis elle ensorcela le val parcouru par le ruisseau du Rauco et construisit un château magique où les chevaliers infidèles restaient prisonniers de ses sortilèges qui les invitaient à tout oublier. Morgane voulait séduire aussi Lancelot, mais fidèle à son amour pour Guenièvre, il resta prisonnier plusieurs saisons et peignit sur les murs les épisodes de son histoire d'amour avec la dame de ses pensées. Les chevaliers venus à sa recherche restaient tous victimes de leurs appétits de plaisir satisfaits par les illusions de Morgane.

''Viviane prévenue par Merlin envoya une de ses disciples qui endormit la forteresse du Val sans Retour. Lancelot put alors combattre les terreurs imaginaires qui prenaient vie dans ce décor et délivra ses compagnons. Cependant plus tard, Morgane utilisa les peintures de Lancelot pour révéler au Roi Arthur son infortune.

 

Pendant ce temps nous avions parcouru les abords du ruisseau parfois glissants, parfois empierrés. En arrivant au bord du Miroir aux fées, l'un des étangs alimentés par le ruisseau du Val sans Retour, nous fîmes une pause éblouis par le spectacle des eaux lisses reflétant le ciel. L'endroit portait bien son nom. Fernand nous rejoignit alors et nous dit:
- Vous imaginez l'usage que Merlin, passionné d'astronomie pouvait faire d'un tel miroir pour étudier les astres et les constellations.
Une femme remarqua:
- Cela me fait penser à Odin, le dieu germanique qui en contemplant les étoiles reçut la révélation des runes.
Fernand s'exclama:
- C'est trop beau, je suis béni des fées! Vous venez de passer la porte des légendes!
- C'est ce qu'on dit, précisa Clarance, lorsqu'on atteint le Miroir de fées en passant par le Val sans retour.

Fernand dit comme pour lui-même:
- Merlin contemple le miroir du ciel, il se met en harmonie avec l'univers, le temps et l'espace, c'est ainsi, comme le dieu Odin qu'il accède à une forme de connaissance révélée, inspirée par la Nature elle-même...

Attentifs à la magie de l'endroit, nous regardions ce décor incroyable d'eau, de pierres et d'arbres dans lequel le soleil dessinait des ombres d'apparitions féeriques. L'un d'entre nous penché à la surface du ruisseau près de l'étang nous fit remarquer sa couleur particulière, ocre rouge. Selon Clarance, c'était dû à la présence du fer dans le sous-sol de ces eaux ferrugineuses. Fernand ajouta d'un air mystérieux:
- Le mystère du sang et de la vie, le domaine de la grande déesse.
Soudain une femme s'exclama en tendant le bras:
- Regardez, on dirait les bois d'un cerf dans la lumière.

Clarance sourit et dit:
- C'est l'Arbre d'Or. Venez, approchons-nous. Ce châtaignier doré à l'or fin entouré de cinq arbres noirs calcinés est là en mémoire du terrible incendie qui a ravagé la forêt en septembre 1990. Plus de 30 000 arbres ont été replantés dès l'hiver et ce lieu a été inauguré l'été suivant.

Nous étions arrêtés par de nombreuses aiguilles de schistes dressées autour des arbres. Il fallait bien protéger le lieu de l'appétit des hommes pour l'or et du vandalisme. Fernand dit:
- Ce sont les bébés-menhirs de la forêt de Brocéliande!

Nous étions tout près du parking où nous attendait notre véhicule. Nous laissâmes Fernand à ses méditations pour aller prendre une collation bien méritée!

Tréhorenteuc

Avant d'arriver à Tréhorenteuc, Clarance nous informa:

- La commune est la plus petite du département, le Morbihan, elle est à la lisière de la forêt de Brocéliande, donc de l'Ille-et-Vilaine. Comme vous le constatez, elle est tout près du Val sans retour et de l'Arbre d'or. L'Hotié de Viviane, le siège de Merlin et un site mégalithique vers le nord, le Jardin aux Moines sur la Butte aux tombes sont aussi sur son territoire.
''Mais l'endroit le plus célèbre ici est la chapelle du Graal ou église Sainte Onenne. Lorsque l'abbé Gillard après avoir été démobilisé fut nommé recteur à Tréhorenteuc en 1942, il découvrit une église en mauvais état datant du XVII° siècle et des paroissiens soumis à des restrictions terribles en raison des temps de guerre. Pourtant animé de sa foi chrétienne, passionné de légendes bretonnes arthuriennes et malgré une hiérarchie qui le désapprouvait, il fit de son église un haut lieu de Brocéliande qui deviendra un passage touristique obligé.

Elle nous fit découvrir au passage le château local privé et la fontaine de Sainte Onenne qui était toujours en compagnie des oies selon la légende. Elle est ainsi représentée avec le saint patron de la commune, Saint Eutrope, sur la bannière de Tréhorenteuc réalisée début XVII° qui se trouve dans l'église.

Clarance nous réunit devant l'église, elle nous fit remarquer l'inscription au-dessus de la petite porte sud: « La porte est en dedans » et nous invita à la visiter dans le recueillement.

Nous entrâmes, l'église était éclairée par des vitraux colorés que l'on ne s'attendait pas à trouver dans la si petite église d'une minuscule bourgade, 150 habitants à l'arrivée de l'abbé Gillard, 116 en 2007. Nos compagnons se dirigèrent vers l'autel ou les chapelles latérales. Après un regard circulaire pour découvrir les lieux, je ne savais plus par où commencer, je vis Fernand me regarder d'un air sérieux et intrigant puis se diriger vers une porte ouverte située à notre gauche, vers l'ouest. Je le suivis.

Il s'arrêta devant le vitrail nord de cette petite "chambre" ou antichambre, le narthex de l'église. Il représentait le convoi funèbre de Sainte Onenne, la sainte à laquelle est maintenant dédicacée l'église, auparavant c'était à Saint Eutrope. Devant, je remarquai la masse imposante de la cuve de baptême et juste sous le vitrail, la représentation à gauche d'une queue de poisson et à droite d'une tête de bélier. Sur le linteau de la porte, "du dedans", était écrit 1,618.

J'entendis notre guide proposer de passer à la boutique-office de tourisme tout près de l'église. Je restai avec Fernand qui s'approcha de moi lorsque nous fûmes seuls. Sans préambule il me demanda:
- Que vois-tu ici?
- Que dois-je voir?
Il rit et me demanda d'approcher du vitrail en disant:
-Il faut toujours commencer au Nord.

Je regardais attentivement cette représentation des funérailles de Sainte Onenne.
Fernand, rêveur, murmura:
- La mort n'est pas la fin de tout, c'est l'entrée...
Je finis sa phrase:
- Dans l'Autre Monde.
Il bondit sur ses pieds et s'exclama:
- C'est bon ça, continuons. Tu sais qui est Onenne.

J'avais entendu notre guide en parler. Je me souvins:
- Je crois que c'est la soeur du Roi Judicaël de Domnonée, elle a renoncé à son statut de princesse pour vivre simplement en compagnie des oies.
- En gros c'est ça. Mais en fait Onenne est très probablement un personnage légendaire. On pense que là où elle résidait se dressait auparavant un temple dédié à Vénus. Par ailleurs son nom pourrait venir de onna ou anna en indo-européen qui est en rapport avec l'eau courante, les rivières, or une fontaine lui est dédiée dans ce bourg. Tu vois où je veux en venir.
- A la grande déesse?
- Tu connais les légendes des fées ou déesses associées aux oies?
- Je me rappelle celle de la Reine Pédauque si célèbre dans le midi.
- Bien! L'oie permet de signaler selon la Tradition un rapport avec la Vieille Loi comme dans les contes initiatiques de Ma Mère l'oie.

Là j'étais perdue, je ne voyais plus où il voulait m'emmener! Il vit mon trouble et me dit alors:
- L'oie est réputée pour être associée au langage des oiseaux.
Je me sentis rassurée, si c'était un jeu de mots, je devais pouvoir avancer sur cette piste. Fernand me désigna les représentations qui figuraient juste sous le vitrail, queue de poisson et tête de bélier.
- Que remarques-tu?
- Ce sont des signes du zodiaque.
- Et...
- Ils sont inversés par rapport à l'ordre astrologique habituel.
- Et oui, le commun des mortels subit le cycle du temps sur la roue du zodiaque. L'inversion signale le chercheur initié, celui qui assume son destin...
Je prononçais lentement:
- Queue de poisson au bélier..., j'entendis alors "que de poids sont au Bel liés" et je me souvins que Bel était le dieu solaire autrement appelé Bélénos. Fernand dit:
- Et par ailleurs le graphisme particulier évoque des lettres...

Cela m'apparut soudain évident, je m'exclamai:

- Mais oui! De l'alpha à l'oméga, alpha formé par la queue du poissson, oméga par les cornes du bélier.
- Un symbole de totalité et si tu rassembles tout?

Je savais que 1,618 était le Nombre par excellence, nombre d'or représentant la divine proportion; le zodiaque me parlait de "poids". Je me souvins alors qu'un verset biblique énonçait : "Tu as tout disposé avec mesure, nombre et poids " (Sg 11, 20), le Tu désignant le Dieu créateur. Il me manquait la mesure, je jetai un regard circulaire dans ce minuscule espace. Fernand suivit mon regard et hocha la tête positivement lorsque je fixai la cuve baptismale. Il me dit:
- Selon Paul, la grâce nous a été donnée selon la mesure - metron en grec - du don du Christ (Ephésiens 4), le baptême étant bien sûr le don du Christ.
- Ainsi les fonts baptismaux donnent la mesure, dis-je, du moins de l'homme chrétien, l'Homme Anthropos.
- Et Platon disait l'homme est la mesure de toute chose, dit Fernand. A propos de philosophie, que sais-tu de celle de l'abbé Gillard?
- J'ai cru comprendre que son ambition était une sorte de fusion entre celtisme-druidisme, légendes arthuriennes et christianisme dans un esprit de tolérance et de tradition universelle, une quête de l'Harmonie en toute chose.
- Oui et le symbole qu'il a utilisé pour représenter tout ça?
- Le Graal.

Sans rien ajouter, Fernand passa alors dans la nef de l'église et se dirigea vers les premiers tableaux du chemin de croix. L'abbé Gillard avait fait représenter les paysages des alentours de Tréhorenteuc, dont le Val sans retour, en arrière-plan des quatorze stations. Et Morgane en robe rouge, apparaissait dans le IX° tableau, la Troisième chute du Christ.

Notre conversation reprit sur la présence symbolique de la Grande déesse aux côtés du Christ.
Grâce à Fernand, je compris que si le paysage local et non Jérusalem était évoqué dans les tableaux de la Passion du Christ, c'était pour que le message de chaque station du chemin de croix concerne chacun de nous en son être profond au même titre que les images des alchimistes d'autrefois.

Puis je découvris les impressionnants vitraux du Graal, il était représenté dans l'un sous forme d'une coupe portée par des anges, dans l'autre rayonnant dans la lumière de l'orient. Dans la nef, les vitraux de Sainte Onenne racontaient des épisodes de sa vie et côté ouest, une immense mosaïque représentait un cerf blanc avec une croix d'or en collier et quatre lions devant le perron de la fontaine de Barenton.

Je ne vis pas Fernand sortir, je restai seule pour finir le tour de cette église dédiée à cette forme d'harmonie universelle. Mais lorsque je rejoignis le groupe, Fernand s'approcha de moi tout sourire et me tendit un papier chiffonné où il avait griffonné "ce soir réunion des Questeurs, 20H devant l'église". Il s'éloigna aussitôt comme pour éviter de me donner les renseignements que je souhaitais avant d'accepter, je le remerciai et glissai le message dans ma poche.

Jardin-aux-Moines

Clarance nous proposa de faire notre prochain arrêt près du fameux Jardin-aux-Moines non loin du hameau de Perthuis-Néanti. C'est-à-dire "Porte du sanctuaire"ou Porte du ciel. Pertuis pour ouverture ou porte; Néanti pour németon, le sanctuaire gaulois qui fait référence au ciel en tant que lieu de rencontre terre-ciel.

Sur une butte, ce quadrilatère mégalithique d'environ 25 m par 5 à 6 mètres est ruiné, il en reste des blocs de schiste rouge alternant avec des blocs de grès blanc enfoncés dans le sol. Clarance nous dit:
- La légende locale raconte que ce sont des moines ou des seigneurs locaux ripailleurs punis par Saint Méen de leurs moeurs contraires à la nouvelle foi et transformés en pierre! Il a été fouillé dans les années 80, mais on ne connaît pas la fonction de ce monument construit en plusieurs étapes, on y a trouvé des silex datant de 5000 ans avant notre ère et des poteries évoquant un usage funéraire plus récent (-2500 ans).



Fernand s'approcha à pas de loup et me chuchota:
- Il existe deux autres sanctuaires de ce type en Bretagne, le Manio près de Carnac et Crucuno à Plouharnel. Il faudrait faire la même chose pour celui-ci, mesurer les angles des trajets des astres au cours de l'année pour mieux comprendre sa place en tant que sanctuaire, mais on préfère combler l'ignorance par une histoire touristique absurde de ripailleurs impies!
Il appuya ses propos par un regard évaluant ma qualité de touriste, puis il me sourit avec un clin d'oeil complice. Je crus qu'il voulait me parler de la réunion prévue le soir, mais il se ravisa et s'éloigna brusquement.

Folle-Pensée, Fontaine de Barenton
Clarance nous rassembla, une étape au hameau de Folle-Pensée était prévue avant de faire une nouvelle randonnée pédestre et l'heure tournait. Elle nous dit que les quelques maisons réparties le long de la route unique du hameau avaient probablement été construites avec les pierres du monastère de Barenton établi par le mystérieux Eon de l'Etoile. Cet hérétique breton du XII° siècle faisait des prodiges, prêchait une vision personnelle de la religion lui attirant de nombreux disciples et s'en prenait aux biens ou aux personnes des ecclésiastiques et des riches locaux jusqu'à ce qu'il soit arrêté, reconnu fou et donc mis en prison où il mourut rapidement.

- Folle-Pensée, c'est en rapport avec ce druide-moine fou? demanda un homme qui ne quittait plus Clarance depuis le début d'après-midi.
- Pas vraiment, répondit Clarance, l'eau de fontaine ou de source était ici réputée pour ses vertus thérapeutiques et cet environnement de forêt était un refuge. D'où le nom de Folie "pansée", vieux mot pour "soignée", déformé en pensée. D'autant qu'au Moyen-âge, folie évoquait la feuille donc la présence d'arbres. La fontaine de Folle-Pensée est à l'entrée du hameau où dit-on les druides soignaient dans un asile, mais nous sommes surtout au point de départ vers la fontaine de Barenton que nous allons voir maintenant, elle est située en hauteur et en pleine forêt.

Fernand avait sa propre version:
- Folle-Pensée, c'est la "pensée des feuilles", c'est ici que Merlin est venu lors de son accès de folie, il errait dans ces bois en criant parfois, le "brai" de Merlin. En s'immergeant dans la nature ici et en buvant l'eau de la source, il a retrouvé ses esprits, devenant même le voyant magicien dont la tradition a gardé le souvenir. On recommandait de se plonger la tête plusieurs fois dans l'eau en affirmant sa guérison tout en reconnaissant sa folie. C'est ainsi que l'on devient sage, en admettant d'abord sa propre folie!
- Combien de fois avez-vous plongé votre tête vous-même? dit l'homme proche de Clarance avec un ton ironique.
Fernand se déplaça à grandes enjambées pour se planter devant lui et lui déclarer:
- Monseigneur, sept fois, tout comme il est recommandé de tourner sept fois la langue dans sa bouche avant d'émettre un avis péremptoire. Vous pourrez essayer si vous en éprouvez le besoin. Mais la vraie guérison, c'est de trouver le secret du sens de sa vie et surtout il y a folie et folie...

Il s'inclina cérémonieusement devant lui et se glissa derrière Clarance qui se mit aussitôt en route. Le chemin bien balisé serpentait en s'élevant le long d'un petit ruisseau et ne permettait pas le passage à deux par endroits. Les arbres le bordaient étroitement, la lumière du soleil qui jouait dans les feuilles peinait à éclairer les profondeurs du sous-bois. Nous étions en Haute-Forêt, le ruisseau nous conduisait à la source, la célèbre Fontaine de Barenton. C'était selon toute vraisemblance un lieu de culte druidique avec sa source en hauteur dans une clairière.

Un guide parlait à un petit groupe rassemblé autour du perron, la grande pierre près de la source. Je m'approchai pour profiter de son discours:
- Autrefois la forêt ne continuait guère au-delà de ce niveau, aussi il était plus facile d'accéder au site par le haut et l'on comprenait mieux l'origine du nom qui était Balanton ou Belenton: source de Bel, dieu solaire dont le culte était célébré sur les hauteurs. Bel était associé à sa parèdre Bélisama, "La Très Brillante". C'est la Dame Blanche des sources et fontaines où on lui accorde des fonctions guérisseuses.
''Cette source de Barenton est très particulière, en hauteur, dans cette partie de la forêt de Brocéliande appelée Haute-Forêt. Son eau claire reflète le ciel dans la clairière et qualité précieuse, elle est ni acide ni alcaline mais neutre.

''Sa température constante est plutôt fraîche comme celle de la nappe phréatique où elle s'alimente, mais elle semble bouillir parfois lorsque des bulles viennent à la surface, surtout par temps chaud. Cette fontaine est située sur une faille géologique, en effet vous observez que le sol de la forêt est parsemé de grès schisteux rouge chargé en éléments ferreux comme dans de nombreux endroits en Brocéliande, tandis que l'eau émerge dans un lit de grès blanc. Cette géologie explique des particularités magnétiques à cet endroit...

Je dus alors quitter précipitamment ce groupe, Clarance regroupait ses randonneurs avant de parler:
- C'est ici que Merlin rencontra Viviane qui d'après la légende l'y attendait. Année après année, il lui enseigna son savoir jusqu'à lui donner consciemment le moyen de l'enfermer dans une prison d'air par la magie de neuf cercles. Par ailleurs, comme vous le savez grâce à l'histoire du chevalier Yvain, la légende dit que lorsqu'on arrose le perron de la fontaine, parfois un orage ou une tempête se déclenche. Le clergé faisait autrefois des processions depuis Concoret jusqu'ici en cas de sécheresse. On dit aussi que les fées de Concoret, village où les sorciers étaient réputés, s'y réunissaient avant que les prêtres n'investissent la place.


Elle nous laissa nous approcher de la source libérée de ses précédents admirateurs, chacun s'y livra à différentes approches: photos, bain de pieds, eau sur le corps... Nul ne se risqua à arroser la pierre, nous tenions à finir la journée sans pluie!

Un peu à l'écart, Fernand scrutait les pierres dans le lit du petit ruisseau de Barenton, il en avait extrait deux petites, l'une rouge, l'autre blanche. Lorsque je le rejoignis, il les éleva et murmura:
- Ici le souvenir de Merlin et Viviane évoque l'union sacrée de la Grande Déesse et du Dieu à laquelle communiait le peuple des anciens.

Puis il déposa les pierres dans l'eau et sans un regard pour moi, il revint vers le groupe, je le suivis tandis que nous prenions le chemin du retour vers le parking de Folle-Pensée.
Clarance nous signala la présence des ruines du château de Ponthus non loin de la source, près du lieu nommé "le champ des tournois", souvenir du chevalier Ponthus et de Sydoine évoqué aussi dans un des tableaux de l'église de Tréhorenteuc. Leurs descendants auraient été parmi les plus importants rois de Bretagne. A l'emplacement de ce château, un hêtre du même nom couvrait le site de sa magnifique frondaison.

Clarance souligna la présence de mégalithes localement et peut-être du "vrai" tombeau de Merlin tout près d'ici dans la forêt, mais les plus remarquables étaient les trois pierres de la Vieille qui autrefois situées dans les Champs Morgan avaient été incorporées à un monument commémoratif de Mauron.
La Vieille, Morgan, je me souvenais de ce qu'avait dit Fernand, il y avait décidément beaucoup de traces d'un culte à la Grande Déesse ici.

Chêne Guillotin, Concoret

Notre chauffeur nous mena près du célèbre chêne Guillotin à Concoret. L'arbre immense était encerclé d'une estrade de bois fort imposante aussi, à laquelle on accédait par un escalier. Clarance nous dit:
- Concoret était appelé Val des sorciers ou Val de Fées selon son nom breton Kon-Kored. Etait-ce à cause de ce Eon de l'étoile qui a laissé son nom ici et passe pour avoir été le dernier héritier connu du savoir des druides? Nous sommes dans la Rue Eon et voici le chêne Eon ou Guillotin. C'est un géant de 20 mètres de haut et de presque 10 mètres de circonférence. Contemporain du célèbre moine Eon (mort en 1148), il est daté du passage de la comète de Halley (1144) qui s'accompagna d'un grand effroi et explique peut-être la popularité d'Eon en lutte contre les abus de l'église dans les temps difficiles de l'époque. On dit qu'avant d'être pris, Eon qui avait amassé un trésor, l'aurait caché par ici. Mais nul n'en a trouvé la trace.
Fernand haussa les épaules:
- Le trésor appartient aux Korrigans du coin. L'essentiel est invisible aux yeux, ce qui est en bas est comme ce qui est en haut.
- Ce qui signifie? demanda poliment une femme habituellement silencieuse.
- Celui ou celle, dit-il en la regardant fixement, qui perçoit les fées ou écoute les oiseaux sait que le macrocosme est en correspondance avec le microcosme.

Un silence d'incompréhension suivit Fernand qui s'éloigna sans attendre une autre question ou remarque. Les regards s'élevèrent vers la cime de l'arbre où des oiseaux indifférents à notre présence semblaient discourir entre eux à grands renforts de trilles et chants variés. Clarance reprit:
- Le surnom de Guillotin est attribué à ce chêne en souvenir d'un abbé réfractaire qui est venu se réfugier dans le creux de son tronc alors qu'il était recherché par les révolutionnaires à la fin du XVIII° siècle. En réponse à ses prières à Notre-Dame de Paimpont, une araignée l'aurait caché en tissant sa toile au bon moment.

Fernand fit le tour de l'arbre qui, un peu malmené par les dernières intempéries, avait perdu quelques feuilles. Il en ramassa une et dit :
- Tant de choses se sont passées ici, guerres, réconciliations, haines, amours, joies et peines, sécheresses ou froid rigoureux... Qu'en reste-t-il au pied de ce vénérable de près de 900 ans qui continue à reverdir au printemps. Cette feuille est neuve de l'année! Secret de la jeunesse?

 

Comper, le château de Viviane

Nul ne lui répondit, il fallait poursuivre notre programme. Toujours sur le territoire de Concoret, nous fîmes une nouvelle étape au château de Comper au pied duquel s'étale un superbe étang.

Clarance nous informa:
- Le lieu tirait son nom du ruisseau le Comper, ce qui signifie confluent en celtique ancien (Kemper). Il s'agit de la confluence avec le Meu et le Mel. C'était une place forte de Haute Bretagne au XII° siècle jusqu'à ce qu'il soit ravagé par Du Guesclin au XIV° siècle. Reconstruit, il a été de nouveau démantelé pendant les guerres de religion par Henri IV au XVI° siècle. Il abrite maintenant le Centre de l'Imaginaire Arthurien.
Selon certains, la grande druidesse Velléda vivait ici avant la conquête de la Gaule par les Romains. Mais selon la légende, c'est le château de Dyonas (filleul de la déesse Diane!), le père de Viviane. Elle fût élevée ici et Merlin lui fit un palais au fond de l'eau où elle éleva Lancelot, le valeureux chevalier de la Table Ronde. Etaient-ce les reflets du château dans l'eau de son étang qui avaient donné naissance à la légende?

Fernand s'éloigna vers la partie boisée le long de l'étang et sous nos yeux stupéfaits, il entra dans l'eau tout habillé! Clarance nous demanda de le laisser s'ébattre et d'aller visiter le bâtiment où se tenait une exposition sur un des thèmes arthuriens.
A la sortie du Centre de l'Imaginaire, nous étions dans l'univers magique des légendes, nous suivîmes Clarance sans hésitation jusqu'à notre véhicule. En chemin, elle nous signala la présence d'un chêne remarquable non loin de là, le chêne des Hindrés et nous proposa d'aller voir le célèbre Tombeau de Merlin. Une femme s'exclama alors:
- Fernand a disparu!

Vers le Tombeau de Merlin
Clarance nous dit de ne pas nous inquiéter, il connaissait la région comme sa poche et prisait avant tout sa liberté. Certains dans le groupe approuvèrent lorsqu'un des hommes dit: "Bon débarras, je ne pouvais pas le sentir!" Une femme surenchérit: "Moi non plus et pas au sens figuré, un bon bain n'était pas du luxe!". Une jeune femme protesta en pointant leur intolérance, mais Clarance calma tout le monde dès notre arrivée au pied du Tombeau en affirmant:
- C'est un endroit sacré, vous pouvez faire un voeu ici et prenez garde de bien le formuler, il risque fort de se réaliser.

Cela détendit les participants et si la moitié rit, l'autre moitié se concentra en silence. Clarance poursuivit:
- C'est un vestige d'une allée couverte détruite fin XIX° siècle pour y chercher un trésor qui bien entendu n'existait pas, il n'en subsiste que ces deux blocs.

Un pied de houx gardait la trace de quelques voeux accrochés à ses branches. La jeune femme qui avait protesté quelques instants plutôt semblait déçue de l'aspect du site, elle dit:
- Si Fernand avait été là il nous aurait probablement rappelé que de toute façon, Merlin ne peut pas être dans un tombeau! Du moins pas son esprit, il est au centre des neufs cercles magiques de Viviane.


Sans manifester son avis sur la question, Clarance nous réunit pour faire la petite randonnée qui nous conduisit près de la fontaine de Jouvence. Fernand sec, changé, coiffé et rayonnant de la joie de nous avoir fait une bonne surprise nous y attendait. Il nous accueillit avec ces mots:
- Vous qui êtes en quête des secrets de jouvence, sachez que cette eau a le pouvoir de faire entrer qui en boit dans la vie éternelle.
Clarance sourit et ajouta:
- Ici, comme auprès des fontaines de chaque localité autrefois, les enfants de l'année étaient bénis par les prêtres à la date du solstice d'été. Ils étaient inscrits sur un registre et donc à quelques jours près pour la date d'enregistrement, il étaient rajeunis d'une année! C'est peut-être ça la Jouvence, ce rajeunissement.
Fernand dit d'une voix grave:
- Il ne faut pas confondre l'esprit et le corps.
La jeune femme qui l'avait précédemment évoqué se tourna alors vers ses voisins avec un air de triomphe:
- Vous entendez, je vous l'avais bien dit.

Le val de la Marette
Clarance nous précéda pour nous guider vers le site de la Marette non loin de Saint Malon-sur-Mel, une vallée encaissée avec un ruisseau (celui du Pont Dom-Jean ou du Mel), un étang et une carrière aux dispositions rocheuses spectaculaires montrant les strates du passé géologique de la région.

Sur le chemin du retour, Clarance nous dit:
- Dans les premières années du XIX° siècle, c'était dans cette vallée que se situait le Val sans retour et le lieu évoquant les légendes arthuriennes. Mais vers 1840, une usine métallurgique s'y étant installée, le lieu n'était plus propice aux légendes. Tréhorenteuc et son Val a été choisi pour la faire revivre à partir de la moitié du XIX° siècle. Mais dans cette zone, les mégalithes sont très nombreux!

Quelques personnes protestèrent
- C'était bien la peine de nous dire ça à la fin, on ne sait plus ce qu'on doit croire maintenant!
Fernand émit un rire tonitruant et dit:
- Pour accéder au royaume il faut redevenir comme des petits enfants au coeur pur. Chacun est libre!
Sur ce il disparut après avoir fait un grand geste de la main sans se retourner.

Nous étions revenu près de notre véhicule, Clarance nous montra alors une immense table de bois entourée de troncs coupés en guise de sièges. Merlin, l'homme ainsi surnommé que nous avions parfois aperçu dans la journée y était assis. Clarance nous proposa de le rejoindre et d'y partager le verre de l'amitié qui devait clore cette journée bien remplie, en sa compagnie. Hélas, le temps de sortir les boissons, il avait disparu. Un seul tronc resta libre lorsque chacun de nous s'installa autour de la Table Ronde... celui de Fernand! Mais je savais que je le reverrai dès le soir même pour la réunion à laquelle il m'avait invité, celle des Questeurs de Brocéliande à Tréhorenteuc.

Clarance avait repéré mon intérêt pour Fernand et avant que je ne parte, elle s'approcha de moi. Elle me dit:

- Tu as de la chance d'être invitée à la réunion des Questeurs. L'histoire de Brocéliande te passionne?

- Je la découvre peu à peu, je cherche plutôt à comprendre l'univers mythique de Merlin et à le rencontrer pour autant que ce soit possible...

Elle sourit et m'interrompit d'un ton légèrement moqueur:

- Quel Merlin cherches-tu? L'homme qui se fait appeler ainsi et cultive plus le mystère que la transmission de connaissance ou le vrai Merlin, celui de la légende dont ils font une sorte de dieu, prétendant qu'ils peuvent parfois avoir un contact avec lui?

 

J'étais intriguée et j'eus l'intuition que deux univers très différents se côtoyaient peut-être ici, encore à notre époque. Mais je restai prudente et lui dit:

- Je vais juste à une réunion pour en apprendre plus.

- J'aurais bien voulu y aller, mais je suis prise ce soir, c'est dommage le thème m'intéressait. J'y vais quand je peux, mais je ne participe pas à leurs rituels. Peut-être pourrons-nous en reparler demain matin, ils sont étranges, mais leurs recherches sont originales.

J'acceptai le rendez-vous qu'elle me proposait et je pris ses propos comme une mise en garde à rester dans le domaine de la connaissance.

 

26 février 2013

BROCÉLIANDE, PAYS DE MERLIN

Chapitre I du Roman du Graal dévoilé

J'avais longtemps attendu ce moment : visiter le territoire de Brocéliande situé dans la forêt de Paimpont en Ille-et-Vilaine. Mais je ne savais pas que je serais fascinée à mon tour par ce petit bout de Bretagne tout comme de nombreux autres visiteurs y compris étrangers qui s'y pressent chaque année et ce depuis fort longtemps.

Au bout de deux jours, je cherchais à comprendre l'origine de cet engouement et je m'intéressais alors aux activités d'exploration proposées par les conteurs-randonneurs de la région. C'est ainsi que j'entendis parler d'un homme que tous nommaient Merlin.
Nul ne se souvenait de son nom officiel, on savait peu de choses de lui si ce n'est qu'il parcourait la forêt en tous sens et en toutes saisons et qu'il connaissait mieux que personne le monde des mythes et des légendes arthuriennes.
Il avait souvent un point de vue original et parfois contradictoire par rapport aux conventions locales. C'était donc tout à fait le genre de personnage que je souhaitais entendre.
Seul problème, lorsque je demandais où je pouvais le contacter, on me répondait qu'il était imprévisible, il surgissait quand on ne l'attendait pas et disparaissait tout aussi soudainement. Mais on me rassurait, si j'étais sincère dans ma quête des mystères de Brocéliande, je le trouverais sans peine.
Le lendemain, je rejoignais un groupe de randonneurs lorsque j'entendis un conteur haranguer les personnes qui passaient à sa portée, je le reconnus sans peine, c'était lui et en effet, par son aspect physique au moins, il ressemblait à Merlin tel que l'on peut se l'imaginer.

Brocéliande

Il avait une barbe broussailleuse, de longs cheveux fins grisonnants, des yeux bleus comme le ciel sous des sourcils bien fournis et une voix qui sans être forte ni particulièrement séduisante captivait son auditoire. S'il avait été en ville, sa tenue et son allure négligée l'auraient fait passer pour un mendiant, mais là, dans la forêt de Brocéliande, il était simplement Merlin!
Hélas, il disparut rapidement et à défaut je restai près de la dizaine de personnes qui discutaient avec le guide bénévole d'une association de passionnés locaux. Physiquement il était l'opposé de Merlin, il était petit et replet, vêtu d'un costume sombre un peu fripé sur un col roulé noir. Il jouait fréquemment avec ses petites lunettes rondes en les glissant parfois dans ses cheveux poivre et sel abondants bien que fraîchement coupés. Il ressemblait plus à un intellectuel habitué des bibliothèques qu'à un explorateur de grands chemins même s'il avait un teint naturellement hâlé inhabituel chez les gens du pays.

Soudain je prêtai l'oreille, j'entendis:
- Brocéliande, qu'est-ce que ça veut dire?
- Brocéliande est le lieu des légendes liées au Roi Arthur, répondit le guide. Le poète normand Robert Wace, a évoqué le premier les fées de Brocéliande dans un livre, le Roman de Brut écrit au XII° siècle. Il a été suivi par Chrétien de Troyes (dans le Chevalier au Lion) puis ensuite par d'autres continuateurs des romans de la Table Ronde. Au XII° siècle, on parlait plutôt de Brécilien ou de Brec'helean en breton. C'est-à-dire le Mont de l'Anguille ou le Pays des Enchanteurs selon les versions.
- L'Anguille, le poisson-serpent? demanda un homme en s'esclaffant.
Le guide répondit calmement:
- C'est effectivement sous cette forme qu'était vénérée la grande Déesse-mère de l'Armorique et d'une partie de la Gaule (comme dans le monde antique). Elle était représentée en femme serpente ou en sirène en particulier dans les sculptures des églises romanes.

 

- Et quelles sont les limites de Brocéliande selon vous? enchaîna une femme âgée.
- Les troubadours bretons, disaient que c'était la Bretagne toute entière, affirma le guide en faisant un large geste de la main, puis il déclama : les légendes anciennes évoquent une immense forêt qui s'étendait jusqu'à Fougères au Nord, Corlay à l'ouest, Redon au Sud. Selon moi, la forêt avant déboisement était située entre les monts du Menez ou Mené au Nord, les rivières de l'Oust à l'ouest, de l'Ille et de la Vilaine à l'est, dans ce pays autrefois nommé Porhoët, c'est-à-dire « pays au travers de la forêt ». Elle est maintenant réduite à la forêt de Paimpont.

- Pourtant d'autres territoires revendiquent ce nom de Brocéliande et les légendes qui s'y rapportent! s'exclama un homme qui semblait fort irrité.
- Bien sûr, mais il n'y a pas de quoi se disputer, cela ne nous pose aucun problème que la Normandie, le Maine, La Provence ou le Valais suisse revendiquent ce titre, même si c'est surtout de la localisation du Graal qu'ils se prévalent. Qu'importe, plutôt que de chercher où, vous devriez vous posez la question "pourquoi". Pourquoi ces lieux des légendes arthuriennes et le temple ou château du Graal sont-ils revendiqués dans ces différentes contrées?

 

Nous nous regardions tous sans avoir manifestement de réponse à cette bonne question. Sûr de son ascendant sur son auditoire, notre guide reprit:

- En fait ce serait le même modèle symbolique décliné dans la géographie de certains territoires qui se réfèrent tous au Graal. Par exemple, Alfred Weysen lorsqu'il décrivit le Temple naturel du Graal en Provence, dans les gorges du Verdon, parla de Veilleurs astronomes "laissant dans la pierre la trace de ce dessein", le saint Graal, temple du ciel.

- Oui, mais pourquoi ici précisément? insista un vieux monsieur.
Notre guide répondit :
- Si l'on regarde les reliefs, on note que les terres bretonnes ont peu de zones élevées en dehors de la masse des Monts d'Arrée prolongée par les Monts du Menez. Lors des transgressions marines qui ont longtemps menacé les terres bretonnes, puis lors des invasions des romains et des francs venant de l'est ou des normands envahissant les côtes, le relief de la forêt de Paimpont par ailleurs gorgée d'eau jaillissant en multiples ruisseaux et fontaines, même sur les hauteurs, a pu apparaître comme un refuge naturel pour les rois bretons dont on retrouve les traces historiques dans ce territoire. C'est aussi un des derniers bastions des druides chassés par la christianisation agressive qui accompagnait la conquête gallo-romaine puis franque.

- C'est bien joli, mais ça nous éloigne de l'anguille! C'est vrai que c'est le genre de bestiau impossible à attraper tellement ça glisse, dit un homme corpulent qui mimait en même temps de façon comique la prise du "poisson".
- C'est vrai, revenons à Brocéliande, reprit notre guide en souriant, pour moi c'est surtout le Pays de la Grande Déesse, l'Anguille, déesse des eaux sur la terre. Observons que sur le mont dit "la Hutte à l'Anguille" le long de la crête du Menez, qui est donc le point haut de la Bretagne centrale, naissent le Ninian et son affluent l'Yvel et juste à côté comme un jumeau le Meu! Les rivières courent comme des serpents autour du territoire de la forêt.

On lui demanda aussitôt:
- Ninian, n'est-ce pas l'équivalent de Viviane, la fée de la légende arthurienne.
- Tout à fait confirma notre guide, et l'on dit même que le réseau des rivières s'est beaucoup modifié au cours du temps (lors des périodes glaciaires, des transgressions marines), le Ninian aurait autrefois traversé le territoire de la forêt de Paimpont-Brocéliande, c'était alors probablement la rivière principale de ce territoire.
''Actuellement c'est l'Aff qui draine l'eau de cette forêt avant de rejoindre la Vilaine au sud. A l'ouest on trouve donc l'Yvel et le Ninian, affluent de l'Oust. Au nord et à l'est on trouve le Meu et ses affluents aux noms évocateurs le Mel, le Muel. Ainsi le territoire de la forêt de Paimpont est complètement cerné par ces rivières qui finissent toutes dans la Vilaine. C'est ce que j'appelle le Premier Cercle, celui de l'Eau vive, l'Eau serpente.

Une personne passionnée par la toponymie demanda: est-ce que les noms des rivières entourant Brocéliande ont une référence légendaire?

Notre guide sourit en haussant les épaules et répondit:
- Voyons d'abord l'étymologie, Yvel signifie l'Eau, Ninian est l'Eau du sommet, l'eau céleste. L'Aff est l'Eau par excellence, l'Ame de l'eau.
Le Meu, le Mel, le Muel mais aussi la Vilaine font référence à un Grand Moulin tout comme le nom de Merlin ou Melin d'ailleurs.

La même personne insista :

- Peut-on préciser les limites de la forêt grâce à la toponymie des lieux?
- On peut effectivement relever les toponymes comportant le mot qui désigne localement la forêt: ouët ou oëd. C'est à l'Est près d'Iffendic, Penhouët ''Tête de forêt''. De même à l'Ouest, Penhouët en Loyat ou Penhouët en Néant sur Yvel. Au Sud, c'est la "Porte de la forêt", Gwern-Porc'hoëd devenu Guer. Au Nord, c'est la "Queue de la forêt" avec Loscouët en Gaël. N'oublions pas que Porhoët, le nom de ce territoire, signifie "Pays à travers ou occupant la forêt".
C'est le second cercle, celui du Bois.

La Grande Déesse
Un homme réagit :
- Mais quand même vous nous avez parlé de la Grande Déesse, si Brocéliande est son territoire, comment y est-elle évoquée?

- La Grande Déesse des Bretons était Ana, c'était la déesse des marais, lieux de vie et de mort. Les marais étaient considérés comme les limites ou frontières de l'Autre-Monde, dimension parallèle des esprits, des fées. Pour les celtes, la Grande Déesse a toujours trois aspects, c'est une triade divine. Mais pour en revenir aux légendes du Graal, on pourrait se demander quels sont ces trois aspects dans les romans de la Table Ronde, autrement dit les trois femmes mythiques?

Une jeune femme qui prenait des notes s'agita près de moi, elle dit:

- Ces femmes, Viviane, Morgane et Guenièvre ont chacune une histoire et un rôle bien défini dans les légendes arthuriennes, elles ne semblent pas "mythiques".

Notre guide répondit:

- En effet, considérons d'abord la grande figure féminine légendaire de Brocéliande, Viviane. C'est la compagne et disciple de Merlin, elle finit par dépasser son maître et le garder près d'elle. Ensuite, l'autre personnage plus sombre est Morgane, également disciple de Merlin et soeur d'Arthur, elle est évoquée en particulier dans le Val sans retour. La troisième est Guenièvre, l'épouse du Roi Arthur et donc la Reine qui vécut par ailleurs un amour intense avec Lancelot, le chevalier élevé par Viviane. 

La jeune femme suivait son idée et dit :

- Selon le point de vue mythique, la déesse apparaît sous forme triple, on pourrait ainsi dire que les trois femmes principales des romans de la Table ronde correspondent en fait à une seule et même figure mythique déclinée sous trois aspects.

Un homme, la moue dubitative intervint.

- Je crois surtout que cette culture païenne a disparu sans laisser de traces, effacée par la christianisation qui n'a élu qu'une femme et encore tardivement, la Vierge Marie!

- C'est vrai, confirma notre guide, du moins en apparence, mais la christianisation n'a pas effacé complètement la déesse serpente, ainsi à Brennilis, la Vierge a un aspect curieux pour qui sait observer. A ses pieds la femme-sirène se prélasse et au dos de la statue, la tresse de la Vierge est en continuité avec la queue de la Serpente! Remarquons l'allusion subtile à la triade celte avec la ... tresse de la coiffure!

Soudain un murmure parcourut notre petit groupe, Merlin approchait. Il paraissait absorbé dans ses pensées et ne nous regardait pas, mais il s'arrêta à notre hauteur et dit comme pour lui-même.

- La royauté est sacrée pour les celtes et c'est la Reine qui la confère. N'oublions pas, la Reine!

Et il poursuivit son chemin avec son bâton noueux en marmonnant.

- La reine, c'est Guenièvre, reprit la jeune fille avec enthousiasme, mais il me semble qu'elle ne devient reine que lorsque Arthur le Roi, l'épouse. Qu'a-t-il voulu dire avec la royauté sacrée des celtes?

Notre guide reprit :

- Poursuivons notre examen des trois principaux aspects féminins des romans arthuriens, Guenièvre est l'épouse et la Reine, elle amène en dot la Table Ronde, elle est effectivement celle qui confère la royauté à Arthur conformément à la tradition celte déformée par la vision chrétienne. Et dans certaines versions, elle la confère ensuite à Mordred, neveu ou fils d'Arthur en l'épousant selon le schéma de renouvellement de la royauté sacrée: le vieux Roi est mis à mort ou écarté rituellement et remplacé par un jeune qui épouse la Reine, avatar humain de la déesse! Dans ce contexte, la Reine incarne alors la terre, la souveraineté et l'amour.

Viviane est l'initiatrice, l'enseignante ou conseillère du héros (Arthur, Lancelot) et elle est affiliée à la Déesse Mère par son père, filleul de Diane. Elle est son héritière pour ce qui est des secrets de la Nature, de la Connaissance des rythmes de vie et des cycles du temps, elle vit dans son domaine enchanté. Elle remet ou reprend l'épée de royauté, Excalibur. Elle incarne l'initiatrice, l'enseignante, la sage conseillère et prophétesse.

Morgane est mère -d'un enfant d'Arthur-, c'est une amante, "la femme la plus luxurieuse de Bretagne" et celle qui emmène Arthur mort après son combat contre son fils -ou son neveu selon les versions- sur l'île d'Avalon en l'attente de son retour autrement dit sa "résurrection" à l'issue de sa "dormition". Elle incarne la fécondité, la sexualité, la mort.

Un homme intervint:

- Comme le dit Merlin, pour comprendre ce que voilent les romans arthuriens de la culture païenne et ce sont les premiers romans écrits en langue romane rappelons-le, il faut comprendre la mentalité de l'époque des mythes fondateurs et en particulier ce que représentait le Roi.

Je me rapprochai de cet homme et lui demandai où je pouvais rencontrer Merlin. Il me regarda intensément et dit:

- Que cherches-tu?

- Je cherche Merlin.

- Es-tu consciente que le chemin de Merlin est celui de la connaissance, le plus aride et exigeant.

- Je ne pense pas le comprendre concrètement, mais je sais que c'est mon chemin.

- Alors cherche, tu sais que selon la légende, il est au sein de neuf cercles...

- J'en connais déjà deux, celui de l'Eau serpente et celui des Bois, quel est le troisième?

- C'est plutôt Abdul qui les connaît, dit-il en désignant discrètement notre guide. Mais admettons, connais-tu le sens du mot bois en celte?

-Pas vraiment.

- Dans toutes les langues celtiques, le mot "vidu" qui signifie bois, végétal -en breton-armoricain "koad", en gallois "coed"- provient de la même racine que les mots qui expriment la connaissance.

- Intéressant, mais quel est le troisième cercle?

- Le troisième cercle qui serait aussi en rapport avec la royauté sacrée pourrait être celui des terres de forteresses et des châteaux. Mais si je devais chercher Merlin sur le chemin de connaissance, je m'intéresserais d'abord aux figures archétypiques dont les légendes s'enracinent dans le sol de la forêt de Brocéliande.

J'acceptai cette suggestion et je m'inscrivis pour la découverte des sites remarquables dès le lendemain. Le cercle des forteresses attendrait...



26 février 2013

Roman du Graal dévoilé, Présentation

Le Graal dévoilé ou le Salut de Lorrekey à Brocéliande

Voici un roman Historique, géographique, légendaire, symbolique tiré du travail réalisé pour le blog* de connaissance et d'Amour troubadour sous la rubrique Merlin, Brocéliande et le Graal. Le récit y avait été conçu avec le souci d'apporter des références au fur et à mesure pour étayer le cheminement de l'auteur grâce à de nombreuses photos, des liens et des parties documents.

*Voir ici: http://chantsdamour.canalblog.com/tag/Merlin%2DGraal

Dans ce nouveau texte, les personnages esquissés ont été étoffés et l'histoire remaniée sous une forme plus littéraire. Quelques schémas sont intégrés afin de présenter des données difficiles à expliquer et pourtant nécessaires. Les références des recherches évoquées sont accessibles sur le blog*.

C'est un voyage en pays de Connaissance traditionnelle qui vous convie à parcourir l'histoire des croyances qui sous-tendent notre civilisation actuelle sous son aspect symbolique. C'est aussi une plongée dans l'évolution de la conscience humaine qui transparaît sous les mythes en particulier du Graal et dans les légendes où certains aspects du christianisme et des connaissances oubliées plongent leurs racines.

Ainsi même si le fil de l'histoire romancée aide à faire le parcours, un certain nombres de notions plus « savantes » sont intégrées dans le récit afin de préparer le lecteur au dévoilement final. Elles ont été réduites au mieux et certains passages non indispensables pour suivre l'histoire ont été encadrés et mis en couleur.

Bonne lecture et bon parcours en Brocéliande sur les pas de Merlin afin d'assurer le Salut de Lorrekey.

Vous pouvez lire ce Roman du Graal dévoilé en version Pdf à télécharger ci-dessous ou le lire sur ce blog où je le mettrai en ligne chapitre par chapitre. (Tag Graal)

Roman_graal

31 décembre 2012

Merlin, Brocéliande et le Graal VII, suite et fin.

Manifestement j'étais prête. Au soir de la plus longue nuit de l'hiver, Abdul et quelques Questeurs de Brocéliande sont venus me chercher. C'était le moment tant attendu, Lorrekey, Fernand, Merlin étaient déjà sur place, couverts de grandes capes et près d'un feu. Abdul resta éloigné avec deux compagnons, ils devaient patrouiller afin d'éviter toute intrusion pouvant troubler l'événement.

La nuit était douce pour la saison, mais il pleuvait par intermittence et les nuages impressionnants filaient rapidement dans le ciel laissant apparaître par moment la voûte étoilée. Une grande bâche nous abritait avec un peu de matériel pour nous permettre de vivre cette nuit exceptionnelle au mieux pendant qu'une partie du monde appréhendait la fin du monde et une autre se réjouissait d'entrer dans un nouveau cycle du Temps.

Un des Questeurs, Florian se tenait près de moi et me désignant Fernand, Lorrekey et Merlin, il commenta:
- Avec ce rituel, trois deviennent douze, chacun rassemble en un seul point, en son coeur, au centre, Corps, Âme, Esprit. Lorsque ces trois sont unis en conscience et dans l'Amour, alors chacun rencontre son double, puis les deux polarités masculines et féminines de l'être se réunissent pour former un être complet.
- Et pour faire douze, demandai-je?
Florian répondit patiemment:
- En chacun, les quatre composants, Corps, Âme, Esprit et Double sont rassemblés au Centre-Coeur de l'être. Or il sont trois…

J'étais un peu confuse de ne pas avoir compris d'emblée, mais je devais rapidement me centrer, je fixai mon attention sur Lorrekey avec tout l'amour que je pouvais éprouver. Soudain, je vis Merlin prendre une autre dimension, le changement était subtil, mais ce fut une certitude, MERLIN était maintenant parmi nous…

Toute la nuit, des averses entrecoupées de belles éclaircies se succédèrent et lorsque les nuages se dissipaient, nous contemplions la grande roue des constellations circumpolaires.

Décembre-2012-stelvision
Ciel de décembre (saf-lastronomie.com/cielactu)

Nous étions la plupart du temps dans un état second en communion avec Lorrekey. Au milieu de la nuit, Abdul nous rejoignit et se mit immédiatement en méditation.
Au petit matin, je devins pleinement attentive au moindre bruit, aux moindres sensations fournies par mon corps en éveil. Et le lever du soleil fut un moment magique, comme une renaissance… qui donna lieu à de bruyantes réjouissances après un Salut au soleil et à chacun de nous.
Lorsque le silence revint, Fernand, Lorrekey et Merlin avaient disparu. Abdul donna le signal de fin de cérémonie et supervisa le nettoyage du site avant de rentrer.

Je revis Fernand un peu plus tard dans la journée, Lorrekey avait réussi et la joie qu'il en avait prenait le pas sur le manque de sa présence. Il me dit qu'elle était pour toujours sa bien-aimée au fond de son coeur et qu'il serait en son nom un Fidèle d'amour lui aussi. Comme Merlin qui avait choisi Viviane, il avait progressé sur la Voie d'Amour, Lorrekey était sa soeur pour le grand mariage des âmes.

Lorrekey avait été pour nous la clé ouvrant la porte de la tradition, le lore ou lorre, grâce à elle nous avions vu l'harmonie entre macrocosme et microcosme... Désormais l'Autre monde qu'elle avait enfin retrouvé ne nous était plus complètement étranger.

Ma quête de Merlin au sein des neuf cercles qui l'enserraient avait été fructueuse. La légende disait bien que Merlin s'était retiré du monde, mais restait à disposition de ceux qui voulaient ardemment le rencontrer dans leur quête du Graal.

J'avais rencontré Merlin l'homme qui avait pris la dimension de Merlin, archétype analogue à l'Anthropos de la civilisation païenne, Homme-dieu du temps d'Abondance.

Le temps des adieux était venu, le matin de mon départ, Florian était là pour m'aider et m'offrir les bons voeux de ses compagnons, mais surtout de Abdul qui ne pouvait être là. Il me donna de sa part une enveloppe et je lui demandai de transmettre en retour mes remerciements pour tout ce qu'il avait fait pour moi. Nous étions d'accord pour dire que c'était un homme hors du commun pratiquant vraiment la compassion, il avait le sens du service désintéressé et laissait la Vie agir en lui plutôt que d'agir par lui-même. Selon Florian, sa devise était :
Fais ce que doit
Advienne que pourra,
La Vie y pourvoira.

Je lui demandai aussi de saluer Fernand pour moi, j'avais appris à le connaître sans m'arrêter à son apparence et à l'apprécier. Florian le confirma en souriant, il gagnait à être connu et lui aussi était sur la bonne voie, certes plus dans l'empathie, mais grâce à Lorrekey, tout comme moi il avait progressé en capacité de compassion. (1)

Des bruits de pas précipités nous firent alors nous retourner, Fernand arrivait échevelé, les cheveux mouillés, mais propre et vêtu de vêtements corrects et à sa taille. Il avançait en faisant de grands gestes en ma direction. Il était heureux de me revoir une dernière fois. Il m'offrit un grand Salut auquel je répondis de même, puis il me prit dans ses bras. Son enthousiasme était communicatif, Florian m'embrassa aussi, puis je laissai les deux hommes pour prendre la route.

Lors de ma première pause, j'ouvris l'enveloppe de Abdul, elle contenait trois feuillets représentant un trésor inestimable au sujet d'un carré magique! Abdul érudit et magicien, MERCI.

Je n'oublierai jamais cette fin d'année extraordinaire à plus d'un titre. J'espère avoir su partager avec vous l'essentiel de cette aventure. Qui sait, peut-être verrez-vous à votre tour le Graal? Et pour cela nul besoin de venir en Brocéliande, vous l'aurez compris, le Graal est accessible dans un autre temps que notre temps linéaire moderne, mais en tout lieu…

(1) Mimétisme, empathie, compassion. Voir ici. Quelques extraits:
L’empathie est dans une relation assez limitée, en référence au moi, avec une intentionalité pragmatique de réussite de la communication, et en même temps de nature beaucoup plus riche et profonde que le mimétisme.

La compassion se situe au niveau spirituel, le plus haut niveau d’être que puisse atteindre l’être humain. La compassion est soeur de la pleine conscience, elle s’obtient à force de travail sur soi-même, pour aller justement au delà des tendances mimétiques inconscientes du moi limité et conformiste…
La compassion se situe à un niveau de conscience supérieur, le niveau transpersonnel, c’est-à-dire qu’elle n’est plus une relation en référence au moi, mais en référence à un niveau qui transcende le moi ; on peut l’appeler l’Etre, le Tout, l’Absolu, Dieu, le Soi, l’Un.

Pour la totalité des messages Merlin, Brocéliande et le Graal, voir le tag Merlin-Graal.

29 décembre 2012

Merlin, Brocéliande et le Graal VII

Abdul était heureux d'avoir pu ainsi partager ses connaissances élaborées au cours d'années de méditation et de recherches. Il me dit pour conclure que cette théorie de la Personnalité présentait neuf composantes apparemment distinctes, mais qui devaient être intégrées pour aboutir à l'unification au Soi ou à  l'Anthropos. Et c'était le même principe pour les neuf cases du rectangle de Salomon, les neuf sphères du monde nordique. En milieu chrétien, cet Anthropos était le Christ, non pas Jésus l'homme historique, mais bien le Christ en gloire et en majesté, abondamment représenté dans l'Art roman.

Christ-en-majesté-blog

Christ en majesté, (blog.legardemots.fr)

Je lui dis que pour moi les neuf cercles du monde de Merlin représentaient un monde certes passionnant mais qui restait éloigné de mes propres références culturelles et malgré tous mes efforts, encore étranger. Abdul semblait un peu déçu, mais Fernand comprenait et me dit que je devais avoir confiance, ce savoir n'était pas indispensable, la connaissance viendrait lorsque je serai prête.
Lorrekey nous rejoignit à ce moment, elle était enjouée et nous embrassa avec enthousiasme. Elle connaissait la date de son retour possible et était maintenant sûre de sa réussite grâce à notre aide. J'étais à priori celle qui doutait le plus, je n'avais probablement pas assez l'habitude de me centrer sur l'objectif et je me laissais par moment trop envahir par les pensées agitées de mon mental mal maîtrisé… Serai-je prête au jour fixé? D'ailleurs, quelle était cette date? Mes compagnons le savaient manifestement et cela leur semblait une évidence qui ne faisait que confirmer leurs hypothèses. La Porte des dieux s'ouvrirait ce jour-là d'après la Tradition!

Fernand s'approcha de moi et me dit:
- Garde le coeur pur et tout se passera bien.
- Le coeur pur, c'est finalement l'essentiel, confirma Abdul, et c'est même la voie de la Quête du Graal. La légende le dit avec ses propres images, le coeur pur permet de voir avec l'Oeil du coeur et ainsi, de se connaître à partir de son propre centre, de connaître l'Univers, l'Ordre cosmique organisé à partir du Centre céleste, et enfin de connaître Dieu, pour autant qu'un humain le puisse, à partir de l'accès caché dans le coeur qui permet de remonter jusqu'au Centre, Principe et Origine de toute chose.

Lorrekey vint à son tour vers moi avec grâce et en posant ses mains à la hauteur de mon coeur, elle me redit:
- Centre de ton coeur, centre sur la Terre, centre du Ciel et que trois deviennent douze. Alors avec l'aide de Merlin nous aurons la vision du Graal et je retrouverai mon monde.
Je plongeai dans son regard clair empli d'amour, soudain tout me sembla évident et je n'eus plus de doute.

Puis je me souvins de l'enseignement traditionnel: l'intention alliant la volonté et le désir d'atteindre le but spirituel est la première étape. Elle permet d'accéder à la première sagesse de la Dévotion et ses rituels. Mais indépendamment de toute connotation religieuse, l'adepte entre alors dans un état d'amour inconditionnel, de profonde compassion qui le centre ainsi en lui-même au niveau du Coeur.
La seconde sagesse est celle de l'Intellect, de l'esprit. L'adepte réunit des informations en vue de son objectif, il utilise ses capacités d'analyse logique et sa raison. La Tête s'allie au Coeur.
La troisième sagesse éveille la Conscience lorsque le Corps est uni à l'esprit et au coeur dans l'instant présent, porte de l'éternité. Lorsque les trois (coeur, esprit, corps) sont harmonisés, "alignés", le corps devient temple et l'adepte accède à la vision directe de la réalité ultime de toute chose. En langage moderne c'est la Pleine Conscience.

Je comprenais ce que Lorrekey vivait. Le mythe chrétien disait aussi que l'homme par sa chute, son péché (ce qui signifie se détourner de la cible, mal orienter son désir), a perdu le sens de l'éternité. Et c'est la vision du Graal qui le restitue à celui qui en est digne. (1)

Interrompant mes reflexions, Abdul reprit la parole:
- Les neuf éléments de l'Homme complet ne sont pas une notion si compliquée, mais elle correspond à une culture particulière dont nous sommes éloignés et surtout à une conception de l'homme et du temps fort différentes de la nôtre.
- Comment ça?
- Les anciens selon la Tradition proposaient une transformation de l'homme* en "honnête homme" ou "gentilhomme", Ahr-man ou Ar-man dont on retrouve la racine dans Aristocrate, un homme à l'esprit clair à l'imitation du dieu (diew en indo-européen : Ciel clair, Jour.) Ar signifie "les Mieux" en indo-européen.

- Et pour le temps? demanda Fernand.
- Il y aurait beaucoup à dire sur le temps tel que le concevaient les anciens. Mais la principale différence pour comprendre ce qui nous intéresse ici, est la circularité du temps symbolisée par un serpent se mordant la queue ou par une roue (de moulin ou autre) tournant dans cesse.

''Les anciens célébraient les cycles cosmiques et qui dit cycle dit retour d'une même configuration. C'était la croyance prédominante dans les sociétés anciennes, non occidentalisées. En Occident au contraire, la conception du temps est linéaire et puisqu'il y a un début, une progression, il existe aussi une fin des temps! Le temps est une ligne et elle peut se briser!
''On vit actuellement cette différence de conception, les peuples se réclamant des croyances mayas font la fête pour préparer le retour de la déesse qui "remet le temps en marche" d'après une configuration particulière de leur calendrier, tandis que les occidentaux jouent à se faire peur en parlant de la fin du monde plutôt que de la fin d'un calendrier!

- Et ils disent aussi que le temps c'est de l'argent! remarqua Fernand.
- Les Anciens disaient que le temps, c'est de l'abondance, ajouta Abdul, notion que l'on retrouve à propos du Graal sous sa forme de contenant qui propose l'abondance à chacun selon ses désirs, en particulier de nourriture. Et cette nourriture bien terrestre, ces mets à volonté chez les celtes deviennent l'hostie nourrissant l'ancien roi dans les romans du Graal. C'est le "haut-manger", la manne spirituelle, idéal des chevaliers du Graal christianisé.
- Le Christ nourrit son peuple d'abord de poissons et de pain, puis de son pain et de son sang, dit Fernand.
- C'est en effet le même concept, confirma Abdul, mais il est bien difficile à comprendre dans sa profondeur symbolique pour les esprits modernes. Les anciens parlaient concrètement, par analogie avec l'Aliment, nous préférons peut-être l'abstraction de la Lumière, la Gloire. Dès l'Ancien testament, la Manne (qui a nourri les hébreux dans le désert) était la révélation sur terre de la Gloire de Dieu. Et Jésus sur le Mont Thabor a été transfiguré par la Lumière, la Gloire divine. (3)

- La Lumière, le soleil, la vie sur terre comme au ciel, dit Fernand d'un ton rêveur.
- Le Soleil est effectivement le symbole central, ainsi la quête du Graal est aussi en rapport avec le point du Ciel où le dieu, le Jour, l'Année (4) renaît en émergeant de la longue nuit du solstice d'hiver. Le Don de vie s'offre en "calice" au Pôle considéré comme centre céleste, point de Gloire du Don des Dieux (ou Rune Gebo). (5)
- Je me souviens d'une rune appelé calice en vieil anglais, dis-je, elle associe la rune du Don des dieux et celle de l'Année ou grand Jour.
- Selon les gnostiques, reprit Abdul, à la fin des temps, le rédempteur remontera aux Cieux, traversant la voûte céleste à l’endroit d’un X gigantesque considéré comme la Croix céleste.

- Un X comme un chrisme, remarqua Fernand.
- Nous avons vu que le Chrisme était un cosmogramme, schéma du Centre et de l'Ordre cosmique. Auparavant cette connaissance cachée était accessible seulement aux initiés. Le Christ la révèle à tous et en permet l'accès en passant par lui. En le suivant, le chrétien partage sa Gloire.

- Tu veux dire que le Chrisme est le Graal? demandai-je.
- Ne va pas trop vite, me recommanda Abdul, regardons un autre aspect du Chrisme d'abord. René Guénon voyait dans la boucle du P (ou Rho en grec), la "signification initiatique de la "porte étroite" permettant… la sortie du Cosmos pour la Délivrance", c'est-à-dire le Salut. Il parlait aussi d'un oeil, porte vers un autre domaine de l'être, le troisième oeil qui donne une autre vision, le sens de l'éternité.
- Oui, dis-je, nous avons déjà vu tous ces éléments.
- Si tu t'en souviens, ce que je vais te dire va t'apparaître comme une évidence, sur le chrisme chrétien nous avons les lettres Alpha (A), le Rho (P ), le Khi (X), le Omega (W), si tu le prononces tu obtiens…
- Arkho, le Principe, l'interrompit Fernand.

chrisme_monnaie-romaine

Chrisme dans sa couronne de laurier, (monnaie-romaine.com/articles/chrisme.php)

- Fernand! s'exclama Abdul. Reprenons calmement. En grec, ἄρχω / árkhô, c'est « commander, être le chef », le Christ est le premier, celui qui mène vers la vie éternelle. Cela donne le radical "arché" que l'on retrouve dans les mots arche, archétype, … Or l'arche, c'est le PRINCIPE de toute chose. C'était le premier mot du premier verset de la Bible dans la Vulgate, (traduction latine de référence). Ce qui donnait traduit en français "Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre".

- Arché, Principe, Origine et Source divine, cela me semble clair, mais quel lien avec le Graal, demandai-je?
- Le Graal est un Krater en grec, récipient creux. On a vu dans le Parsifal de Von Eschebach que Flégétanis parle le premier du Graal, il a des liens avec le monde arabe et juif et avait vu le Graal dans le ciel.
Le chrisme peut être réduit à trois lettres : Khi (en X); Rho, lettre R; A pour Alpha. Leur correspondance "dans le ciel", en constellation, regroupe : la constellation du Cygne (X, croix du Nord), celle de la Petite Ourse (R ), celle du Taureau-Pléïades (A). Or les Pléïades étaient le principal repère dans l'année pour les activités rurales.

- KRA - GRA, je comprends, mais Al?
- Nous l'avons déjà vu, c'est le nom de Dieu, Al ou El, et c'est aussi l'Aliment symbolisant l'Abondance! conclut Abdul.
- Tu as oublié de lui parler du Sceau de Salomon, remarqua Fernand, avec le Principe.
- Exact, confirma Abdul, en hébreu le premier mot de la Bible est Bereshit, ""dans le Principe" ou "au commencement", mais aussi en araméen, bara shit: Il a créé le six (6). Le six est le fondement de la Création et c'est le nombre qui correspond au Sceau de Salomon, sous sa forme d'étoile à six branches!

- Grand est le mystère…, ajouta Fernand d'un air très inspiré qui nous fit rire. Et bientôt le laurier reverdira! (7)

Je me souvenais de la couronne de laurier autour de l'allégorie du monde au tarot, de la couronne des empereurs romains, de quel laurier parlait-il? Je posai la question, Abdul me répondit:
- Pour moi le Laurier dont on parlait était le Labarum ou chrisme constantinien (8). Et pour nous c'est sûr il a repris vie…

* (Voir C Mandon, Rune Ansuz
(1) Sohravardî disait de même que la Perle (assimilable au Graal) était le lien avec Dieu et permettait de vivre en permanence avec la Lumière divine.
Voir pour différents aspects du Graal:
http://gatewow.free.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=5&Itemid=9
(2) Voir ici une vidéo du CNRS qui l'explique clairement.
Les Mayas, le calendrier et le 21-12-2012
http://www.dailymotion.com/video/xvujy0_les-mayas-le-calendrier-et-le-21-12-2012_tech#.UM2hgIWNAUU
(3) Jésus, fils de David: les Évangiles, leur contexte juif et les Pères de l'Église Par Frédéric Manns
(4) La vision cosmique des Indo-Européens
(5) C. Mandon, Racines et Traditions, Le Graal, centre du monde
(6) http://fr.wikipedia.org/wiki/Bereshit
Bereshit (hébreu : בראשית "Au commencement") - Bara shit (judéo-araméen babylonien: ברא שית "Il a créé six").
(7) Au début du XIV° siècle Guilhem Belibaste, un des derniers "parfait" cathare fit cette prédiction: "Au cap de sept cent ans, le laurier reverdira".
(8)  Le labarum (en grec λάβαρον / lábaron) est l'étendard militaire portant le symbole chrétien de la croix adopté à partir de Constantin Ier par les empereurs romains. Ce mot provient sans doute de laureum (vexillum) (étendard de laurier).

22 décembre 2012

Merlin, Brocéliande et le Graal VI, Les neuf cercles de Merlin

Les neuf cercles de Merlin se répartissaient en fonction de cinq éléments, Eau, Terre, Bois, Feu, Air.

MONDE DE l'EAU

 

Cercle de la Mer, Monde du CORPS
Merlin est un homme de la mer près des terres de l'Occident, là où le soleil se couche. Ses noms dérivent de mori-dunon, forteresse de la mer. Le langage des oiseaux a fourni une base pour sa latinisation, l'assimilant au fameux merle blanc, oiseau de magie et de pouvoirs chamaniques, symbole des croyances archaïques d'où émerge le personnage avant sa christianisation au moins partielle.
L'eau salée, donc la mer est le lieu d'émergence de la vie, là où extérieur et intérieur se répondent le mieux: le corps humain est composé de 70% environ d'eau par ailleurs salée!
Merlin a un corps changeant comme l'eau qui prend forme dans un contenu. Il nous fait entrer en pleine conscience dans le monde du corps au-delà des apparences, mais en prêtant attention à toutes ses propriétés. Lorsqu'il devient poisson, il est totalement dans la nature du poisson, de même pour l'oiseau…
Le Monde du CORPS
Le Corps humain récapitule lors de sa formation les étapes de l'évolution animale (phylogenèse), il se transforme avec l'âge, les accidents de la vie. Nous avons donc une apparence et des capacités qui en dépendent. Le corps est le véhicule de notre conscience et nous appréhendons le monde par son intermédiaire.
Merlin nous fait expérimenter les capacités du corps: mouvement et action, énergie, pouvoir de l'apparence. Le corps est le premier niveau de connaissance: en prêtant attention à nos sensations, nous découvrons sa sagesse.

Cercle des Rivières, Monde de la FORME, de l'IMAGINAL (Imagination créatrice)
Merlin vit avec l'eau douce des terres de Brocéliande: la fontaine de Barenton ou l'eau guérisseuse de Folle-Pensée, le lac de la Dame (Viviane à Comper), les rivières Meu ou Mel, le Lac de Trémelin...
Le Monde de la FORME
Tout comme l'eau se transforme (brume, pluie, neige, glace) et change l'aspect des choses (boue, source, fontaine, rivière), la caractéristique principale de Merlin est son pouvoir de métamorphoser les choses et de se métamorphoser sous une apparence humaine d'âges différents ou sous forme animale.
Par la volonté de son esprit, l'imaginal ou imagination créatrice lui permet de projeter des entités spirituelles dans le monde extérieur où elles peuvent se matérialiser. La substance-forme est la base de la réalité physique, elle donne sa forme au corps. (En Inde elle correspond à Shiva)


MONDE DE LA TERRE

 

Cercle des Pierres des Châteaux, Monde de l'ESPRIT, de l'Intellect
Dans le monde féodal de Merlin, les domaines autour des châteaux ou forteresses forment autant d'unités géopolitiques avec des caractéristiques particulières propres au roi ou au seigneur qui les dirigent.
Dans la version de Geoffroy de Monmouth (début du XII° siècle), Merlin est d'ascendance royale, mais un enfant sans père. Son action parmi les hommes se situe dans le monde des châteaux et des intrigues de pouvoir.
Monde de l'ESPRIT
La pensée analytique s'appuie sur la volonté pour diriger la conscience en fonction de l'ensemble des perceptions. Le contrôle de l'esprit exige une discipline et des choix volontaires de comportement qui sont codifiés dans les codes d'honneur en particulier de la Chevalerie du Moyen-âge, Merlin propose la Quête du Graal pour but suprême.

Cercle des Pierres des Mégalithes, Monde du POUVOIR
Selon Geoffroy de Monmouth, Merlin est le créateur de Stonehenge et sait comment en déplacer les pierres.
Il le conçoit comme un monument à la mémoire des guerriers bretons tombés au combat victorieux contre les saxons.
Ses pouvoirs magiques sont mis au service du collectif et donc des rois pour les conseiller et les aider à bien gouverner le royaume dans l'intérêt de tous leurs sujets.
Monde du POUVOIR
Le pouvoir de Merlin est à la fois personnel, c'est un personnage puissant et sa puissance s'exerce sur et pour la collectivité. Il peut être comparé au Mana polynésien en tant que vision de l'homme par rapport à un ensemble naturel et humain. C'est une qualité spirituelle qui dépasse l'individu (sous forme d'une entité guide ou "esprit-gardien") et le charge d'une force sacrée impersonnelle, comme une forme supérieure de charisme.


MONDE DU BOIS

 

Cercle des Bois et de la Forêt, Monde de l'OMBRE
En pénétrant dans le bois, Merlin s'extrait du monde des hommes pour entrer dans celui de la Nature, dans son aspect le plus terrifiant, celui de la peur primitive, des animaux sauvages, des apparitions… Merlin y devient le fou des bois, l'homme sauvage.
C'est un monde qui a ses propres lois, où l'homme peut se confronter à sa nature sauvage, mais aussi à sa nature sacrée. Le sanctuaire est dans le bois, porte vers le lieu et le temps des origines, l'Autre Monde!
Monde de l'OMBRE
L'Ombre au sens jungien du terme est la part non-accomplie, non consciente de l'être. Elle se charge pourtant de tous les actes de l'homme et le représente à sa mort, elle est alors selon la tradition populaire "l'âme" que l'on rend au dernier soupir.



MONDE DE FEU


Cercle des Portes de Brocéliande, le Monde AUTRE
Merlin est le maître des passages, comme le minerai de fer passe de la terre au métal par le pouvoir du feu. Passage d'un monde à l'autre, du monde de la cour royale à la nature sauvage, de l'état normal à l'état de folie, du temps ordinaire au temps du dieu,… Mais surtout avec le "coup du Merlin", c'est l'ouverture des portes vers l'autre monde, soit au moment de la mort soit au cours d'une initiation qui implique une mort symbolique préalable pour entrer dans un monde sacré. C'est le passage des ténèbres à la lumière dont le soleil est le modèle archétypique: la lumière naît au coeur de la nuit la plus longue de l'année, le solstice d'hiver.
Monde AUTRE
Merlin est le maître du changement d'état de conscience tout comme le pratiquaient les guerriers de l'Antiquité (fureur sacrée inspirée par leurs dieux). Cette faculté leur fait expérimenter un niveau d'enthousiasme (en-théo où théo signifie dieu) qui peut déboucher sur une transe, une extase (être littéralement transporté hors de soi-même).
Dans ce monde autre, la conscience explore d'autres dimensions de l'être et de l'univers, les capacités peuvent être décuplées et des voies de connaissance s'ouvrent avec la modification de l'état de conscience.

Cercle des Lieux Sacrés, Monde du DOUBLE
Merlin est associé en plusieurs "hauts-lieux" à Viviane, que ce soit près de la fontaine de Barenton pour la première fois, près de Comper ou même sur les lieux de son "tombeau", là où la magie de Viviane, magie d'amour l'aurait enserré.
Dans les récits arthuriens, la dame est le centre d'attraction pour le chevalier qui lui dédie sa vie et ses aventures. L'amour dans le cadre courtois confère une évolution spirituelle qui conduit à la dimension divine. Pour le héros, la dame représente la partie féminine de son âme à laquelle il doit s'unir dans l'Amour spirituel.
Monde du DOUBLE
Viviane est la parèdre de Merlin, elle est une figure de la grande Déesse et ils sont inséparables. Le double est de l'autre sexe: anima pour l'homme, animus pour la femme. Cette dimension peut faire partie de l'Ombre si elle est refoulée dans l'inconscient. Elle correspond à l'entité qui synthétise tous les événements de la vie de l'humain auquel elle peut apparaître pour le guider ou le tromper selon son degré de conscience.
Elle peut oeuvrer en harmonie avec le Pouvoir personnel que nous avons vu dans le cercle des Pierres Mégalithes, ce qui augmente la puissance de l'individu et lui permet de progresser selon une double polarité féminine et masculine, vocation de l'homme en accomplissement.


MONDE D'AIR

 

Cercle des Personnages et Lieux légendaires, Monde de la DESTINÉE
Merlin est le personnage qui assure le passage d'une civilisation aux croyances païennes à une civilisation qui se christianise. Les chevaliers de la Quête arthurienne représentent de grands archétypes en action vers leur accomplissement de chevalier chrétien instaurant de nouveaux rapports et de nouvelles règles dans la société médiévale. Merlin institue la Table Ronde, modèle archétypique d'organisation cosmique proposé à la cour royale.
Monde de la DESTINÉE
Merlin intervient dans la Toile du Destin (le Wyrd nordique) et ouvre la voie à la Pensée mise en rapport avec le monde de l'Inconscient collectif qui dialogue avec la mémoire personnelle pour une progression globale de l'individu en interaction dans la collectivité.

Cercle des Sphères astrales, Monde de l'ENERGIE VITALE
Merlin est un astronome, astrologue et tout comme Asmodée qui en faisait bénéficier le roi Salomon, il possède ainsi la connaissance de l'Ordre Cosmique, il peut intervenir en fonction de cette connaissance, agir selon des critères échappant à l'homme ordinaire, mais en harmonie avec l'Ordre Cosmique.
Monde de l'ENERGIE VITALE
Merlin est en contact avec l'énergie divine source de la vie, qui meut tout ce qui existe dans l'univers et en particulier les étoiles et les astres. La maîtrise de l'Energie vitale permet d'accéder à de plus hauts niveaux d'existence, de s'harmoniser avec le Soi, l'Etre du Macrocosme.

Voir un résumé sur les neuf éléments de l'Homme primordial (anthropos) dans la tradition nordique:
univers-de-gaya.azurforum.com Schéma neuf composants de l'Anthropos selon la Tradition nordique (Thorsson):

Anthropos-tradition-nordique- Thorsson

Pour en voir plus sur la Tradition nordique, ici.

19 décembre 2012

Merlin, Brocéliande et le Graal VI, de Merlin à Salomon (4°)

Le lendemain matin, nous sommes revenus dans le local des Questeurs. Fernand nous dit que Lorrekey était maintenant très bien et enchantée de la qualité de cette séance. Nous en étions soulagés et nous avons repris le travail sur les légendes de Salomon, révélatrices des croyances fondatrices de notre culture. Tous nos dossiers étaient restés sur la table. Je commençais à les classer quand Abdul s'adressa à moi d'un ton pressant:
- Tu as compris en étudiant l'univers du Roi Salomon que le Graal pouvait effectivement être assimilé à une pierre, une coupe, un objet lumineux, ce qui explique ses différents aspects selon les auteurs, qui cependant sont toujours en rapport avec la Gloire Lumineuse, le Principe divin par excellence.
- C'est aussi une Emeraude, dit Fernand.
- Exact, confirma Abdul, souviens-toi que selon Wolfram Von Eschenbach, la notion du Graal a été transmise par des écrits arabes grâce à un certain Kyot ou Guiot de Provens. Il a été taillé dans une émeraude tombée du front de Lucifer, ce qui n’est pas sans rappeler le "troisième œil", la perle Urnâ de la tradition hindoue, lié à l'ouverture du troisième oeil qui procure le "sens de l'éternité"! (Ici)

Bodhisattva-Urnâ-frontale-elogedelart
Bodhisattva à l'Urnâ frontale (elogedelart.canalblog.com)

Or Emeraude en provençal se dit Esmeral. En langage des oiseaux, j'entends Aimer Al, Al est le nom de Dieu. Allah signifie « Al llah » à savoir « Le Dieu », le Seul et Unique Vrai Dieu.
Par ailleurs ce mot est aussi est le nom qui désigne dieu en araméen, langue de Jésus, il se dit aussi El.
Enfin la Coupe elle-même est clairement une représentation du Principe divin primordial duquel découle la Création et donc l'Ordre Cosmique, elle procure tout ce dont l'homme qui en est digne a besoin ou bénéficie au Roi et à son royaume. Ce Principe est alors associé à l'Abondance divine qui se répand sur terre.
La tige à la base de la Coupe ou du Calice présente parfois trois parties en rapport avec les trois niveaux de réalité : terrestre, intermédiaire et céleste en correspondance avec les trois structures de l'être : physique, psychique et spirituel. Sur le plan chrétien, on a une image de la Trinité: Trois qui sont Un.

Je gardai le silence un moment, les connaissances exposées par Abdul étaient passionnantes, mais je ne voulais pas perdre le fil, je lui dis:
- Oui, et si on revenait à Merlin?
- Ah Merlin, c'est le meilleur! s'exclama Fernand dans un grand éclat de rire.
Abdul sourit discrètement et enchaîna:
- Tout à fait, meilleur c'est melior en latin et la racine indo-européenne mel donne miel, symbole d'une nourriture délicieuse et abondante! C'est aussi le moulin qui fournit la farine, base de l'alimentation en Europe. Le cosmos lui-même est assimilé à un grand Moulin.
- Le Jeu du Moulin, c'est ce jeu-là, affirma Fernand.
- Oui, confirma Abdul, c'est le Jeu cosmique. Et sa représentation est la fameuse escarboucle à 8 rais ou parfois 6 branches. (Voir site C Mandon 1)

kilburger-bitbourg-variante-3-wiesel

Escarboucle

- Je me souviens l'avoir vue en étudiant les runes.
- Et les runes sont aussi un code d'honneur ou de chevalerie, pour les meilleurs! ajouta Abdul.
- Encore la voie des combattants, des guerriers, ce que je ne suis pas, rappelai-je.
- Ne t'inquiète pas, il y a d'autres voies, me rassura Abdul. Nous allons demander à un des plus grands écrivains du Moyen-âge, Dante qui est né au XIII° siècle. (Ici) Il appartenait à la société secrète des Fidèles d'Amour, inspirés par le soufisme et les Fidèles de Vérité dont nous avons déjà parlé.
- Fidèles de Vérité d'Islam et Fidèles d'Amour européens ont les mêmes croyances? demandai-je, étonnée par cette filiation.
- Le lien entre Fidèles de Vérité (fidèles de l'ancienne tradition perse) et Fidèles d'Amour, est Sohravardî, adepte des soufis, philosophe de l'Iran ancien (Perse) au XII° siècle, inspiré aussi par la Gnose, Platon,…
La Vita nova de Dante décrit très précisément les différentes étapes de l’initiation à la Fidélité d’Amour, moteur de développement spirituel (2). Or l'ouvrage Vade-mecum des Fidèles d’amour de Sohravardî éclaire cette expérience de façon significative. Mais je ne vais pas te parler de ça aujourd'hui.
- Nous devons suivre la voie de Merlin, ajouta Fernand soudain très concentré.
- C'est vrai poursuivit Abdul, mais nous avons besoin de Dante pour y parvenir!  Dans son oeuvre la plus célèbre, la Divine Comédie, il utilise le rectangle de Salomon, ses neuf personnages symbolisant chacun un élément de l'Homme primordial, l'Anthropos inclus dans le cercle de l'Amour.

Rectangle de la Divine comédie

Rectangle de la Divine Comédie, kerglas.pagesperso-orange.fr


- Le Grand Homme, le modèle absolu, ajouta Fernand avec emphase.
- Et dans le contexte chrétien, reprit Abdul, l'archétype de l'Homme est le Christ! Ces neuf éléments par ailleurs se retrouvent aussi dans la tradition nordique en correspondance avec les neuf mondes.
- Neuf mondes comme les neuf cercles de Merlin, murmura Fernand.
- Bien vu, dit Abdul, nous allons essayer de voir ça sous cet angle.

(1) Voir ++ ici.

(2) Fidèle d'Amour, de la huppe au Simorgh (Henri Corbin)
http://dodecalogie-appliquee.wifeo.com/-henry-corbin-le-fidele-damour.php

 

 

 

17 décembre 2012

Merlin, Brocéliande et le Graal VI, de Merlin à Salomon (3°)

Nous nous sommes rendus dans une sorte de salle polyvalente, dans un vestiaire nous avons trouvé des tenues blanches, tunique et pantalon à taille élastique, chaussons de coton. Je demandai en riant:
- On va danser?
- A l'intérieur, ça peut même déménager! répondit Fernand en esquissant quelques pas sautillants..
- Il vaut mieux que je t'explique avant d'entrer, dit Abdul, très sérieux. Nous nous réunissons autour Lorrekey, elle s'affaiblit et nous l'aidons à se procurer un peu d'énergie en vue de son passage qui approche. Avec des Questeurs de Brocéliande volontaires et toi si tu l'acceptes, nous allons élever notre niveau d'énergie et le sien, nous allons entrer dans "le temps du dieu" sous la conduite de notre ami Merlin que tu connais déjà.
L'énergie la plus puissante de l'être humain part de la base sexuelle, ordinairement elle tend à s'extérioriser, nous la faisons monter au niveau du coeur et après…, tu verras bien. Nous méditons en couple, nous nous mettons en état de ressentir de la compassion, de l'amour désintéressé, de l'amour inconditionnel. Nous focalisons notre attention sur nos sensations face à l'autre en laissant passer sans s'y attarder les pensées parasites et en particulier jugement, critique ou doute. Si à un moment nous ressentons un désir sexuel, nous l'acceptons et le guidons au moins jusqu'au coeur.

Abdul regarda alors Fernand comme si ça le concernait plus particulièrement. Celui-ci répondit:
- Ce n'est pas facile, mais ne t'inquiète pas, si je ne suis pas prêt, je n'insisterai pas, l'intérêt de Lorrekey passe avant mes sentiments pour elle.
Abdul reprit:
- Lorsque deux personnes ont échangé de l'énergie au niveau sexuel, il leur est plus difficile de ne plus l'extérioriser à ce niveau et de la canaliser vers le haut. L'état de conscience de base est l'amour, pas le désir, même c'est lui le moteur…

Il échangea un sourire complice avec Fernand qui rayonnait dans ses vêtements blancs et semblait déjà en état d'amour! Il se retourna vers moi et poursuivit:
- Avant que tu ne rentres, je tiens à te dire que tu disposes de ton libre-arbitre, nous ne devons pas faire pression sur toi, même si nous avons besoin de toi pour Lorrekey. Si tu acceptes de faire cette expérience, elle te modifiera à jamais quoiqu'il arrive. Ce n'est pas sans risque car si l'amour est la source d'énergie humaine la plus puissante, il agit aussi comme une drogue, il modifie la chimie de ton cerveau.
Si tu sors en cours de méditation -ce qui est ton droit à tout moment-, tu seras seule pour gérer le manque… et je ne peux t'en dire plus. A toi de choisir.
- J'ai déjà choisi depuis longtemps et puis j'ai expérimenté le temps du dieu et avec Fernand de plus.
- C'est bon alors, une dernière chose, au début de la séance nous nous saluons avec un vrai Salut les mains jointes au niveau du coeur, avec les mêmes étapes que pour le Namasté indien.
- Ah oui, face à l'autre je salue Dieu en lui puis je salue le guide spirituel qui est à ses côtés et enfin je le salue dans sa forme humaine.
- On va dire ça, dit Abdul avec une petite moue souriante, allons-y.

Merlin était au fond de la salle debout en méditation, les mains étendues au-dessus d'un récipient placé sur un trépied où dansaient des flammes. Lorrekey était devant lui de profil les yeux fermés et les mains croisées sur la poitrine.
Deux couples étaient là et vinrent nous saluer, je répondis à leur salut de même. Puis ils se mirent en ligne imités par Abdul et Fernand, je les suivis. J'eus le temps de nous compter, neuf en tout, avant que l'un des Questeurs n'éteigne la lumière.
Nos yeux s'habituèrent peu-à-peu à la pénombre adoucie par les veilleuses de sécurité.

Feu-messagesdutemps

Feu (messagesdutemps.blogspot.fr)

Le chaudron de flammes était la source lumineuse la plus vive, la silhouette de Merlin se découpait puissamment dans leur vacillement. Il vint vers nous et nous scruta un à un, il s'attarda près de Fernand qui fit un pas vers lui puis recula. Il passa devant chaque homme du groupe, puis revint vers Abdul et s'inclina légèrement devant lui les mains croisées sur la poitrine.
Sans un mot, il s'écarta et l'invita d'un mouvement du menton à rejoindre Lorrekey, puis il rejoignit sa place préalable. Aussitôt les Questeurs se placèrent en couple face-à-face et je les imitai avec Fernand.

Nous avons senti une odeur aromatique se répandre tandis que Merlin jetait quelques pincées de poudre dans le chaudron, j'ai regardé Fernand et j'ai placé comme lui mes mains l'une sur l'autre à hauteur du coeur.
Nous nous sommes emplis d'amour inconditionnel, nous étions dans le Temps du dieu, au-delà du langage et hors du temps. Puis nous nous sommes avancés jusqu'à être l'un contre l'autre, nos mains s'effleurant le long du corps, attentifs à chacune de nos sensations. Nous nous sommes simplement enlacés et submergée par une montée d'énergie, j'ai été propulsée dans un océan d'amour océanique où "je" me suis noyée. Je n'existais plus, étant partout et nulle part à la fois, dans un état extatique…
J'ai été ramenée par Abdul et Fernand, j'étais dans un état second, entre deux mondes, et il m'a fallu une nuit de sommeil pour réintégrer ma dimension ordinaire non sans en garder une vibration secrète au plus intime de l'être, comme la promesse d'une porte pouvant s'ouvrir sur une autre dimension dans l'Amour universel.

14 décembre 2012

Merlin, Brocéliande et le Graal VI, de Merlin à Salomon (2°)

Nous avons utilisé les dossiers des Questeurs de Brocéliande et dans leurs locaux accueillants, nous nous sommes plongés dans l'univers complexe du grand roi Salomon, le grand Roi de légende aidé par son daïmon Asmodée (1).

En effet après l'avoir soumis et grâce à lui, Salomon rassemble de nombreux démons et les fait travailler à son profit (construction du temple, secrets mathématiques, astronomiques…, pouvoir, sagesse, ainsi que compréhension et maîtrise du Langage des oiseaux).

En tant que constructeur du Temple, Salomon ordonne et stabilise aussi le monde, en particulier grâce à une pierre gravée au nom de Dieu qui sera évoquée plus tard comme étant la "Pierre de Fondation" située sous le dôme du Rocher à Jérusalem (donc au Centre du monde). Cette pierre évite l'irruption des eaux et donc le chaos. 

Salomon porte le Temple, cathédrale-de-Laon-wikipédia

Salomon et le Temple de Dieu 

Ainsi c'est un héros cosmogonique ou une sorte de Cosmocrator (Maître du Monde), fonction qui sera ensuite attribuée au Christ. 

Nous avions différentes versions le concernant, selon les légendes et les époques. Nous avons étudié les plus importantes selon notre sujet d'intérêt principal, le Graal.

Le pouvoir de Salomon sur les démons était lié à un récipient métallique scellé par la magie de symboles. Il possèdait ainsi la connaissance du lien entre les anges ou les entités spirituelles et les planètes, les signes zodiacaux, les aspects astrologiques, il voyait l'Ordre Cosmique et pouvait intervenir en fonction, ou y participer.

Et de ce récipient magique à la coupe, il n'y avait qu'un symbole, (Saint Bol selon la Langue des oiseaux), il possédait en effet une coupe grâce à laquelle il voyait tout à distance. Ce type de coupe, "talisman de souveraineté" appartenait déjà au roi iranien Yima-Djemshid qui y voyait par ailleurs les trajectoires célestes (astronomie). 

Hâfiz_regardant_la_coupe_de_Djamshîd-wikipédia

Hafiz regarde dans la Coupe de Djemshid

Ultérieurement c'était le "Sceau de Salomon" qui tenait ce rôle, scellant tous ses pouvoirs et symbolisant toutes ses compétences magiques. Cette forme géométrique basée sur une étoile à six branches (plus ou moins couplée à celle présentant cinq branches) devint le symbole de ce Principe transcendant à l'image de l'Origine du monde, du Fondement de la Création (voir ici).

Sceau-de-Salomon-magen-david

Sceau de Salomon, Magen David

Selon le Talmud, Asmodée -qui connaissait par ailleurs l'emplacement de tous les trésors- utilisa des mots magiques pour la construction du Temple. Salomon fit graver ces mots magiques sur l'Emeraude tombée du front de Lucifer lors de sa chute et l'offrit à Hiram, le grand architecte du Temple. Après son meurtre, l'Emeraude revint à Simon le Mage et ce serait Simon, compagnon de Jésus devenu Pierre (le premier apôtre sur lequel est fondé l'Eglise) qui la récupéra après avoir vaincu Simon le Mage (voir ici). On connaît la suite, le calice de la Cène puis le Graal...

Que ce soit un récipient magique qui permet d'obtenir tout ce que le Roi désire, une coupe où il peut voir à distance ce qui se passe sur terre comme au ciel, une pierre gravée au nom de Dieu ou le Sceau de Salomon, dernier support de sa magie et de son pouvoir divin, tous ces objets sont des "talismans de souveraineté".

Or ce qui se matérialise dans ces objets symboliques correspond au Principe de souveraineté représenté par la "Gloire lumineuse". Selon le mythe indo-européen, la "Gloire lumineuse" se trouve au fond de la mer, soit sous forme d'une Perle mystique liée à la Souveraineté divine, enjeu de pouvoir entre Dieu et le Diable; soit sous forme d'une escarboucle lumineuse (on pense aussi à l'émeraude de Lucifer), d'un anneau ou d'une pierre...

Notons que le mythe de la Perle cosmogonique se retrouve chez les Fidèles de vérité turques dont s'inspireront plus tard les Fidèles d'Amour connus grâce à Dante (nous en reparlerons). En contexte gnostique chrétien on a de même une référence à la Perle dans l'Hymne ou Chant de la Perle des Actes de Thomas, un célèbre apocryphe chrétien.

En Perse, cette Lumière, Principe de divinité, était le Xvarnah, ou "Lumière de Gloire", la Tradition perdure dans le Soufisme et se retrouve dans les contes du Graal. (2)

Mais le candidat à la royauté doit bien sûr en être digne, il doit présenter des qualités particulières et suivre un rituel afin de pouvoir prétendre à posséder cette "Gloire lumineuse". (3) 

 

Cela me fit réagir, je dis à Abdul que je ne me destinais pas à être roi et que donc je ne voyais pas en quoi cela me concernait.

Il répondit:

- Détrompe-toi, cela concerne chacun en fait et c'est aussi la promesse transmise par le Christ universel: ce qui était caché est révélé, accessible à chacun selon son libre-arbitre, ce n'est plus réservé à une élite d'initiés. 

- Comment fait-on?

- Il faut comprendre que toute cette mythologie correspond à quelque chose de profond en chacun de nous, mais il faut aller au-delà des apparences et ne pas s'arrêter à des formulations obsolètes. Il faut continuer à se poser des questions jusqu'à ce que les réponses nous soient accordées en fonction de nos capacités. 

Fernand nous rappela:

- N'oubliez pas le Langage des oiseaux dont Salomon était aussi le maître.

J'avais beau faire de mon mieux, j'avais l'impression que nous tournions en rond sans progresser. Aussi je m'exclamai:

- Justement parlons-en, je ne comprends pas en quoi les oiseaux vont m'aider en admettant que je les comprenne! 

Abdul était très calme et conciliant, il hocha la tête en silence puis il dit:

- C'est peut-être une bonne façon d'avancer vers les profondeurs de l'être et donc le niveau où la solution apparaîtra comme une évidence quand le moment sera venu. Tu sais que le premier niveau de cette forme de communication est basé sur les jeux de mots et l'écoute des sonorités, ainsi le Saint-Bol, est un Symbole. Et le symbole est ce qui permet de réunir deux ordres de réalité: celui de l'esprit (le niveau de conscience) et celui de la matérialité (la représentation sous forme d'Objet magique). 

Mais le Langage des oiseaux a une dimension plus profonde: c'est le langage animal en nous, celui du corps qui fait correspondre sensation interne (dans le corps), émotion (au niveau du coeur) et pensée (au niveau mental) en une boucle d'interactions. Lorsque notre outil de conscience est affiné, bien orienté, il devient apte à décrypter la réalité à un niveau subtil en mettant en résonance nos perceptions du monde extérieur et celles de notre monde intérieur. Et nous sommes alors dans une dimension d'être au-delà du langage verbal qui est notre dimension humaine ordinaire.

Fernand confirma:

- Si tu es empli de ton propre bruit, de tes ruminations à propos de tout et de rien, tu es plein comme un oeuf et plus rien ne peut te parvenir de l'extérieur de façon douce. Tu n'agis plus, tu réagis et pas toujours à propos et surtout tu ne sais plus Etre.

Je voulus vérifier si j'avais bien compris, je me tournai vers Abdul et lui demandai:

- J'accorde en moi l'écoute de l'extérieur et de l'intérieur pour mieux cerner la Réalité. Et c'est le domaine de la synchronicité où un événement extérieur permet une prise de conscience.

 

Abdul sourit et fit un geste: il joignit ses poignets mains ouvertes et les fit bouger comme si elles étaient des ailes d'oiseau. Il les posa sur mon épaule et j'eus un instant l'illusion de l'oiseau… Après cet intermède poétique, Abdul reprit son enseignement:

- Le Langage des oiseaux, c'est aussi le langage de l'inconscient, le langage des rêves et des vastes ressources des archétypes de l'inconscient collectif, ce qui en fait un vecteur de connaissance. L'oiseau symbolise l'esprit qui vole dans les hauteurs et passe de la terre au ciel en s'élevant dans les airs d'un coup d'aile. Tu sais que par ailleurs le mot lui-même regroupe toutes les voyelles qui sont en rapport avec la Grande Déesse ou les lettres sur lesquelles reposent la Création, l'Ordre du cosmos. C'est donc un langage de la Gnose, au sens de Connaissance. (voir ici)

Fernand dit :

- Et c'est le billet d'entrée dans le Temps du dieu.

- Ah oui, le Kairos que nous avons vécu dans l'église de Tréhorenteuc, la Chapelle du Graal!

- Tout à fait, confirma Abdul, et c'est le temps de Merlin qui, je te le rappelle, a institué la "Quête du Graal" et la Table Ronde du Roi Arthur représentant elle aussi l'Ordre cosmique, la ronde zodiacale autour du Pôle.

Soudain, mes deux compagnons se figèrent comme s'ils écoutaient quelque chose que je n'entendais pas. Fernand réagit le premier, il dit à Abdul:

- Nous allons devoir y aller.

- Tu as raison, ne soyons pas en retard, répondit Abdul qui me désigna d'un mouvement du menton.

Fernand se contenta de hocher la tête. Abdul me proposa alors de venir avec eux, nous reprendrions notre exploration de l'univers de Salomon plus tard.

 

(1) L'article le plus déterminant pour notre étude a été celui de François Delpech, « Salomon et le jeune homme à la coupole de verre. Remarques sur un conte sapiential morisque », Revue de l’histoire des religions http://rhr.revues.org/5221

(2) Voir Julien Gracq: Préférences médiévales, de Claude Herzfeld 

Voir aussi sur le site de Georges Bertin, le chapitre 2 La Quête du saint Graal et des objets sacrés, le paragraphe Iran, ici.

(3) Regalia: Emblèmes et rites du pouvoir, par Bernard Dupaigne, Yves Vadé, ici.

10 décembre 2012

Merlin, Brocéliande et le Graal, VI° étape, De Merlin à Salomon

Abdul me proposa donc de me concentrer sur le personnage de Merlin et Fernand me rappela alors la sculpture d'Asmodée, tenant la structure de la chaire de l'église et que nous avions vu à Campénéac, (ex-Brénéan).

asmodee_vieux-societe-perillos

Asmodée

Merlin est en effet parfois identifié à Asmodée, à qui on attribue d'anciennes légendes hébraïques. Asmodée y apparaît en démon parfois farceur, mais avec lequel il est possible de lier un pacte pour obtenir le secret de trésors dont il est réputé être le gardien. Il peut aussi enseigner la Géométrie, l'Astronomie, les Mathématiques (les Nombres, Poids et Mesures). Salomon le fit capturer pour l'utiliser à son profit (avec quelques difficultés) à la construction du Temple, modèle du cosmos et centre du monde, réalisé selon les consignes de Dieu. (Voir ici)

Il semblerait que le personnage de Merlin ait hérité en grande partie du fond légendaire associé à Asmodée, le démon associé à Salomon. Et cela expliquerait beaucoup de choses!  En particulier, les talents de constructeur de Merlin (il connaît le problème qui fragilise les tours de Vortigen, il déplace et installe les pierres pour construire Stonehenge, il crée le palais de Viviane), mais aussi l'importance de la coupe sacrée qu'il présente comme but à conquérir en tant qu'instigateur de la quête du Graal.
Rappelons que selon la version chrétienne, Merlin est le fils du démon, qui s'attaque de nuit à sa mère, jeune vierge pieuse. Il agit comme un "incube" (dont Asmodée est le chef). Merlin est ainsi soit le fils réel d'Asmodée, soit au moins son héritier sur le plan symbolique.

Par ailleurs, le mot démon est la traduction du grec daïmon. Or le daïmon n'est pas que négatif, ainsi selon l'Encyclopédie Universalis la daïmonologie s'intéresse à des puissances supra ou infrapsychiques (esprits, anges, génies, démons, fravartis, chérubins, fées...) dont l'apparition peut signifier pour l'être humain une rencontre avec son propre destin : salut, tentation, chute, guide, initiation... Il s'agit d'une dimension humaine essentielle.
Des personnages célèbres avaient un daïmon qui les inspiraient, les guidaient, citons en particulier Socrate, Jung (1). Abdul quant à lui, pensait que selon cette tradition bien établie dans l'Antiquité, Asmodée était le daïmon de Salomon. Et Merlin en était le dernier avatar en contexte chrétien.

Si nous acceptions le lien de filiation entre Merlin et Asmodée, nous devions chercher l'origine de tout ce légendaire du côté de Salomon. Et de nouveau le travail semblait titanesque. C'est alors que Fernand rappela:
- L'important c'est la coupe sacrée, si nous connaissons la nature de l'objet, tu auras la vision du Graal et ainsi nous aurons la clé de la liberté de Lorrekey!
Avec Abdul, nous nous sommes regardés, il disait ça comme une simple évidence sans se rendre compte de l'énormité du défi. Pourtant Abdul esquissa un sourire et dit:
- Mais c'est bien sûr, il n'y a plus qu'à s'y mettre!
Sans percevoir non plus l'ironie des propos d'Abdul, Fernand fier de son idée se mit à danser sur place tout joyeux, cela eut le mérite de nous détendre et de tous nous faire rire un bon moment avant de poursuivre nos recherches.

(1) Jung. Site en anglais philipcoppens.com
Extrait: Jung avait des «guides spirituels», dont l'un a été nommé "Philémon". Jung a observé que «Philémon et autres figures de mes fantasmes ont amené chez moi l'idée cruciale qu'il y a des choses dans la psyché que je ne produis pas, mais qui produisent eux-mêmes et ont leur propre vie. Philémon a représenté une force qui n'était pas moi-même. Dans mes fantasmes, j'ai tenu des conversations avec lui, et il dit des choses que je n'avais pas pensé consciemment. [...] Psychologiquement, Philémon a représenté un aperçu de qualité supérieure.

Pour en savoir plus sur Asmodée et le lien avec Merlin, ici.

7 décembre 2012

Merlin, Brocéliande et le Graal, VI° étape, Le défi de Merlin 3° étape.

J'étais occupée depuis un bon moment déjà à trouver une correspondance entre les lieux qui nous avaient permis de définir les cercles de Brocéliande et une figure caractéristique qui nous donnerait accès à un lieu de rencontre possible avec Merlin.
Je traçais des cercles, des intersections, des étoiles…, soudain Lorrekey que je n'avais pas entendu entrer me dit d'une voie douce:
- Tu peux tracer et parcourir autant de lignes, de cercles et de figures que tu veux, mais n'oublie pas de ramener tout au centre, au coeur pour passer au niveau supérieur.

Elle avait fait beaucoup de progrès pour s'exprimer seule, mais elle énonçait une évidence. Si j'avais la représentation d'un cosmogramme de neuf éléments et je savais maintenant que le sanctuaire-németon se situait à l'ouest de Brocéliande, il nous restait à déterminer l'endroit précis du passage possible vers l'Autre Monde, là où la Terre s'unit au Ciel au coeur du bois. Je formulais l'hypothèse que ce lieu correspondait au quadrilatère mégalithique du Jardin-aux-Moines, mais je ne savais pas comment le prouver afin de le proposer aux autres.

Fernand s'approcha alors et dit:
- Merlin te dirait que pour passer de la Terre au Ciel et inversement, quand tu as le cercle, il faut penser au carré.
- Passer du cercle au carré…, murmura Lorrekey qui était bien pâle et fatiguée, mais manifestement très attentive.
- Ok, et je fais comment?

Fernand me désigna alors le calendrier où la fête du jour était marquée d'une croix imprimée en rouge. Je vis Saint André, l'apôtre auquel est associé la croix qui porte son nom: X, et dont la date de fête (30 novembre) marque le début ou la fin de l'année liturgique.
Mais bien sûr, la croix pour passer du cercle au carré!

Je vous passe les détails sur la manière dont nous avons procédé, avec Abdul qui nous avait rejoint, nous avons sorti les cartes, repris nos schémas, fait des essais et des erreurs, les idées se bousculèrent tandis que nous étions tous concentrés sur la même tâche.

Nous avons abouti à cette hypothèse:
- Le coeur-centre-cosmogramme que nous cherchions était en correspondance avec le territoire de la forêt de Brocéliande.
- Les points solaires remarquables nous avaient fourni des points de repère : Saint Jean de Campénéac et Barenton pour le lever du soleil aux solstices.
- Nous avions trouvé ces points au cours de la détermination de la croix-chrisme du chemin de croix de l'Abbé Gillard à Tréhorenteuc. Le modèle du Chrisme était un cosmogramme sacré avant même sa récupération par le christianisme.
-En utilisant la figure de la croix de saint André, nous devions chercher les points hauts correspondants au coucher du soleil lors des solstices à l'ouest de Brocéliande.

La croix géographique des solstices

Tréhorenteuc _ Néant

Carte géoportail.fr


De façon symétrique par rapport à Barenton, nous avons repéré Kernéant près du Château du Bois-de-la-Roche. C'était une évidence: un point haut surplombant l'Yvel et ses affluents à cet endroit et surtout c'était le bourg primitif de tout ce secteur de Mauron et de Néant.
Au sud, en symétrique par rapport à Saint-Jean, Fernand nous désigna Quily, il connaissait bien la région et nous parla d'un Roc-Saint-André dominant la rivière au-dessus de l'Oust traversé par un vieux pont du XVIII° siècle au niveau du bourg du même nom. Des mégalithes avaient été identifiés localement avec un tumulus et des vestiges d'un dolmen en particulier.
Sur ce territoire, on trouvait aussi un Manoir du Val-Néant et ce détail acheva de nous convaincre!

Lorrekey était épuisée, mais heureuse de voir à quel point nous étions mobilisés pour l'aider. Fernand la soutenait de son mieux et lui proposa de l'accompagner pour qu'elle se repose. En partant elle nous dit:
- Il faut que trois deviennent douze.
- Et concrètement?, demandais-je.
- Centre sur la Terre, centre du Ciel, centre de l'être, répondit-elle en posant la main sur son coeur avec un petit sourire.

J'ai regardé Abdul, il était grave, concentré et hochait la tête comme si cela lui semblait clair, c'était rassurant, mais une fois seuls, je lui demandai:
- Tu sais comment faire?
- Nous allons trouver et Merlin nous aidera, affirma-t-il.
- J'ai l'impression qu'il nous manque encore l'essentiel, lui dis-je.
- Ce n'est pas le moment de douter, si nous posons les bonnes questions, nous aurons les réponses.

4 décembre 2012

Merlin, Brocéliande et le Graal VI, Le défi de Merlin 2° partie

Si j'avais été un moment tentée de renoncer à ma quête de Merlin tandis que je me savais prêt du but, il n'en était plus question, la libération de Lorrekey et donc son "salut" en dépendait. Je ne savais pas par quoi commencer, mais heureusement Abdul avait les idées claires, il me demanda:

- Te souviens-tu où tu peux trouver Merlin?

- Au sein des neuf cercles?

- Les as-tu déterminés?

- J'ai bien avancé, mais il m'en manque encore.

- Alors au boulot!

Je lui montrais ce que j'avais découvert: le cercle de l'eau, du bois, des lieux et personnages sacrés… Il m'aida à les compléter. 

Le cercle des Mégalithes

Le cercle des mégalithes se situait autour de la forêt de Paimpont avec en particulier de nombreuses allées couvertes. Les mégalithes étaient implantés autour des hauteurs de Brocéliande vers 100 à 150 m d'altitude et en grande majorité sur les secteurs de schiste rouge (était-ce en raison de l'association symbolique de la couleur à la vie (le sang) dans la terre (la déesse-mère)?). Voir III-Géologie dans l'article ici.

Voir la carte topographique (couleurs orange à rouge) de Brocéliande et en particulier la ligne des 200m autour de la Haute Forêt. 

 

cartes-topographiques

Brocéliande-cercle des 200m

http://www.cartes-topographiques.fr/France.html

Des alignements de menhirs ont été découverts non loin du château de Comper. On y trouve aussi le Tombeau de Merlin…

Près d'Iffendic, à côté de l'ancienne forteresse médiévale, un ensemble mégalithique important a été découvert.

Près de Plélan-le-Grand, la Pierre droite à Maxent témoigne de l'implantation mégalithique en ce lieu.

Nous avons déjà parlé des mégalithes du côté de Augan, de Campénéac, Tréhorenteuc et bien sûr de Néant/Yvel.

Le cercle des châteaux-forteresses

Au Nord, Château de Comper, (Concoret), (1)

Comper-

Photo Breizh Spirit 

On dit que c'est le château de Viviane. À l'origine c'était un château fort médiéval protégé par son immense étang et la forêt. Il aurait été une des résidences de Salomon, roi de Bretagne au IX° siècle.

Château de Boutavent, Iffendic (2)

Boutavent

PDF: ecomuseepaysmontfort.free.fr/Pdf/Boutavent.pdf ou ici en ligne.

Les ruines du château du Moyen-âge, sont situées sur un éperon rocheux. Il était aussi entouré de la forêt et d'un étang (de Boutavent). Le château aurait été une des résidences de Judicaël, roi de Domnonée au VIIe siècle. C'était une époque de grand trouble (invasions, pillages) où ce territoire avec son château sur son promontoire, loin des villes importantes et des grandes routes profitait d'une situation privilégiée. Il a été détruit au XIV° siècle (par Du Guesclin) 

Château à motte de Salomon, Plélan-le-Grand (3)

69916024

Château à motte du Gué-de-Plélan (végétation en rond au-dessus du A)

Ce château à motte, dont il ne subsiste que de rares vestiges était au Moyen-âge un des châteaux du roi Judicaël, il aurait aussi été occupé par le roi Salomon au IX° siècle, d'où son nom. Il permettait d'assurer la défense du Gué qui était un des accès importants au territoire de Brocéliande, en particulier vers Paimpont et ses forges.

Château du Bois-du-Loup (Route de Beignon, Augan) (château de Koat-Louh en dialecte local)

chateau-du-bois-du-loup-augan

Chateau-du-bois-du-loup Augan

Ce château se situait  sur un coteau du val du ruisseau et de l'étang de Volubo. Construit au XIV° siècle, il est implanté sur un secteur occupé de longue date par l'homme, on a retrouvé des mégalithes dans les environs qui sont maintenant plus ou moins détruits. Après avoir été reconstruit plusieurs fois jusqu'au XIX° siècle, il a été incorporé au Camp de Coetquidan (Ecole et Camp militaire), il est maintenant ruiné.

 

Château de Trécesson sur le territoire de Campénéac (4)

Trécesson

Photo Breizh Spirit

Il a conservé son aspect médiéval, c'est l'un des plus impressionnants châteaux de Bretagne. Il était déjà mentionné comme demeure des seigneurs de Ploërmel et Campénéac dès le VIII° siècle.

Château du Bois-de-la-Roche, Néant-sur-Yvel 

Bois-de-la-Roche

Ce château forteresse de Koad Ar Roc'h, qui domine le val du Livet, a été construit fin XV° siècle, ses hommes d'armes défendaient toute la partie ouest de Brocéliande.

Château Ponthus ou de Barenton, (5)

broceliande-légende

Selon la légende, le chevalier Ponthus, venu de Galice épousa la fille du seigneur de Gaël, au V° siècle. Il serait l'ancêtre des rois de Bretagne. Le château a été détruit au XIV° siècle (par Du Guesclin). Sur ses ruines se dresse le magnifique hêtre Ponthus.

Note: 1, 2, 3, 4, 5 sont les plus anciens châteaux de Brocéliande, (probablement les cinq de la légende arthurienne). La plupart sont ruinés.

 

Le cercle des portes de Brocéliande

Ce sont les passages vers le territoire de la forêt, soit en passant l'eau (les gués), des points stratégiques ou d'accès vers le sanctuaire (nemeton).

1/ Pertuis-du-Faux (faux pour fagus, hêtre) entre Concoret et Comper

Pertuis du Faux-Concoret

Pertuis du Faux, Google Map

2/ Iffendic

IFFENDIC-Google map

Google-map

Porte Nord (et Est) de la forêt de Brocéliande, le bourg et l'église d'Iffendic ont été incendiés par les Normands au Xème siècle, l'église primitive était sur les bords du Meu. 

3/ Gué-de-Plélan

Gué-de-Plélan-pont-muzard-moulins-sur-le-meu

Gué-de-Plélan-pont-muzard-moulins-sur-le-meu

4/ Pont de la Lande sur l'Aff, près de Beignon, c'était autrefois le Gué-de-la-Lande.

Beignon_17705_Vallee-de-l-Aff-le-pont-de-La-Lande

Pont de la Lande

5/ Pertuis-Néanti (Porte du Ciel!) près de Tréhorenteuc.

Pertuis-Néanti-Géoportail

Pertuis-Néanti, Géoportail.fr

Le schéma des cercles de Merlin se précisait peu à peu, mais ce stade, il en manquait encore et j'étais bloquée. Abdul m'aida à y remettre de l'ordre. Il m'assura qu'un schéma directeur organisait l'ensemble des cercles. On pouvait les regrouper par éléments (Terre, Feu,…), voici notre liste. (Voir les messages précédents pour les détails, ici)

 

EAU 

1 Mer (qui cernait le territoire lorsque la Bretagne était une île)

2 Rivières

TERRE

3 Pierres-Mégalithes

4 Pierres-châteaux-forteresses

FEU

5 Portes de Brocéliande

6 Lieux sacrés, (fontaines, hauts lieux)

AIR

7 Personnages, lieux légendaires

8 Prison d'air ou de verre* (Points remarquables de la course du soleil, des astres et de leurs cycles)

* Au Moyen-âge, on imaginait que les astres se déplaçaient sur des sphères cristallines (ou de "verre") concentriques à la terre.  

BOIS 

9 Limites de la forêt, bois

 

De cercle en cercle, je découvrais le territoire de Brocéliande sous un aspect sacré de cosmogramme (ou mandala) et je dis à Abdul:

- Si je comprends bien, c'est au coeur du bois que je peux trouver Merlin, mais à quel endroit?

- Je ne connais pas la réponse, mais tu es près du but, sois attentive et tu sauras. 

Fernand qui venait d'entrer ajouta:

- Utilise le langage des oiseaux.

- Comme si les oiseaux allaient me dire où trouver Merlin et le Graal!

- Il faut jouer le jeu, me répondit-il sur le même ton. C'est pour Lorrekey et elle, elle connaît le langage des oiseaux…

- J'espère alors que je la comprendrai, mais de quel jeu parles-tu?

- Ben, le Jeu du Moulin pardi! me dit-il en écartant les bras comme si je ne comprenais décidément rien.

- Ok, donc retour à la case "Merlin", conclut Abdul, on continue le travail avant de se prendre la tête. Je vous rappelle que le temps presse.

- Et oui la roue tourne! s'exclama Fernand.

29 novembre 2012

Merlin, Brocéliande et le Graal VI : Le défi de Merlin 1° partie

Le soir même un dîner nous réunissait, Fernand, Abdul et moi. Lorrekey nous rejoignit après le plat principal. Elle semblait bouleversée et demanda à parler à Fernand qui s'éclipsa pour satisfaire sa demande. J'en profitais pour raconter à ma manière notre exploration des "Néan" de la partie occidentale de Brocéliande à la recherche du fameux sanctuaire.

Abdul confirma mon sentiment qu'il fallait comprendre la notion de németon comme un ensemble de lieux géographiques marqués d'une connotation à la fois temporelle (les différents temps importants de l'année dont les solstices et les équinoxes étaient les plus marquants), spatiale selon les grandes orientations des points cardinaux, enfin spirituelle dans la dévotion aux esprits des ancêtres, aux héros civilisateurs et aux influences spirituelles transcendantes ou divines.

Nos deux amis revinrent avec la mine grave et Fernand tenta de nous traduire le discours de Lorrekey. Elle avait effectivement rencontré Merlin qui lui avait rappelé les conditions de son retour dans l'Autre Monde dont elle se languissait malgré tous les efforts de Fernand pour la retenir près de lui.
L'émotion lui mit soudain des sanglots dans la voix et il prit la main de Lorrekey avant de poursuivre. Il nous dit que pour sa part, il respectait plus que tout la liberté de son amie si chère et qu'il ferait tous les efforts nécessaires pour lui permettre d'accomplir son choix même si cela impliquait d'être privé de sa présence.

Elle était donc sortie de son Monde en raison de son attitude insolente. Elle s'était moquée de Merlin et de son Graal dont elle ne voyait plus l'intérêt tant elle était habituée à en bénéficier sans se poser de question et sans en avoir jamais été privée.
Elle avait déjà fait des incursions dans notre monde, mais c'était de courte durée et elle ne s'était pas rendu compte de l'état de conscience qui correspondait à la vie de la majorité de ses habitants. Merlin lui avait imposé un séjour loin des siens et cet exil était assorti de l'oubli de tout ce qui nourrissait alors la moindre de ses pensées naturellement reliées au Centre Eternel du Monde, ce qui lui fournissait auparavant tout ce dont elle avait besoin pour mener une vie harmonieuse avec ses congénères. Ici elle souffrait d'un vide intérieur qui l'affaiblissait peu à peu et la condamnait à terme.

Fernand s'interrompit et regarda Lorrekey en silence. Il semblait navré de ne pouvoir subvenir à ses besoins profonds, elle lui sourit tristement et l'encouragea à poursuivre.
Merlin avait posé des conditions pour son retour : elle devait rencontrer une personne en quête de Merlin ou du Graal, de préférence un être de même sexe (ou du moins ne pas user de séduction) et le jour où cet être, en sa présence verrait le Graal, elle retrouverait son état antérieur.
Je compris que malgré son immense désir de combler Lorrekey, Fernand ne pouvait l'aider! Tous me regardaient en attendant ma réponse.
Je répondis:
- Je crois que je suis la seule personne que vous ayez à disposition, mais avant de m'engager, je dois m'organiser pour que cela soit possible.
- Bien sûr, me dit Fernand soulagé.
- Et moi, je suis prêt à t'aider dans ta quête afin que tu puisses aider Lorrekey efficacement, ajouta Abdul.
- Merci, conclut sobrement Lorrekey, les deux mains prises par Fernand qui l'assurait qu'elle y parviendrait. Elle lui glissa quelques mots à l'oreille.
- Ah, je dois préciser une dernière condition transmise ce jour par Merlin: le moment venu, afin de permettre le passage de Lorrekey dans l'Autre Monde, trois doivent devenir douze là où la Terre s'unit au Ciel...

Je regardai Abdul incrédule, je ne comprenais rien. Comme si cela ne suffisait pas de tenter la quête la plus longue d'Occident qui tenait en haleine ou égarait un nombre incroyable de personnes dans chaque génération, il fallait en plus une condition énigmatique!
Abdul me rassura:
- Nous sommes dans le même bateau, notre seule chance est de rester unis dans cette aventure et il n'y a que Lorrekey pour laquelle l'enjeu est vital.
C'était justement pour cette raison que je m'inquiétai, mais je préférai ne pas renforcer leur angoisse par mes doutes. Nous devions en effet tout tenter et les lamentations n'auraient été qu'une perte de temps supplémentaire.

21 novembre 2012

Merlin, Brocéliande et le Graal V : Le sanctuaire (Németon) de Brocéliande 3° étape

3/ Le Jardin-aux-Moines
Nous sommes rentrés dans la forêt et tout près de Tréhorenteuc, nous nous sommes arrêtés sur un petit parking en plein bois. Il n'y avait pas d'indication, mais Bastien connaissait bien les lieux, il négligea les chemins de randonnée les plus évidents pour nous engager sur un minuscule sentier. Au bout de quelques mètres, dans une clairière, le Jardin-aux-Moines s'étalait en une sorte de rectangle d'environ 25 mètres par 6, formé d'une alternance de pierres dressées de grès ou de poudingue blanc et de schiste rouge.

legendesbretonnes

Le-Jardin-aux-Moines-Broceliande (legendesbretonnes.centerblog.net)

Au XIX° siècle, enfoui dans le sol du sous-bois, il était décrit comme une "chaussée bordée de menhirs". Il n'a été fouillé qu'en 1983, c'était en fait un tertre tumulaire de type armoricain, mais cependant original dans sa conception. Il date de 3000 environ avant notre ère, avec une extension et une réutilisation ultérieure. Son plan est simple, une sorte de grand rectangle orienté du nord-est au sud-ouest comportant deux séparations internes.
(Plan précis et résumé des fouilles ici)

Plan-j-aux-Moines


C'était notre dernière étape en groupe, Fernand nous proposa de rester un peu plus longtemps sur les lieux et de rejoindre Tréhorenteuc par le sentier de randonnée. Bastien accepta et repartit avec ses touristes. Fernand sortit de son sac des lampes spéciales à faisceau étroit et coloré dont il déplia les trépieds. Puis il déploya un plan du quadrilatère néolithique que nous avions sous les yeux, l'orienta et plaça ses lampes sur des points précis. Lorrekey était fascinée, elle suivait tous ses gestes avec attention et restait près du plan en se demandant ce qu'il représentait.
Voici ce plan schématisé:

IMGP8088

Il se servait aussi d'une croix de type Saint-André comme celle-ci:

IMGP8091


Lorsque Fernand eut fini, des faisceaux lumineux habillaient le quadrilatère de différentes couleurs. Avec un petit sourire mystérieux, il nous expliqua ce que nous avions sous les yeux. Il avait matérialisé les lignes principales des trajets lunaires et solaires aux moments clés de l'année qui apparemment commandaient les lignes principales du monument mégalithique du Jardin-aux-Moines. Il nous en révéla le détail.

IMGP8085IMGP8089

Nous étions loin de l'hypothèse légendaire des moines ripailleurs transformés en pierres!

Je compris l'intérêt de sa croix de Saint-André:

IMGP8094IMGP8093

Croix des solstices et lunistices à la latitude de 48°

(LM: Lunistice maxima, Lm: Lunistice minima, S: Soleil aux solstices), voir Comprendre les mégalithes ici.

Je restai médusée, mais Lorrekey se mit soudain à danser, puis comme en transe, elle commença à chanter dans un dialecte étrange. Fernand la regardait fasciné et réjoui en se balançant sur place à son rythme. Je reculai un peu pour ne pas les troubler. Lorrekey finit par s'asseoir et Fernand s'approcha de moi. Je lui demandai ce qui arrivait à Lorrekey.
- Elle a manifestement retrouvé un souvenir important de sa vie d'avant, répondit-il.
- C'est l'effet des pierres de ce sanctuaire?
- Et de la matérialisation des trajets célestes. Elle s'est probablement souvenue du schéma de base de ses croyances.
Je ne comprenais pas vraiment ce qu'il voulait dire, mais il ne me révéla rien de plus malgré ma curiosité. Lorrekey revint bientôt vers nous, elle dit simplement "Je crois que j'y suis presque". Fernand lui prit la main et y déposa un baiser.
Le jour diminuait, il était temps de quitter l'endroit pour passer sur la Butte aux Tombes toute proche, là où subsistaient quelques ruines de tumulus néolithiques, avant de retourner à Tréhorenteuc.
Lorrekey nous imposa une halte à la Fontaine Sainte-Onenne où elle descendit pour prélever un peu d'eau. Fernand me confirma que nous étions près de l'ancien temple gallo-romain dédié à Vénus. Par ailleurs, Onenne aurait vécu ici, peut-être à l'emplacement du château Mazerin. A l'énoncé de ce nom, Lorrekey demanda à Fernand si c'était le château de Marzin, un des noms de Merlin. Fernand répondit que c'était peu probable, mais Lorrekey soudainement inspirée se dirigea aussitôt vers un arbre au tronc majestueux.

Fernand me proposa de m'asseoir et d'attendre. Lorrekey tournoyait autour de l'arbre en psalmodiant lorsque soudain je crus voir Merlin venir à sa rencontre. Je voulus les rejoindre, mais Fernand me dit : "Pas maintenant, bientôt" et avec un doigt sur la bouche pour que je me taise, il m'entraîna vers le village.
J'étais frustrée, moi qui n'avait pour but que de rencontrer Merlin afin de mieux comprendre le personnage et faire la part du mythe, voilà que de nouveau il m'échappait! Fernand compatit, mais il me dit que je n'étais pas encore prête pour cela. Je lui demandai ce que je devais faire pour l'être et il me demanda "encore un peu de patience"! En attendant nous devions parler de certaines choses pour lesquelles l'apport de notre ami Abdul serait le bienvenu.

Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 > >>
Publicité
Newsletter
Derniers commentaires
Archives
Publicité